Déjeuner avec Amélie Nothomb, c’est l’assurance d’un moment joyeux, d’une conversation aussi pétillante que le champagne qu’elle assure avec grand sérieux boire sur prescription médicale (Dom Pérignon 2003, le Graal du connaisseur) et d’une belle moisson d’aphorismes (« Le surréalisme c’est le comble de la banalité transcendé par un regard bizarre.Je suis un écrivain surréaliste »). On ne s’est donc pas fait prier pour la retrouver dans un restaurant parisien pour parler de Tokyo Fiancée, la très jolie adaptation de son deuxième roman japonais (Ni d’Eve ni d’Adam) par son compatriote Stefan Liberski (Bunker Paradise, Le Break, Baby Balloon).Toujours l‘air sortie d’une BD de Tardi (Adèle Dom Pérignon?), Amélie ne s’est pas fait prier, non plus, pour s’épancher sur son rapport au cinématographe…

Qu’est-ce qui vous fait dire oui (ou non) à l’adaptation d’un de vos romans?
La démarche est toujours la même : avant d’offrir les droits, je suis dans le rôle de la future belle-mère : très indiscrète, un peu odieuse. Mais si le futur gendre me convient, je dis oui et je ne me mêle plus de rien. Je lui dis : « Ce que vous allez faire avec ma fille ne me regarde pas, faites-moi juste un beau bébé ».Jusqu’ici, j’ai eu un très vilain petit enfant avec Hygiène de l‘assassin (François Ruggeri 1998) et deux très beaux bébés avec Stupeur et Tremblements (Alain Corneau 2002) et celui-ci. C’est le risque d’être grand mère.Mais avec Stefan, je savais que ma fille serait entre de bonnes mains : il est Belge comme moi et c’est un véritable amoureux du Japon. Je trouve que son film a la fraîcheur des premiers Godard, un côté Nouvelle Vague…

Quel est, de manière générale, votre rapport au cinéma?

Je vais énormément au cinéma. Si je m’écoutais, j’irais tous les jours. J’adore les salles obscures. Je vais tout voir, de la dernière rétrospective guatémaltèque au dernier Clint Eastwood. J’adore Stephen Frears, Polanski et Hitchcock plus que tout. Le meilleur film de l’histoire de l’humanité c’est Vertigo. Plus on le voit, plus il demeure mystérieux…

En quoi les images influencent-elles votre écriture?

Je n’ai aucun rapport à l’image quand j’écris. C’est avant tout une aventure de langage. C’est quelque chose que j’entends, pas que je vois. Je ne publie qu’une infime partie de ma production, vous savez. Je choisis parmi les 3 ou 4 textes que j’écris dans l’année celui qui me semble pouvoir parler à d’autres qu’à moi. Les autres textes vont dans des boîtes à chaussures, mais je les aime de la même manière.Ce sont tous mes enfants.J’en ai déjà 81 à ce jour.


















Le film et le roman vous mettent en scène à l’âge de 20 ans.Vous dites : « Je n’avais rien trouvé de ce que je cherchais et c’est ce qui me plaisait »

J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que j’étais une Japonaise ratée. J’écrivais déjà, mais je ne soupçonnais pas que j’aurai un jour le courage d’envoyer mes manuscrits à un éditeur. Il a fallu l‘échec professionnel et l’extrême humiliation que je raconte dans Stupeur et tremblements pour que je me décide à montrer ce que j’écrivais. Aujourd’hui, j’ai trouvé ce que je cherchais. Je suis un écrivain comblé. Écrire, c’est vraiment ce que je voulais faire. Je ne sais pas si mes livres sélectionnent leurs lecteurs, mais je trouve que ce sont les plus chouettes du monde…

Comment expliquez-vous votre succès?

Je ne me l’explique pas. J’étais stupéfaite d’être publiée en 1992, et par un grand éditeur qui plus est.Je me voyais plutôt comme un auteur confidentiel, qui s’adresserait à une toute petite élite. Et voilà que je suis un auteur tout public, et même grand public! J’en suis enchantée, mais je ne comprends toujours pas pourquoi. La seule chose que je constate, c’est que je peux être lue de manière savante aussi bien que par quelqu’un qui n’a jamais rien lu de sa vie.Pour une raison étrange, ça fonctionne de la même façon.

Que deviendront vos nombreux manuscrits non publiés après votre mort?

J’ai demandé par testament à ce qu’ils soient coulés dans un bloc de résine.C’est la seule manière de les rendre impubliables sans les détruire.On ne peut quand même pas brûler ses propres enfants...