Il y a un mois j’avais repéré une douzaine de chevreuil depuis la route qui mène à Troyes. Le temps de prendre deux ou trois photos mais mon rendez-vous ne pouvait attendre. Je me suis promis de revenir.

Un ciel d’hiver d’un bleu sec et soleillant, un week-end sans obligations, tout se prêtait aux retrouvailles. Ce n’était pas bien loin de là. Oui. C’est ça. Un peu plus loin.

Là, dans le chemin,  dans la terre brune… des vanneaux, il faut que je tourne maintenant et que je m'arrête. Non, non, non, pas là, c’est trop près, ils vont fuir !
 
Je roule tranquille et stoppe la voiture derrière un monticule.
 
Maintenant les vanneaux sont trop loin, ils ne feront qu’un pixel sur le capteur de mon appareil.
Il faut sortir de la voiture, se rapprocher, trouver le chemin. Pas trop de boue ? Pas trop de bruit ? Le froid à endurci la terre, elle est gelée. Ca va.
 
Pour les vanneaux c’est raté, ils m’ont aperçu. Les reflets d’acier noirci de leurs plastrons offrent des éclats de métal au ciel. Le blanc de leur robe s'aperçoit sur un fond de bleu glacé. Pievouît, pievouît, piii-îh. Ils s’envolent. C’est beau un envol de vanneaux.
 
Ils sont maintenant à des kilomètres. Et zut, il me faudrait une focale de 10.000 mm. Ce n’est pas vrai !
 
Oh là! Ne bouge plus. Là, dans le creux de la terre, là, au soleil, derrière toi, ça bouge.
 
La craie décolore un sol beige. C’est mon terroir, mes racines, mon cœur. Quel bonheur de retrouver les chevrettes. Sont-elles là toutes les douze ? Non, elles ne sont que onze. Un chasseur ? Une voiture ? N’y pensons pas.
 
Je vous ai découvertes. Mais vous, m’avez-vous vu ? Oreilles dressées, pattes tendues comme des ressorts. C’est sur, je suis repéré. Ne pas bouger, s’intégrer à cette nature, se fondre à la terre.
Il fait froid, le vent souffle. Je suis du bon coté. Elles ne peuvent pas me sentir. Je ne veux pas dire par là qu’elles ne m’aiment pas mais que mes odeurs ne les atteindront pas. De toute façon elles n’aiment pas les chasseurs. J’en suis un. Je ne veux et ne peux pourtant pas leur faire de mal avec mon appareil.
 
Elles détalent. C’est raté ? Non, elles jouent, elles se taquinent, font fuir un lièvre. Elles font semblant de partir puis reviennent donner un coup de museau à la copine. C’est un bon signe. Je suis fondu au décor, elles n’ont que faire de cette tâche brun-vert debout au milieu de ce labour.
 
Le vent soulève mes cheveux. Elles arrêtent leur divertissement. Pourquoi n’ais-je pas mis mon bob. Les reflets du soleil ne me font pas de cadeau. L’homme a un défaut, il est blond. La nature le repère au moindre courant. Avec ce froid je devrais m’acheter une cagoule. J’imagine mon icône sur ipernity, mdr.
 
Je suis venu pour photographier mes biches, mes demoiselles. Elles sont là devant moi. A peine à cinq cent mètres. Je me les approprie, elles sont à moi. Je ne regarde qu’elles. Je suis les yeux de Ray, je suis les yeux de Dany, je suis les yeux de … oh lala ! ipernity est une drogue. Garde tes yeux pour toi, nom de nom.
 
Je m’approche encore, à pas comptés. J’ai les doigts gelés. L’appareil pèse une tonne avec cette grande focale. Je m’arrête, observe, reprend mes pas. Je déclenche de temps à autre l’enregistrement d’une photo. C’est encore trop loin, les yeux ne seront que des points.
 
Non je n’ai pas froid. Je suis la terre. Je suis gelé. Seul mon index a le droit de bouger. Un appui sur le bouton doré et claque le miroir. Le bruit intrigue mes modèles, elles me regardent. C’est un face à face qui commence. Elles ne bougent pas.
 
Le courant d’air balance l’objectif. Je suis debout, les jambes en écart. Je suis stable sur mon socle, le bras gauche sous l’appareil. Il le porte. Les doigts règlent la focale. La main droite tient le boitier. Elle a froid. L’index posé sur le déclencheur ne doit pourtant pas bouger de là.
 
Si le vent pouvait s’arrêter ce serait agréable, mon objectif ne jouerait plus les épouvantails.
 
Mais ! Que font-elles ? Elles s’approchent. Elles viennent me voir. Je n’ai pas besoin de m’avancer. Elles le font pour moi.
 
Pourvu que ma pellicule numérique enregistre ce moment magique. Pourvu que les piles gardent leur énergie. Pourvu qu’il ne me vienne pas l’envie de tousser.
 
Le vent souffle, la lentille de mon objectif brille au soleil. Mais elles s’approchent encore. « Clac, clac, clac » fait le déclencheur, elles repartent un instant puis se ravisent, reviennent. « Clac, clac, clac » un pur bonheur. 
 
Je retire l’œil de l’objectif les regardent sans voile, les remercie. Elles repartent en montrant leur derrière de poils blanc. Je sourie. La séance est finie.
 
Quel bel après-midi.