Ami très Cher,



Nous voici, troubadours errants et égarés, de nouveau séjournant en ce Sot-Royaume…afin d’accomplir les obligations de Secrétaire intérimaire.

Aujourd’hui « Le Roy » veut des huîtres, du foie gras poêlé mais archi cuit avec des pommes suivi d’une tourte aux épinards, car il faut des légumes afin d'aller là où tu peux imaginer...

Ce qui est vraiment dur à supporter sont Ses idées reçues et indiscutables, les gestes et les commentaires qui restent invariables au fil des années ainsi que tout le reste dans ce Château qui est neuf d'ailleurs puisqu’il n'a que trente et quelques années et n'a jamais été entretenu.

Les mêmes circonstances sont toujours associées aux mêmes gestes et aux mêmes commentaires... Une chose qui le déstabilise est de passer toutes Ses commandes que ce soit pour Son pinard, nespresso ou Damart et autres ringardises par internet et payer online au lieu d'écrire et de joindre un chèque...il a fallu lui expliquer qu'en commandant par internet certaines sociétés faisaient cadeau des frais de port pour qu'Il arrête de râler...

Il faut toujours jouer sur la corde sensible: le fric! Plutôt: SON fric... Il adore confondre les francs et les euros toujours à sa convenance, le solde de son compte courant étant toujours supérieur au budget annuel du Royaume, en dessous Il panique...là ce sont des francs...mais quand on acquiert quelque chose pour Lui là ce sont bien des euros!!!! Si un conseiller Lui fait remarquer, quand il rouspète, que ce qu'il a sur son compte courant est supérieur au revenu trimestriel d’une entière famille de Ses sujets, qui en plus sont imposables, il répond que eux reçoivent des euros et Lui n’a que des francs...

J’ai voulu promener la chienne hors de l’enceinte du Château. Les bipèdes locaux, qui utilisent tous les hêtres comme bois de chauffe et repiquent du joli sapin de noël à la place, avaient débardé...de la boue et des ornières partout, le coche s'est enlisé, la chienne s'est roulée dans une bouse, et nous nous sommes crottées pour nous sortir de là!!!!

Ce soir rien pour nous nourrir, Lui qui dine de yoghourts et d’une fiole de concentré de fruits frais (tu devineras aisément dans quel but) est déjà au lit devant la télévision en train de fulminer parce que sur 400 et quelques chaînes il n'y a rien.

Nous nous lançons dans une nouvelle dégustation comparative entre poire et mirabelle...

Mais il faut que je te raconte les deux artistes qui assurent Son service!

Elle est portugaise de la montagne, une "chaude" avec une réputation d'enfer dans le village: tu te rends compte, elle a changé trois fois d'homme... J'ai beaucoup d'affection pour cette femme qui a eu un premier mari alcoolique, deux filles, une bête et méchante et une autre très intelligente et gentille ; Manuela a trimé pour que sa fille fasse des études et ne reste pas comme esclave au Royaume, un grand mérite.

Son compagnon est le benêt du village, grand rougeaud d'1,85m et 120kg, gentil, religieux quasi intégriste et très...primaire...mais, dixit Manuela, avec des attributs moyennement cachés qui compensent.

Une anecdote te donnera une idée des capacités intellectuelles du personnage: il y a quelques années il n'entendait plus. RDV pris chez le spécialiste, il s'est avéré que ses conduits auditifs étaient bouchés par un fagot de têtes d'allumettes... non, je n'invente pas.

Le personnage, pour finir de le planter, n'a pas de chance: ses mère et sœur ont pris ses deux enfants en main suite au décès de sa femme et l'ont dominé comme un toutou de cirque (d'ailleurs c'est un enfant de la balle, ses parents sont des forains qui se sont sédentarisés, lui étant né au hasard des routes). Depuis toujours il sert de l'essence ou du poisson à la grande surface locale.

Mais voilà: un jour il fit la connaissance de la portugaise en mal d'homme...

C’est « jeux interdits » ici…

Donc Manuela a rencontré Gros Louis il y a une quinzaine d’années, un des rares mecs disponibles et pas trop alcooliques du village…et de plus français, ce qui la posait en tant que portugaise mal acceptée.

Mais voilà : Gros Louis était impuissant.

Elle restait avec lui parce qu’il n’y avait aucun autre disponible et qu’elle ne supportait pas de vivre seule, et aussi comme une vengeance contre ceux qui l’avaient méprisée…

Les années passent, conflits sur conflits avec la « belle famille » qui ne voulait pas d’une « petite portugaise » pour le grand beau mâle, petite portugaise accusée d’en vouloir aux sous du bonhomme ; il est vrai qu’il gagne le salaire minimum dans son deuxième travail et ne possède pas un m2 de quoi que ce soit à lui, même le coche est à elle.

Des années durant lesquelles le malheureux se cachait pour aller manger chez sa mère tellement Manuela lui sert de la tristesse à table –aliments congelés, décongelés et recongelés, cuits à l’eau, même les steaks…enfin cela fera partie d’un autre chapitre qu’en fin gourmet tu apprécieras dûment !

Les années passent en domination, le mâle traité plus bas qu’une chaussette sale et trouée par une Manuela qui d’un côté s’en servait et de l’autre le méprisait pour son impuissance et aussi pour son manque de volonté à imposer sa femme portugaise dans les conflits familiaux.

Longtemps il lui a été conseillé de se méfier, qu’un jour cela finirait mal, que n’importe quel homme normalement constitué, bandaison ou pas, serait parti depuis longtemps avec perte et fracas…

Puis il y a deux ans et demi la tornade arriva. La mère et la sœur de Gros Louis trouvant l’occasion de l’arracher des griffes de la portugaise en le jetant dans celles d’une veuve de 16 ans son aînée mais pleine d’argent (un commerce florissant), bonne cuisinière et le feu là où on pense.

Et notre Gros Louis est parti !!!

Je te laisse imaginer le scandale : Gros Louis chez la « vieille » comme un coq en pâte et Manuela en train de hurler et pleurer, allant, sans pudeur aucune, se plaindre au maire qui lui a répondu « que voulez vous que j’y fasse ? »… Plainte chez les autorités pour enlèvement de majeur et risée générale.

Dans tout cela le Roy qui ne mangeait plus car elle ne le nourrissait plus et ses autres sujets, obligés de subvenir en catastrophe…

D’un côté Manuela qui du coup a perdu les 15kg qu’elle avait en trop, pleurant, hurlant telle une pleureuse méridionale, se ridiculisant aux yeux de tout le village qui s’amusait bien, de l’autre le Roy qui paniquait car seul au milieu du maelstrom , et Gros Louis…ah Gros Louis…

…qui venait chez les autres portugais du bourg pleurer « ah ma Manuela, elle me manque, elle est si belle, mais ma maman veut que je reste avec la Madeleine (la vieille en question). Ah mais qu’es-ce que je mange bien, et je baise, je baise, je l’ai tirée 7 fois dans la nuit, bouououhhhhhhhh ! Ma Manuela elle me manque ! Et bis repetita avec nous, pauvres sujets intérimaires de cette triste Cour…

Gros Louis, les kilos que Manuela a perdu il les a gagnés chez la vieille, son linge était impeccablement repassé –ça Manuela ne le fait pas non plus- et une de ces crises de goutte !!!! Mais « ah je baise enfin, qu’es-ce que je baise !!! »

Il a quand même eu un sursaut de culpabilité et est revenu vivre au Château… et au grand bonheur de Manuela qui non seulement marchait tête haute à côté de son homme, comme, parti impuissant (un complexe induit par la mère et en rapport avec la femme dont il était veuf), il était revenu avec un féroce appétit…dont Manuela se repaît encore aujourd’hui tant qu’elle peut !

Grand benêt paie cher son escapade…. Son taux d’acide urique crevant les plafonds à la moindre incartade il est au régime…bouilli, il crève d’ennui alimentaire. Il est surveillé comme le lait sur le feu, elle est tout le temps après lui, Gros Louis ceci, Gros Louis cela…mais elle a donné du lest : elle l’emmène dorénavant au Portugal avec elle et il a adoré le pays et la famille de Manuela, elle fait des projets avec lui…et ce benêt y trouve sa compensation même s’il râle dans son dos.

Ah, la vie sexuelle… Il se trimballe tout le temps en caleçon au Château –la vision n’est pas terrible- et comme c’est un grand simplet il la tripote devant le Roy, main sous la jupe ou dans le décolleté, et l’effet s’en faisant pressant l’emmène vite fait de l’autre côté pour…donner un spectacle sonore au Roy qui a pris parti d’en rire…

Mais…et la vieille dans tout ça ?????

Gros Louis paraissait dorénavant mener une petite vie bien rangée à la maison après avoir été confesser son péché –ne pas oublier qu’il est très croyant et que l’adultère est peccamineux-. Manuela menant une vie sexuelle intense, lui nourri à l’innommable, le Roy à peu près convenablement …

Bien sûr notre Manuela, qui n’a pas repris les kilos perdus, impose à tout le monde un régime draconien, fait des crises de paranoïa, chaque visiteur ayant droit à tout un exposé sur la vieille qui poursuit Gros Louis et qui les abreuve d’appels anonymes. En conséquence chaque fois que quelque sujet souhaite joindre le Roy il lui faut d’abord appeler les voisins pour qu’ils viennent prévenir, le téléphone étant en permanence décroché !

Tout va bien dans le meilleur des mondes….

…jusqu’à il y a deux semaines …

Le Secrétaire, en rentrant, rencontre le facteur qui lui remet le courrier en main. Machinalement, il ouvre la première enveloppe comme si c’était le courrier du Roi et un papier en tombe, petit carré blanc avec écrit dessus :

« Faites cesser les insultes avant que les gendarmes ne vous rendent visite »

Stupeur…il s’est empressé de lire la lettre qu’il y avait dans l’enveloppe, adressée à Manuela, pas dans un souci premier d’indiscrétion mais pour savoir ce qui allait tomber sur le Château et surtout afin de pouvoir préserver le Seigneur et Maître des lieux:

« Manuela,

Gros Louis devait être très mal lorsque je vous ai appelé le mercredi 4 décembre. En a-t’il profité pour vous dire la vérité, je doute. Il savait que je voulais vous appeler et c’est pour ça que mardi 2 après midi le téléphone a été décroché toute la journée. Je voulais vous dire que j’en ai assez des insultes au téléphone.

Sachez que ce n’est pas au cimetière que nous nous rencontrons et que nous n’avons besoin ni de sa mère ni de sa sœur pour nos rendez vous. C’est vrai que depuis plus de deux ans très régulièrement nous sommes ensemble et pas pour enfiler des perles (si vous connaissez cette expression).

Vous n’êtes pas obligée de me croire, quelques détails vous ôteront le doute. Toute la ville est au courant de votre infortune conjugale, nos petits commerçants, le personnel du supermarché rigole dans votre dos, vous êtes la risée de tous. Sachez que ce n’est pas en promenant son compagnon comme un petit garçon qu’on le récupère, ni en l’emmenant par la main chez le coiffeur. Plus Gros Louis était surveillé, plus il venait vers moi.

Et nous ne nous sommes pas gênés pour en profiter. Il y a plusieurs mois chez sa mère vous avez dit à Gros Louis au téléphone : « j’ai vu tu sais qui, fais attention tu es encore fragile », pas si fragile que ça, un peu plus tard il était dans mes bras. Je connais tout de vos balades, jus de pomme chez Pierrot Bonnepanse, il doit bien rire car il sait, escapade aux rochers, marche à l’étang, etc. etc…

Je sais aussi comment vous avez fait pour le récupérer, je passe sur les détails croustillants. Et vos crises de larmes et vos crises de nerfs, etc…vous êtes une bonne comédienne car une seule chose vous intéresse chez Gros Louis, c’est sa retraite et toute la ville le sait.

Vous vivez avec un menteur et il est très doué pour cela. Maintenant vous voulez une preuve qui ne vous laissera plus aucun doute sur ses mensonges et ses infidélités. Quelques jours après votre retour de cure il avait une plaie très mal placée (sur le zizi) et nos ébats n’ont rien arrangé. Vous voyez ça marche très fort entre nous, après une visite chez le médecin j’ai pu constater la guérison. Vous voulez d’autres détails, non j’arrête, j’allais oublier l’écharpe qu’il a perdue l’hiver dernier c’est moi qui l’ai.

Je sais que Gros Louis va m’en vouloir de vous révéler sa double vie mais comme je lui ai dit lundi il faut que tu assumes. Je lui ai dit également qu’une fois de plus vous lui pardonneriez, sa retraite vous intéresse. Je sais qu’il est aux petits soins avec vous de sorte que vous n’ayez aucun doute sur sa fidélité et vous n’avez rien vu venir.

Voilà où cela mène de n’aimer personne même pas ses propres enfants et petits enfants. Sans compter que vous en êtes à votre 3ème compagnon « officiel » à votre place je me poserai des questions. Une seule chose ne faites aucun mal à Gros Louis, s’il reste c’est par peur il est effrayé de savoir ce que vous êtes capable de faire et je le comprends. J’ai annulé tous nos rendez vous. Je vous plains sans rancune.

Mais je fais ce que je veux quand je veux car je suis libre et j’assume.

Signé : Madeleine »

Donc, après concertation, nous avons décidé d’aller trouver Gros Louis sur son lieu de travail, seul endroit où il était possible de le voir sans que Manuela rôde, à l’heure où elle fait le ménage des annexes.

Je fais un aparté sur le look du Secrétaire, car pour la suite c’est important. Il a déjà beaucoup de prestance naturelle, mais là il était habillé d’un manteau long en cuir noir et mat, boots noires en buffle, gants en cuir à gros grain, sa tête ronde au crâne rasé de frais et légèrement luisant…ne manquaient plus que des lunettes rondes cerclées de métal pour que l’image n’incite une pure terreur…

Moi le suivant, petit produit des vaches maigres, engoncée dans mes pelures multiples et superposées, nous entrons au supermarché, et le Secrétaire, de sa grosse voix distinguée et en même temps traînante comme celle des paysans, demande très poliment où peut-il trouver Gros Louis…

Gros Louis en nous apercevant part de son sourire de benêt heureux et le Secrétaire de lui dire : « ah, tu souris mais dans trente secondes ton bonheur sera terminé pour un bon moment »… Gros Louis finit de servir les clients en cours et vient vers nous. Le Secrétaire lui tend la lettre, et en la voyant Gros Louis dit : c’est la vieille, lis, répondit le Secrétaire…

- alors tu y es retourné ?

- non, non…

- si, tu y es retourné !

- euh non, enfin oui

- ah, tu y es retourné donc !

- oui, elle menace de se suicider, de se balancer sous le tacot…

- pas grave, ça fera une merde de moins dans la ville !

- mais la police…

- quoi la police ?

- ils vont m’accuser..

- de quoi ? elle ne pourra t’accuser de rien…

- …

- tu choisis Gros Louis, tu couches avec qui tu veux mais pas avec ces deux folledingues en même temps, j’exige une situation claire car je ne veux pas que le Roy en pâtisse.

- oui, promis, je vais lui dire que c’est fini, je n’y retournerai plus.

- et ne t’avise pas d’en parler à Manuela, de faire un autre scandale parce que là je te pourris la vie, et le mot est faible, tu vivras un enfer, tu ne relèveras plus jamais la tête.

- promis Secrétaire, je te jure sur la tête de mes enfants, devant dieu et devant le prêtre à la basilique si tu le souhaites.

Entretemps les curieux nous encerclaient discrètement, faisant semblant de fouiner dans les gondoles…

- bon, retourne travailler maintenant

Et le Secrétaire de tourner le dos et de partir. Quelques mètres plus loin il se ravise, revient en arrière et dit avec sa grosse voix de commandement : je veux te voir après le travail, et seul.

Je ne te raconte pas la tête des chalands, nous sommes encore morts de rire rien que d’y penser…

Gros Louis nous a dit après qu’il avait fait le nécessaire et qu’il en était soulagé. Mais nous pensons que la vieille ne va pas lâcher le morceau comme ça…mais s’il y a une suite elle sera pour l’été.

Notre séjour en ces terres touche à sa fin, ami qui nous est cher, et nous chevaucherons demain vers nos lointaines et désertiques contrées.



Souhaitant t’avoir diverti et distrait de ta peine.



Signé : Tes Amis Errants



________________________________________________________

Comme toujours l’auteur a tout invente, surtout quand comme moi il vient d’une autre planète… Donc il est clair que toute ressemblance entre des faits, gens ou lieux de cette terre n’est que coïncidence et n’implique aucune responsabilité pour l’auteur.