On savait certains animaux, comme le renard ou le rat, capables de
s'amputer d'un membre pour se libérer d'un piège. On ignorait que l'Homme put aller jusque-là pour survivre. L'expérience d'Aron Ralston, l'alpiniste américain qui a dû se sectionner le bras pour sortir d'un canyon où il était bloqué par un rocher, est donc édifiante en plus d'être
extraordinaire. Son histoire, racontée à l'époque dans un livre, fait aujourd'hui l'objet d'un film ( 127 heures) , du réalisateur de Slumdog Millionaire, Danny Boyle. A l'occasion de sa sortie en France, le 23 février, j'ai pu rencontrer ce survivant de l'extrême, aujourd'hui âgé de 36 ans..

Pouvez-vous rappeler les circonstances de votre accident ?
Ubn samedi, je suis parti en randonnée solo dans les gorges de l'Utah. Ma première erreur a été de ne dire à personne où j'allais mais j'étais coutumier du fait. La deuxième erreur a été d'oublier mon couteau. En début d'apres midi, j'ai voulu descendre dans une faille. Un rocher énorme s'est détaché et a écrasé ma main droite contre la paroi. J'étais bloqué au fond d'une faille, dans un endroit totalement désert à 12 kilomètres de l'entrée du canyon, sans téléphone, ni radio avec trés peu d'eau et de nourriture.

Quelles ont été vos premières réactions?
L'incrédulité d'abord. Ca paraissait impossible que je ne puiss erien faire pour me tirer de là. La rage ensuite en m'apercevant que je ne pouvais ni bouger le rocher, ni dégager ma main.

Quand avez vous pensé à vous couper le bras?
Dés la première heure. C'était la solution la plus évidente au problème, mais je ne pouvais pas l'envisager sérieusement. J'avais encore l'espoir de pouvoir faire bouger le rocher ou d'être secouyru par un autre randonneur. Mais il n'y avait personne.

Qu'avez vous fait alors ?
J'ai essayé d'entamer le rocher avec le seul outil dont je disposais, une pince multitache dotée d'un petit canif. Je me suis escrimé pendant des heures sans résultat. J'ai aussi essayé de cogner dessus avec une pierre mais je n'ai réussi qu'à me blesser l'autre main.
Vous n'avez pas paniqué?
Si, la première et la dernière heure. La première j'étais comme un animal pris au piège. La dernière en voyant ma main qui commençait à se décomposer. Je crois que c'est cette ultime accès de panique qui m'a donné la force de faire ce que j'ai fait.

Comment cela?
J'ai piqué ma main boursouflée avec le bout du canif et du pus est sorti. L'odeur était infecte , j'étais révulsé. J'avais eu le temps de m'accoutumer à l'idée de mourir là depuis cinq jours que j'étais bloqué , mais je ne pouvais pas me faire à l'idée de pourrir sur place. Je suis devenu comme fou, je me suis débattu comme un forcené et j'ai failli me casser le bras à force de me démener. La douleur m'a fait comprendre que c'était ça la solution.

C'est à dire?
J'avais fait deux tentatives les jours précédents pour couper ma main. la première fois je n'ai même pas réussi à couper la chair avec mon canif emoussé. La deuxième fois , je me suis planté la lame dans le poignet mais quand j'ai touché l'os j'ai réalisé que je n'arriverai jamais à le couper. C'est seulement le cinquieme jour que j'ai compris qu'il faudrait d'abord me casser le bras puis couper la chair. Ca a été une révélation, une véritable épiphanie. Je l'ai fait presque en souriant. J'allais peut-être mourir vidé de mon sang mais pas là et pas comme ça.

La douleur pourtant devait etre insupportable?
Curieusement non. Peut-être que l'immobilisation avait anesthésié mon bras. Je ne me suis jamais évanoui même lorsqu'il a fallu sectionner les nerfs. Et ça m'a pris plus d'une heure.

Qu'est ce qui vous a donné la force de tenir puis de passer à l'acte?
Le fait d'enregistrer mon témoignage avec ma caméra vidéo m'a beaucoup aidé. Ca a créé un lien avec les gens que j'aimais et pour lesquels j'enregistrais le message. Je n'étais plus tout seul. La dernière nuit , j'ai fait un reve dans lequel je me voyais rentrer chez moi. Il y avait un enfant qui m'attendait et je le soulevais de la main gauche car j'avais perdu l'autre. J'ai su que cet enfant serait le mien (j'ai effectivement eu un fils par la suite) et donc que j'allais m'en sortir.

Comment avez vous fait pour rejoindre l'entrée du canyon ?
J'avais tout planifié dans ma tête. Je me suis fait un garot, j'ai attaché mon bras, j'ai pris une derniere photo du rocher avec ma main et je suis parti. J'avais perdu beaucoup de sang , environ un litre , et j'étais trés affaibli par la deshydratation et la faim mais j'ai réussi à faire une descente en rappel de 30 m et à marcher une dizaine de kilomètres avant de rencontrer les randonneurs qui m'ont secouru.

Cette aventure a-t-elle changé votre vie?
Non, dans la mesure où j'ai continué à faire de l'alpinisme comme avant. Mais elle m'a changé moi profondément. J'ai compris que toute ma vie conduisait à ce rocher. J'avais un besoin compulsif de repousser mes limites et de défier la mort pour prouver que j'étais le meilleur. Je n'avais pas compris que l'important dans la vie ce n'est pas les exploits que l'on peut réaliser mais les relations que l'on a avec les autres . En enregistrant mon testament sur mon camescope au fond du canyon, j'ai réalisé que j'avais beaucoup délaissé les gens que j'aimais. Si j'étais seul dans cette situation, ce n'était pas un hasard. C'est moi qui l'avait créée. Ce rocher, il m'attendait là depuis des millénaires pour m'apprendre cette leçon.