Reprenez de ce vin doux, demoiselle
Et laissez-moi vous conter sa beauté
Son courage, sa vie, sa fragilité
Et surtout, ce qu’il advint d’elle…


Ses yeux… ils étaient couleur d’océan
Verts, et bleus, et puis gris aussi parfois
Emplis d’infini, des vents du noroît ;
Dans ses yeux vivait le monde d’avant.


Ses cheveux... ils étaient d’or et de feu,
Le vent faisait flamboyer leurs reflets
Comme une vague au cœur d’une forêt
A la fin d’un été riche et heureux.


La douceur et la blancheur de sa peau
Surprenaient même les lointains marchands
Venus des falaises du Haut-Nonant
Certains de voir une déesse d’en haut.


Si à l’époque on avait ramené
Du lointain Orient les douces soieries
Nul doute qu’elles auraient paru amoindries
Devant sa tendre fraîcheur de rosée.


Ne prenez pas ombrage demoiselle,
N’en veuillez pas à un vieillard tremblant
De s’attarder sur une beauté d’antan.
Vous, c’est maintenant que vous êtes belle…


Devant l’afflux soudain des courageux
Il fut décidé de tirer au sort
Dans quel ordre monteraient au grand fort
Les preux, les ambitieux, les amoureux.


Le premier, de sa victoire assuré
Décoré de rubans et l’air ravi
Se présenta devant le pont-levis ;
Il avait même le heaume levé…


Dans un grincement le pont s’abaissa,
L’épée à la main, le fier chevalier
Pressa vers l’avant son grand destrier
Et dans l’ombre noire il s’engouffra.


Il ne se passa rien… puis retentit
Un immense cri d’horreur et d’effroi.
Seul son cheval ressortit des murs froids…
Le pont fût levé et chacun frémit.