Si les frères Coen n’existaient pas, il faudrait les inventer juste pour Cannes.On peut toujours compter sur eux pour sauver la pire journée de Festival qui soit. Leur nouveau film au titre imprononçable et impossible à mémoriser, n’est peut-être pas un chef-d’œuvre à la Barton Fink ou à la Fargo, ni un futur film culte à la Big Lebowski, mais il a fait passer un sacré bon moment aux Festivaliers.Du moins à ceux qui ont pu accéder aux projections prises d’assaut par les hordes de réfugiés de la pluie…
Inside Llewyn Davis, puisque c’est son titre, fait revivre le New York folk d’avant l’avènement de Bob Dylan. On y suit les pérégrinations tragicomiques d’un chanteur folk fauché (pléonasme?), Llewyn Davis (Oscar Isaac), qui, empêtré de sa guitare, de son sac à dos et d’un chat finement nommé Ulysse, passe ses journées à chercher un engagement pour la soirée et un canapé à squatter pour la nuit. Ce faisant, il croisera un vieil agent juif et sa secrétaire cacochyme, un couple de vieux fans mécènes prêt à tout lui pardonner (sauf de perdre leur chat), un jazzman impotent et héroïnomane (John Goodman, génialissime), un chauffeur mutique passionné de poésie érotique qui se prend pour James Dean, un impresario qui découvrira peut-être Bob Dylan puisqu’il s’appelle Grossman, des chanteurs de hillbilly ringards, un GI pacifiste chanteur de folk permissionnaire, un ami-concurrent-mari de son ex (Justin Timberlake moustachu et méconnaissable), une sœur acariâtre, un père Alzheimer et une ex-petite amie-logeuse-chanteuse, enceinte et énervée (Carey Mulligan, pétaradante). Tous prétextes à gags et à portraits drolatiques, entre deux chansons folk plus ou moins inspirées de celles de Dave Van Ronk, figure ante Dylanienne du Village, dont les mémoires ont inspiré le film.
Oscar Isaac, chevelu et barbu, prête sa voix, son jeu de guitare, ses grands yeux étonnés et son air de chien battu au plus beau personnage de looser magnifique qu’on ait vu depuis longtemps au cinéma. Pendant qu’il se fait casser la gueule par un spectateur mécontent dans l’arrière-cour du club new-yorkais dont il est la misérable vedette, un jeune folkeux inconnu à la voix nasillarde entonne « Farewell » (adieu).Les temps viennent de changer et il ne s’est rendu compte de rien. Le cinéma des frères Coen lui, heureusement, ne change pas : toujours aussi jouissif.