Jeudi dernier, un nouveau message est déposé dans mon guestbook. Une question plus qu’un message : « les papillons sont ils moins nombreux cette année que l’an passé ? ». Je ne m’étais pas inquiété de la situation ayant pris quelques beaux clichés de ces lépidoptères cette année. Je renvoi un mail rassurant mais la question me tracasse, m’interroge. Ne serais-je pas trop positif ? Ais-je vu autant de papillons cette année que l’an passé ?

Une petite enquête est nécessaire. Je décide d’aller sur place. J’interrogerais les animaux.


Une panorpe habillée de jaune et noir m’accueille à l’entrée du chemin.


- « Bienvenue » dit-elle, « votre enquête est importante pour notre colonie. Nous débarrassons la nature des insectes morts ou mourants, s’il n’y a plus de papillon, nous allons manquer de nourriture. Vous trouverez tout près d’ici quelques ombellifères. Ces fleurs offrent la nourriture en abondance aux amateurs de nectar. »


J’ai beau chercher au cœur des premières fleurs, pas un insecte. J’aime la couleur tendre des bouquets de ces ombelles. Je ne sais pas les reconnaitre. Je confonds la carotte sauvage du podagraire, la ciguë de la berce et tout est à l’avenant. Peu importe, il faut que j’aille plus loin. Il y a de la vie sur celle-ci. Mon insecte préféré, la mouche bleue, ne me regarde même pas, elle me tourne le dos, ne souhaitant pas répondre à mes questions. Une argide au corps orangé voudrait bien me parler mais le calliphore lui fait les gros yeux. Une espèce de statiome cache sa tête dans les pétales, fait semblant de ne pas me voir. Quelques coléoptères minuscules réunis en syndicat n’ont rien vu.


- « Allez plus loin, me conseillent-ils ».


Une nuée de moustique me chasse aussitôt de l’endroit.


Plus loin c’est une dizaine de « cétoines grises » que j’interroge. Je n’ai pas le temps de poser ma question, elles sont trop occupées à la reproduction de l’espèce. Elles ont un deuxième nom, on les appelle « draps mortuaires ». On devrait les appeler « veuves joyeuses » pensais-je tout bas.
Une panorpe mâle s’arrête près de moi.


- « Veuillez les excuser, le manque de papillon ne les intéressent pas, ils préfèrent dévorer les fleurs, les blanches de préférence. Posez votre question de façon moins précise et vous verrez, le monde des insectes est assez sympathique».


L’ombellifère suivante est plus blanche, elle exhale une odeur sucrée de campagne. Le vent la fait balancer tendrement. Quelques insectes gros comme des têtes d’épingle sont occupé à manger.


- « Bonjour messieurs dames, on m’a dit que certains papillons viennent prendre le repas par ici. Est-ce bien vrai ? J’aimerais les prendre en photo. ».


Le premier coléoptère, le nez collé dans son assiette me répond avec une voix presqu’inaudible :


- « Y’a longtemps que j’en ai pas vu trainer dans le coin. ».


Le second me signale avoir aperçu l’ombre d’un battement d’aile qui correspondrait à ce que je recherche.


- « Allez voir le charençon » me dit-il, « il est bien renseigné ».


Je pose un genou à terre et cherche parmi les feuilles. C’est lui qui me repère le premier, il n’a pas de mal, je ne fais pas de régime. Confortablement installé sur le bout d’une feuille, il s’adresse à moi de sa gorge rauque :


- « Vous cherchez des papillons ? Je vais vous dire. Approchez un peu ».


Je me rapproche de ce bel insecte. Il semble âgé, il est grisonnant les deux antennes en massue dressées dans le vide.


- « Ecoutez, cher ami, les papillons viennent tout juste de se réveiller. Ils sont occupés à se donner des vitamines. Si vous cherchez sur ces inflorescences en ombelles vous ne trouverez pas vos modèles. Cherchez plutôt du coté des oreilles de lièvres ».


Sur ce, il disparaît de l’autre coté de la feuille me laissant interrogatif. Que pouvaient bien donc être ces oreilles de lièvre ? Je me redresse. Sur l’ombelle, face à mon nez, deux cantharides s’occupent à agrandir la famille.


- « Excusez-moi, monsieur Rhagonycha fulva, je cherche les oreilles de lièvre. Où puis-je les trouver ? ».


Je l’entends dire :


- « Scabieuse des champs, langue de serpent ».


Je pense qu’il insulte sa femelle lorsque je me rappelle que ces noms sont ceux de la knautie, une herbacée vivace, commune aux bords des champs. Il en existe environ une soixantaine d’espèces. Une seule me suffira. Je l’aperçois au loin. Le charençon avait raison, première fleur, premier papillon. Il est blanc et noir, bien contrasté. Une marge sinueuse blanche au bord des ailes, les macules grises. Il s’agit d’un demi-deuil.


- « bonjour monsiheuuu…, madaaame ». Je ? »


Je bafouille, n’ayant pas vu le verso de l’aile postérieure. Les femelles ont pour coquetterie la présence d’une suffusion jaunâtre. Elle me regarde de son œil noir.


- « Mademoiselle si vous le permettez. Bon ! Allez-y. Posez votre question ».
- « Les humains s’inquiètent de la disparition des papillons cette année. Vous seriez apparemment moins nombreux que l’an dernier ? Quel est votre avis ? »
- « Vous savez, je viens de naitre, je n’étais pas là l’an dernier. Allez voir les piérides, ils aimeront votre histoire. »


A deux pas, en effet, une piéride que je n’avais pas remarquée trempe la paille de sa trompe dans une camomille. Je lui pose ma question.


- « Je ne répond pas aux enquêtes. J'ai des SPAM dans ma messagerie, mon téléphone mobile qui sonne sans arrêt pour de la publicité. Si on ne peut même plus être tranquille au restaurant. Grrrr ! »


Flap ! Flap ! Il s’envole en colère me laissant sur le carreau. Il se pose plus loin au milieu d’un champ, sur de nouvelles camomilles offertes à sa dégustation. Je l’entends encore râler de loin.
Un longicorne en livrée brune se marre de ma déconvenue.


- « Vous avez l’air bien nigaud mon bon monsieur. Je vais vous chercher Pieris. Il est moins râleur que son frère ».


Il s’éloigne et disparait. Quelques secondes plus tard, Pieris apparaît. Son allure est belle, les ailes blanches avec de belles nervures blanches bordées de gris. Les yeux tachetés de gris sont d’un bel effet.


- « Excusez mon petit frère, c’est un frondeur. Il voulait être né « du choux » et nous sommes des « de la rave ». Notre livrée est moins jaune mais nous somme très semblable. Mais je vous embête avec mes histoires de famille ? Que voulez vous donc savoir ? »


Mon discours est rodé, mes explications plus claires. Pieris comprends vite et bien. Il me répond de façon tranchée :


- « La saison n’est pas encore suffisamment avancée pour déterminer ce point avec précision. Je ne pense pas que nous soyons moins nombreux. Les champs sont moins traités et nos chenilles se développent normalement. Bien sur, nous n’aimons pas les dernières gelées et cette année nous n’avons pas été trop gâtés, il y a eu de la neige en début d’avril. Si vous souhaitez vérifier ce point, tournez à droite sur le chemin, vous y trouverez des bleuets et certainement des cousins à nous réveillé par la chaleur de l’été. »


- « On m’avait parlé de knautie... »
- « Par ici, vous voulez rire ? Vous n’en trouverez pas. Si vous en trouviez, venez me les signaler. J’adore ça. »
- « Merci beaucoup de tous ces renseignements. Passez une bonne journée. »


Sur cette explication, je m’éloigne et tourne sur le passage qui s’ouvre à droite. Un coquelicot, les bras en l’air me dit de faire attention, je lui marche sur les pieds. Plus loin, comme attendu, des bleuets et, en nombre, une famille de demi-deuils. Je suis rassuré, les papillons sont présents. Bien présent même. Je prends mes photos, de dos, de face, de coté. Mon excitation les énerve. Ils envoient une nuée de moustiques. Je ne peux plus cadrer correctement, mes photos sont floues. J’ai compris le message. Je me calme. Je m’assoie près d’eux, les observe sans bouger. J’utilise l’appareil pour une dernière photo, me relève. J’en sais suffisamment pour ce début d’enquête.


Je devrais retourner régulièrement sur le terrain pour la terminer.