Après une parenthèse humoristique (Looking for Eric avec Cantona), Ken Loach revient aux choses sérieuses avec Route Irish, son nouveau film, qui traite de la guerre en Irak vue sous l’angle des « contractors », ces mercenaires d’un nouveau genre, appointés par des grandes compagnies privées pour assurer des missions de sécurité en zone de guerre. Présenté en compétition à Cannes, le film a un peu déçu les aficionados du réalisateur Anglais (« Trop grand public »), mais il devrait séduire les amateurs de film d’action intelligents, ancrés dans l’actualité contemporaine. Conversation avec le réalisateur de Family Life, Raining Stones et Carla’s Song...

Qu’est-ce que la Route Irish?
C’est la route de l’aéroport de Bagdad.Elle a été baptisée ainsi à cause du premier régiment américain qui en assurait la protection et dont les hommes étaient, en majorité, d’origine irlandaise.C’est aujourd’hui la route la plus dangereuse du monde.

Pourquoi avoir choisi de parler de la guerre en Irak du point de vue des « contractors »?
Parce que c’est la première guerre privatisée.Ce qui est logique puisqu’elle a été faite pour satisfaire l’intérêt vorace des entreprises occidentales.Utiliser des sociétés de sécurité pour faire le sale boulot permet de cacher les pertes humaines à la population. Pas besoin d’obsèques nationales...

Comment avez-vous procédé pour bâtir cette histoire ?

Les recherches, c'est surtout Paul Laverty [son scénariste] qui les a menées, mais on a rencontré ensemble des soldats sous contrat, des retraités, des dirigeants de sociétés privées qui engagent des mercenaires - rebaptisés agents de sécurité (ou « contracters », en anglais). En Jordanie, où on a tourné, on a rencontré beaucoup d'Irakiens (4 millions d'Irakiens sont sans abri). On nous a raconté beaucoup de choses, par exemple l'histoire de ce « contracter » qui était en Irak dans un camion et a vu un de ses copains sauter devant lui sur une mine. Lui-même était blessé, traumatisé, mais il a voulu repartir parce qu'il gagnait beaucoup d'argent avec ses contrats.

La guerre vous conditionne, et la plupart de ces hommes ont passé vingt ans dans l'armée. Ils ont peu d'argent, pour finir, et se disent que, en repartant au front sous contrat d'une société privée, ils se referont financièrement. Paul a également rencontré une vieille infirmière soignant des soldats post-traumatisés, et elle disait que ces hommes étaient en deuil de leur passé, qu'ils ne pourraient plus être ceux qu'ils voulaient être.

C'est un film politique, mais pas seulement…

Ce qui m'importe, ce sont les raisons pour lesquelles les hommes font la guerre et les conséquences que cela a sur les populations. Pourquoi y a-t-il la guerre alors que, souvent, on aurait pu trouver des solutions pacifiques ? Mais je suis cinéaste, et une des raisons pour lesquelles je fais des films est le désir d'exploration. Sinon, un film ne serait que du coloriage. Or ce ne peut être cela. Il faut que les possibilités restent ouvertes, et pas seulement dans le scénario mais aussi durant le tournage et dans l'interprétation. Il faut qu'on y sente des personnages versatiles qui sont capables de changer d'état d'esprit, de se modifier.

Y-avait-il chez vous une volonté consciente de toucher un public plus large avec ce film?

Tristement non. Mais c'est probablement le film le plus difficile que j'ai fait. C'était un sujet dont on parlait depuis longtemps.La diffficulté était de trouver le bon angle d'attaque. Si on a trouvé les bons ressorts dramatiques, alors on peut effectivement esperer atteindre plus de public.



La scène de torture du film a beaucoup fait couler d’encre à Cannes.Faut-il tout montrer?
La limite de ce qu’on doit montrer ou non au cinéma est toujours difficile à déterminer.En l’occurrence, je crois que la scène se justifie totalement car elle montre l’horreur des méthodes qui sont réellement employées (les USA et l’Angleterre ont reconnu les utiliser) et leur totale inutilité puisque le torturé avoue n’importe quoi pour faire cesser la douleur. Pour moi, les scènes les plus choquantes du film sont celles tirées des archives militaires où les bombardements ressemblent à un jeu vidéo.

Comment jugez-vous la position de votre pays dans le conflit irakien?

Je ne peux pas parler en expert mais revenir aux fondamentaux, aux lois internationales et au respect des Constitutions. Si on ne respecte pas ces lois, il n'y a plus de civilisation possible. Ce qui veut dire qu'il faudrait juger les criminels - Tony Blair, George Bush - et dédommager le peuple irakien, le tout sous les auspices des Nations unies. Bien sûr, ça ne se passera pas comme ça, mais il faut au moins garder cela à l'esprit.

Comment va l'Angleterre?

En pleine effervescence promotioonnelle avec le mariage princier. Elle continue à falsifier son histoire avec des films comme Le discours d'un roi. Rien de nouveau...

Et qu’avez-vous pensé de l’appel de votre ami Cantona à boycotter les banques?
Je prends toujours très au sérieux tout ce que dit Eric (large sourire) et j’attends avec impatience de pouvoir en parler avec lui.