Je ne vous résume plus la situation : je suis près des grands lacs de Champagne-Ardenne avec mon épouse et je mitraille tous les animaux qui passent à ma portée. J'y prends un grand plaisir mais je dépasse les limites et les oiseaux s'envolent me laissant comme deux ronds de flan.

Deux ronds de flan, c'est bien ça. Cette expression image bien les deux yeux écarquillés qui étaient les miens à cet instant. Heureusement "flan" ne prend pas de "c" final  dans cette expression car j'aurais du vous dire que j'étais resté sur le cul. Enfin ! C'est un peu ça quand même. Les grues sont parties dans un vacarme assourdissant.

Nous n'avons plus qu'à reprendre la voiture et voir ailleurs si nous rencontrons d'autres migrateurs.

Ils ne se font pas attendre. Un champ plus loin, après avoir passé un petit carrefour champêtre gardé par une fermette aux volets fermés, un petit groupe de grues, moins d'une dizaine, est là au bord de la route. Je connais maintenant la gymnastique qui mène mon objectif en face du carreau ouvert de la voiture. Et un, et deux, et trois. Ca fait mal quand même, je n'ai plus ma souplesse d'autrefois. Je prends le temps de cadrer et d'inscrire les images dans la mémoire de l'appareil. "Avance un peu la voiture s'il te plait", il y a une église en arrière plan, ce sera du plus bel effet". D'autres grues se promènent au loin, des ombres peu visibles.

Sans déranger les animaux nous reprenons la route. Nous traversons un village champenois. Cette région veut vraiment attirer les touristes, les maisons sont rénovées, les pans de bois se découvrent, la beauté initiale de ces bourgades redevient palpable.

Pas le temps pour cette contemplation, nous prenons à gauche et continuons par les champs. Nous tournons en rond pendant un quart d'heure sans rien voir. Nous décidons de retourner au pré vert ou nous avions dérangé ces grands oiseaux. Les grues sont les plus grands oiseaux d'Europe avec leur deux mètres d'envergure et les quatre à six kilos de chair et de plumes qu'elles arrivent à étendre dans un vol qui peut atteindre les quatre-vingt kilomètres à l'heure. Rendez vous compte, elles sont capables de traverser la France en une journée...

Moi, contrairement à elles, je roule au pas. Deux véhicules nous précèdent. L'une s'arrête, l'autre la dépasse. Nous nous apprêtons à faire de même. "Mais ! C'est l'auto de Françoise". Elle chasse sur ses terres. Nous doublons la voiture et pilons devant. Je sors en hâte avec l'appareil, porté comme un paparazzi. Françoise nous reconnais alors et sourie. C'est son anniversaire. Plein de bises et de rires précèdent la conversation. Nous racontons nos histoires mais l'oeil reste aux aguets. Plus loin un rouge-gorge vient voir la scène. Je le prends sans conviction. Il sera flou. Tans pis, nous continuons la discussion. Françoise veut nous emmener voir les chevreuils, il y en a plein un champ à deux pas en voiture.

"C'est quoi ces oiseaux oranges ?" interroge ma femme. Le temps de nous retourner deux flèches bleues filent dans un caniveau. Ce sont des martins pêcheurs. "Je n'en ai jamais vu d'aussi prêt" dit Odile, "je ne les pensais pas aussi orange !". Les appareils n'ont pas eu le temps d'être mis en place que les éclairs ont disparus. Dommage.

(Une prochaine fois peut-être nous vous en montrerons des photos. Je sais que Françoise les épie, visitez son site régulièrement. L'aiguillon de plume ne devrait pas tarder à y être immortalisé.)

Allons voir les chevreuils. Ce n'est pas bien loin, près du village,

Les cervidés sont effectivement là, une belle troupe. Les grues les survolent. Ils mangent l'herbe et se déplacent. On croirait qu'ils tirent le traineau du père Noël. Nous allons plus loin. Françoise nous montre un champ profond. C'est là que les chevreuils sont souvent les plus nombreux. Il ne semble pas être là. Ils sont pourtant présents mais cachés par une ligne de Grus grus de Cranes et de Kraniches. Elles sont vraiment nombreuses qu'il faut les appeler par les noms internationaux qui les représentent.

Le soleil baisse donnant des paysages magnifiques. Un faible soleil derrière une rangée d'arbre, un vol de grues au dessus d'un bois. Nous nous séparons. Le chemin du retour est long.

Nous reprenons, à l'envers, la petite route et remontons sur Châlons. "Je voudrais rentrer avant la nuit" me soumets Odile, "Reprenons par la route de Vitry". Mais nous ne connaissons pas bien l'endroit, nous nous perdons, nous nous rapprochons du lac du Der. Des signes ne peuvent nous tromper : dans un champ un héron et plus loin, encore des grues. Sur la route de Vitry nous n'en aurions pas rencontré.

Nous ralentissons à un passage à niveau, ce qui nous laisse entrevoir une chevrette suivie par un beau chevreuil qui redouble de sauts. Nous rattrapons la route qui mène à Vitry. Nous repassons devant les éoliennes avant d'entrer dans Châlons.

La nuit n'est pas encore tombée.

Il s'en fallait d'un quart d'heure.