Découverte à Cannes avec Persépolis, adaptation de sa propre BD racontant son enfance en Iran (Prix du jury 2007), l’épatante Marjane Satrapi poursuit son parcours de réalisatrice en signant, après Persépolis, Poulet aux prunes et La Bande des Jotas, son premier film américain : The Voices. L’histoire d’un « gentil » serial killer schizophrène (Ryan Reynolds) qui entend son chat et son chien lui parler. Une comédie horrifique assez jubilatoire, dont cette incorrigible bavarde au débit de mitrailleuse lourde nous dit tout (et plus) dans l’entretien ci-dessous…

C’est la première fois qu’on vous propose de réaliser un film de studios?
Non, j’avais refusé Maléfique avec Angelina Jolie parce que je n’aimais pas cette histoire de sortilèges.Je serai incapable de faire un film pour lequel je ne paierai pas moi-même dix euros pour le voir au ciné. Là, le coup des animaux qui parlent ça m’a plu tout de suite. Vous savez, la plupart des films américains sont des films de commande : Le Parrain comme le dernier Clint Eastwood. C’est pour cela que les producteurs américains sont célèbres, contrairement à leurs homologues européens.

Qu’est-ce qui vous attirait dans cette histoire de serial killer?

Quand j’ai lu le scénario, il ne me faisait pas penser à quelque chose que j’avais déjà vu. J’étais assez intriguée par l’empathie que je ressentais pour le tueur et je savais que je pourrais le faire aimer au spectateur. Ce n’est pas un prédateur, il est malade. Jerry est un petit enfant de 11 ans dans le corps d’un homme; Il essaie de tout faire bien, mais ça ne marche pas… Évidemment, j’adorais aussi l’idée du chat irrévérencieux et malpoli qui lui parle. J’ai vite été obsédée par le projet. Au point de calculer, par exemple, le nombre exact de Tupperware qu’il faudrait à Jerry pour cacher le corps découpé de Fiona, le personnage joué par Gemma Arterton. Je suis une maniaque de ce genre de détails. Je me dis que s’il y a un autre dingo comme moi dans la salle, il va trouver invraisemblable qu’on puisse rentrer tous ces morceaux de viande dans un trop petit nombre de boîtes. J’ai aussi tout un questionnaire bizarre sur les personnages que je remplis avant le tournage, au cas où un des acteurs voudrait savoir quel sport pratiquait l’oncle du héros…

Vous avez décidé de changer de registre à chacun de vos films?

En tout cas, ça ne me fait pas peur.C’est pour cela que j’ai accepté cette proposition de film américain.En France on est trop vite catégorisé. Aux États-Unis, peu importe ce que vous avez fait avant.S’ils croient que vous pouvez le faire, ils vous prennent.Maintenant, j’aimerais faire un film de guerre, une comédie musicale et une comédie romantique.Mais sans mariage à la fin…

La BD, c’est fini?

Oui, je n’en ai plus envie.J’en lis encore, mais je n’en ferai plus. Je préfère le cinéma. Si j’ai besoin d’être seule, je peins. Je pense qu’il y a un cinéma des gens qui savent dessiner. Ce n’est pas que je me compare à eux, mais Almodovar, Fellini et Fritz Lang ont fait des films différents parce qu’ils savaient dessiner. Le rapport au cadre et à la couleur est différent. Pour moi, un plan c’est un tableau. Graphiquement, il faut que ce soit parfait. Ma formation au dessin fait que mes films ont une identité plastique forte.

Et puis aujourd’hui c’est moins dangereux de faire des films que des dessins…

Cette affaire des caricatures me rend folle.La question n’est pas de savoir si c’est sacrilège ou pas de représenter le prophète. La question c’est : « Est ce que vous avez le droit de faire un dessin ? Oui.Est-ce que vous avez le droit de tuer des gens parce qu’ils dessinent? Non ». Si tu penses que tu vas être offusqué par un film ou un dessin, ne le regarde pas, c’est tout.

Ca vous arrive, comme à votre héros, d’entendre des voix?

Je suis tellement bavarde qu’il n’y a pas la place dans ma tête pour d’autres gens qui parlent! (rires).Moi, ce sont plutôt des images qui m’obsèdent. Alors, j’en fais des films.