La question qui se posait, à propos de la présence du nouveau film de Jean-Luc Godard (Adieu au langage) en compétition, était de savoir s’il la devait à son grand âge (83 ans) et à ses états de service prestigieux, ou bien à un hypothétique retour de génie. Car enfin, l’ermite de Rolle (qui n’a pas jugé utile de quitter les bords du lac Léman pour venir accompagner son film à Cannes) n’a plus rien produit d’à peu près regardable depuis, disons Détective (pour être aimable). Soit bientôt 30 ans...
Il faut croire que la question passionnait les foules, puisqu’on s’est pressé comme jamais à l’unique projection hier après-midi. Même avec le badge adéquat (blanc « presse soirée »: le Saint Graal du festivalier), il fallait arriver trois quarts d’heure à l’avance pour espérer avoir une (mauvaise) place sur les côtés ou au fond de la salle. Il a pourtant fallu moins de 5 minutes pour se rendre compte que, comme son prédécesseur (Film Socialisme, en 2010), Adieu au langage est un simple collage d’images assorti de commentaires en voix off, sans le moindre intérêt, ne parlons même pas de génie. Un peu comme si l’on avait confié une caméra vidéo, successivement, à un touriste du Lac Léman, à un amateur de botanique, au propriétaire d’un chien à l’heure de faire ses besoins et à un couple naturiste constipé, en leur demandant de ne pas filmer plus de 30 secondes et de se repasser la caméra. On aurait ensuite rajouté, sur les soixante-dix minutes d’images ainsi recueillies, une musique stridante et des voix off déclamant des aphorismes idiots, avant de bricoler le tout avec un logiciel de 3D révolutionnaire : en fermant l' oeil droit, on voit parfois une image différente qu'en fermant l'oeil gauche, puis les deux fusionnent (consulter l'occuliste si les troubles persistent). Séquences cultes: un homme fait caca en imitant le penseur de Rodin et un chien se roule dans ses excréments...
Ce n’est pas Adieu au langage que ce film-là aurait dû s’appeler, mais Adieu à Godard. Cette fois, on l’a vraiment perdu.