Carnets de voyage




En traversant ma péninsule au volant j'ai le temps de penser à plein de choses, surtout aux voyages de ma jeunesse. En hiver, alors que le travail se faisait rare, nous partions en voiture avec des copains, prenions la route pour aller à Barcelone, l'ancienne Barcelone, celle des quartiers non rénovés, des ramblas non aseptisées, la Barcelone où toutes les aventures étaient possibles...
Les ramblas où tu pouvais acheter des singes, des perroquets, des dépouilles des naufrages ou autres pillages, le royaume du pickpocket, de la pute, du sordide comme des rêves de terres inconnues...

Nous partions donc par les routes, les 4 voies n'existaient pas, passant par des petits villages côtiers maintenant devenus géhenne bétonnée pour touristes sans imagination. Nous offrions notre travail en échange de gîte, couvert et salle de bains, laver de la vaisselle, faire du nettoyage, ces échanges étaient naturels, personne ne se posait la question de la sécurité, des lois du travail, des X heures...

La côte espagnole avait une dimension humaine, les villages avaient une structure les pieds dans l'eau, nous étions heureux et décontractés malgré le franquisme, les gens étaient bienveillants, nous étions jeunes dans un monde encore fait à la dimension de l'homme. Plus pour longtemps, hélas...

Je me souviens aussi, encore plus loin dans le temps, j'avais une voisine qui nous emmenait, ses 4 enfants, un ou deux autres gamins du coin dont moi, faire des promenades dans sa peugeot bleu ciel. Elle préparait un énorme panier de nourriture et boissons, nous qui avions tous moins de 10 ans nous entassions pêle-mêle dans la voiture, chahutions, rigolions, nous chamaillions pour passer du siège avant au siège arrière...
C'était avant l'époque de la ceinture de sécurité et du siège enfant, la conduite était paresseuse, on doublait des ânes et des mules sur la route, le bonheur était insouciant, bon enfant, nous étions bien plus libres et ne mourrions pas davantage pour autant...

Oui, je sais, il y a 50 ans nous étions bien moins nombreux sur la planète, nous nous déplacions moins, on ne nous avait pas encore créé plein de besoins superficiels qui maintenant sont considérés comme indispensables...

À un magasin de station service j'ai regardé les gadgets en vente, kukumuxu fait des customs rigolos, je craque pour un pare soleil de pare brise avant (toujours utile chez nous) et deux rembourrages de ceinture de sécurité avec la vache symbole de cette marque débordant d'une deux chevaux qui rappelait à JP son périple de jeunesse au Cap Nord et, plus récemment, la voiture d'un ami qui se reconnaitra.

Quelques centaines de km plus loin nous nous sommes arrêtés sur une aire un peu pourrie, en bordure de laquelle quelques arbres prodiguaient leur ombre chétive. Près de nous une splendide deux chevaux noire et bordeaux, avec une remorque identique et assortie, le tout impeccable. Un couple de marocains d'une quarantaine d'années avec une petite fille d'une dizaine d'années. Je leur ai dit mon admiration pour la voiture, Jp a enchainé et de fil en aiguille ils ont partagé avec nous les fruits qu'ils étaient en train de manger. Pour se laver les mains ils avaient un bidon distributeur d'eau, une savonnette, des serviettes, tout un art de vivre en voyage...

Nous nous sommes quittés avec regret, conscients de vivre un de ces moments de rare privilège que la vie offre aux gens qui ont, comme on dit chez nous, un "cœur lavé".
Nous sommes repartis avec un melon du Maroc et des oranges, leur avons offert le pare soleil qui était fait pour eux... comme quoi le hasard fait bien les choses... mais es-ce vraiment le hasard? C'est un autre débat...
Nous sommes repartis vers chez nous et eux vers Marseille où leur fils ainé faisait un stage en vue de son master.

C'est ce que je regrette le plus, c'est que dans ce monde d’hypermarchés et centre commerciaux ce type de relations humaines n'est pas favorisé parce que pas rentable.
Que de moins en moins on laisse les gens regarder autour d'eux et voir les autres et non une image des autres.
Que les valeurs humaines deviennent celles de la frime, le paraitre avant tout, le "must have", esclavage des temps modernes.
Que les gens ne vivent plus en empathie avec les éléments, qu'ils ne sentent plus les vibrations de la terre sous leurs pieds nus...

Je vis dans un monde qui me déplait profondément. Je ne survis que grâce à des moments comme décrit plus haut, que par mes amis, mes amours et la part de rêve que la nature sauvage de mon pays permet encore.




Comme toujours l’auteur a tout invente, surtout quand comme moi il vient d’une autre planète… Donc il est clair que toute ressemblance entre des faits, gens ou lieux de cette terre n’est que coïncidence et n’implique aucune responsabilité pour l’auteur.