Avertissement au lecteur : le nouveau Christine Angot commence à la page 115.
Jusque-là, l’histoire de Billy, de ses quatre enfants et de sa femme Hélène semble tirée d’un rapport de la DDASS. Billy, musicien antillais, rencontre Hélène expatriée récemment divorcée.Ils font des enfants.Leurs rapports se tendent puis deviennent inexistants.Billy a une maîtresse et Hélène le lui fait payer.Cher. Il a le malheur de lever la main sur elle, elle l’envoie en prison et lui interdit de voir ses enfants.
On en est là, lorsque survient inopinément, page 115, le « je » qui introduit soudain l’auteur dans le récit, comme par effraction.
Que vient-elle faire dans cette galère? C’est la nouvelle copine de Billy. On se souvient alors que Christine Angot a déjà mis en scène un musicien black dans son précédent roman, « Le Marché des Amants » (récit fictionné de sa relation avec Doc Gyneco) et qu’y apparaissait, à la fin, un certain Billy...
Est-ce à dire que la reine de l’autofiction nous manipulait depuis le début? Que la sympathie que l’on pouvait éprouver pour ce Billy, affectueux, nonchalant et fataliste, injustement privé de l’affection de ses enfants, ne se justifiait que par le rapport forcément biaisé que faisait sa nouvelle amie de ses supposés malheurs, sous couvert d’objectivité à la troisième personne (« Il a fait ci », « Elle a fait ça »)?
Se pourrait-il, après tout, que Billy ne soit, sous ces dehors placides, qu’un mari violent, un père maltraitant et un amant affabulateur?Cela expliquerait, en tout cas, l’acharnement de la justice à son égard, qui l’éloigne toujours plus de ses enfants malgré ses protestations d’innocence.
Quoi qu’il en soit, alors que le roman s’apprêtait à nous tomber des mains (quel ennui, jusque-là, que cette prose sèche et débitée au hachoir), soudain il devient intéressant, voire passionnant. Du néant sidéral surgissent enfin des êtres de chair, dont les tourments peuvent émouvoir.
Angot ne réussit peut-être pas - si c’était bien là vraiment son intention-, à nous prouver que les hommes peuvent être bons et que les femmes peuvent être manipulatrices et cruelles.Mais elle signe un roman plus intriguant et profond qu’on ne l’attendait.
Ainsi « Les Petits » deviennent-ils grands.

. «Les Petits» de Christine Angot, Flammarion, 192 pages, 17 euros