La belle lui cria alors : « Je t’aime
Mon tout beau, mon tendre, mon adoré
D’amour vrai et de toute éternité… ! »
Il lui sourit, et répondit de même…


A ces mots, la masse noire se figea
Un terrible grondement retentit
Puis un énorme silence se fit ;
Enfin, lentement l’ombre reflua…


En effet, le démon qui ne craignait
Ni le feu, ni le pape, ni l’épée
Ne pouvait en ce monde être défait
Que par un tel serment d’éternité.


Les chevaliers furent tous délivrés,
Le père de la belle enfin soigné
Et au-dessus du château libéré
On vit de nouveau le soleil briller…


Le vieux seigneur une fois rétabli
En grande liesse unit les jeunes gens,
Vécut heureux encore quelques temps
Puis il ferma les yeux, l’air épanoui.


Et que devinrent alors les deux amoureux ?
Non, demoiselle, ils n’eurent pas d’enfants
Ils confièrent le château à l’intendant,
Ne désirant d’autre toit que les cieux…


La légende prétend que les amants
Du château nommé depuis « Des Deux Cœurs »
Parcourent le monde encore à cette heure
Sans fin, tant que leur amour est vivant…




Epilogue :


Une fois que le vieil homme eût fini de conter son histoire, la demoiselle sécha une larme, et réveilla son mari assoupi… Ils s’aperçurent alors que le soleil était déjà bas sur l’horizon, réglèrent leurs consommations puis reprirent leur chemin et arrivèrent au final à bonne destination.


Par la suite, la demoiselle se demanda souvent si le vieil homme avait inventé cette histoire de toutes pièces pour distraire et retarder ses rares clients ou s’il ne faisait que répéter une vieille légende de la vallée… Mais parfois, se souvenant de la flamme qui brillait dans ses yeux alors qu’il parlait, elle se demandait s’il était possible qu’il ait pu être lié à cette histoire, directement ou par ancêtre peut-être…


Elle repensait souvent à ce conte et elle s’était promis de retourner un jour voir le vieil homme dans son auberge. Et de voyager aussi.
Bien sûr, elle ne voyagea pas. Et elle ne retourna pas non plus voir le vieil homme.


Entre temps, elle avait eu des enfants, des choses à faire et bien d’autres sujets de préoccupation… Une vie bien remplie en somme.


Une seule fois, elle eût l’occasion de surprendre quelqu’un d’autre parler de cette histoire : au détour d’un carrefour, une mère en racontait la fin à sa petite fille… Et la demoiselle, devenue mère elle aussi, sentit son cœur se serrer et inexplicablement fondit en larmes lorsqu’elle entendit… " La légende prétend que les amants, du château nommé depuis « Des Deux Cœurs », parcourent le monde encore à cette heure, sans fin, tant que leur amour est vivant…"


Commentaire :


J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce conte. Ou ces contes devrais-je dire. Car j’ai autant visualisé la légende des amants du château des Deux Cœurs que l’autre histoire en filigrane… Bien sûr, je ne vous dirai pas comment j’ai rêvé chaque paysage et chaque personnage, ni comment j’ai dessiné leurs motivations car chacun doit rester libre de les imaginer à sa guise… Par ailleurs, plusieurs choses sont laissées à l’appréciation du lecteur dans ce petit texte mais je pense que c’est mieux ainsi, non ?


Même si j’ai utilisé une forme d’allure plutôt classique (qui a dit « archaïque » ?) avec quatrains, pieds et rimes (pas très riches et parfois approximatives, je vous l’accorde), j’ai volontairement conservé un style très sobre et très simple (que d’aucuns trouveront naïf) mais qui m’a semblé bien adapté à… un conte. Car ce n’est que ça : une histoire simple et imaginaire. Mais pour reprendre encore cette phrase que j’aime tant : « Ecrire c’est raconter des histoires, le reste n’est que littérature ». Et moi, j’ai de grosses difficultés avec la littérature.


Enfin, il me semble important de citer mes références. Enfin celles dont je suis conscient car en effet, puisque une création (même une création pour rire) est avant tout une réinterprétation personnelle d’une somme de références, il y en a forcément bien d’autres que je n’ai pas identifiées clairement. Et il y a bien sûr aussi quelques clins d’œil personnels glissés dans ce récit…


Alors, tout d’abord il y a évidemment les légendes du Graal et notamment ce château maudit qui ressemble à celui de la Douloureuse Garde où périrent tant de chevaliers et puis aussi ce roi blessé qui ne peut ni mourir ni guérir (le roi méhaigné…).


Comme les méchants les plus flippants sont ceux qu’on ne voit pas (règle souvent vérifiée au cinéma) j’ai volontairement laissé le mystère sur cette ombre maléfique. Mais pour écrire le conte, notamment à l’instant où cette ombre menace l’amant de la belle, je l’ai imaginée comme le Mal… noir, visqueux et grouillant à la fois. Un peu comme dans princesse Mononoké… Et plus généralement, j’ai pensé à cette ombre envahissant ce château et cette vallée comme à une maladie qui s’abattrait sans raison sur un corps sain.


Pour ce qui est du dénouement, j’ai trouvé intéressant que ce soit la belle qui sauve son chevalier par sa déclaration passionnée… Je dois cependant dire que l’idée de ce serment d’amour repoussant le démon m’a été inspirée par une bande dessinée de la série « Chevalier Ardent » dans le tome « Les cavaliers de l’Apocalypse ».


Au départ, j’imaginais une fin triste, mais je ne voulais pas écrire une tragédie, juste un simple conte. Et puis même les chats noirs / ont parfois besoin de croire / que toutes les histoires / ne finissent pas en noir… En plus, Régina et Bulma m’auraient écorché vif.


Cependant, l’épilogue qui concerne la deuxième histoire « en filigrane » m’a permis de quand même de donner une teinte douce-amère à l’ensemble de ce conte. Car malgré tout, on reste sur la page du chat noir !


Je vous remercie d’avoir pris un peu de votre temps pour me lire…