C’est à Beaune, où il a installé ses Ateliers du cinéma et tourné son dernier film, Chacun sa vie, avec le plus incroyable casting du cinéma français, que l’on rencontre Claude Lelouch.Parisien de naissance, sa vie a véritablement commencé à Cannes en 1966avec la Palme d’or d’Un homme et une femme.Alors que le Festival s’apprête à célébrer son 70e anniversaire, et lui son 80e, Lelouch se retourne sur son parcours de vie et de cinéma et jette un regard optimiste sur l’avenir.
Qu’est-ce qui continue à faire courir Claude Lelouch?
Je vis une double histoire d’amour avec la vie et le cinéma. L’un renforce l’autre et les deux se confondent. Quand je suis riche, je fais des films de riche. Quand je suis pauvre, je fais des films de pauvre. Je pourrais faire un film avec un portable. Ca me tente d’ailleurs. J’ai toujours le goût de l’aventure. Et à l’age que j’ai, je peux prendre encore plus de risques. Quoiqu’il arrive, je me serai bien marré.

Comment naît un film de Claude Lelouch?
Chaque minute invente celle d ‘après, chaque vie celle d’après, chaque film celui d’après.Ce qui m’a poussé à faire Chacun sa vie, c’est l’immense plaisir que j’ai eu à tourner Un plus une, avec Jean Dujardin et Elza Zylberstein.j’ai découvert en le faisant, en équipe réduite, avec une caméra numérique, que je pouvais m’amuser encore plus en faisant du cinéma.

Dans sa forme- très libre-, comme dans le fond, Chacun sa vie est peut-être votre film le plus moderne…
Oui, c’est un film qui correspond au goût d’aujourd’hui.On pourrait le regarder sur son portable, en plusieurs fois. Il y a 13 histoires dedans, dont j’aurais pu faire 13 films.Mais je n’aurais jamais eu le temps de les tourner.Alors j’ai fait des compressions.Tous mes prochains films seront compressés, car il me reste peu de temps. Notre mémoire collective de spectateurs fait qu’on peut faire des ellipses plus facilement, aller à l’essentiel.On n’est plus obligé de tout montrer, de tout expliquer. Le film parle de ce qui se passe aujourd’hui.J’ai toujours fait des films d’observation. Je suis un reporter de la vie, un metteur en vie, plus qu’u n metteur en scène. J’ai passé ma vie à observer les hommes, c’est un spectacle dont je ne me lasse pas. J’ai eu le déclic en assistant à un procès où plaidait Eric Dupont Moretti, qui joue le juge.En regardant autour de moi, j’ai pensé que l’accusé n’était certainement pas le seul à avoir des choses à se reprocher.On a tous des casseroles. Je n’aurais pas pu faire autant de films si je n’avais pas pris, moi aussi, quelques raccourcis… Ca résonne étrangement avec la campagne électorale qu’on est en train de vivre, non? (1) J’ai tout fait pour qu’il sorte pendant la campagne.Je me disais que ce serait utile que les gens le voient avant d’aller voter…

Outre la culpabilité, l’autre grand thème du film, c’est le désordre de nos sociétés.
Le chaos même! C’est une comédie du chaos. Qui a élu Trump?Qui a fait le Brexit?Qui a dirigé la campagne pour les présidentielles? C’est le chaos! Je crois à l’incroyable fertilité du chaos. Tout ce que j’ai réussi dans ma vie, je le dois au chaos. J’ai eu une vie incroyablement chaotique, il faut dire! (rires)

Et vous pensez vraiment qu’il peut sortir quelque chose de bon de ce désordre généralisé?
Mais oui, bien sûr! Tout le monde croit qu’on court à la catastrophe, pas moi.La période que nous traversons va déboucher sur quelque chose de fantastique, j’en suis certain. C’est pour ça que j’ai fait ce film: pour montrer que le chaos est nécessaire, pas négatif. En plus, je dois dire que le chaos actuel est incroyablement cinégénique…
Pourquoi avoir choisi Beaune pour installer vos Ateliers du cinéma?
C’est une ville très cinégénique. J’avais envie d’y tourner et je me suis aperçu qu’on pouvait y faire aussi tout le reste.Les 13 étudiants de la première promotion ont suivi toute la création de Chacun sa vie. On les a recrutés sur la foi d’un court-métrage réalisé avec un portable.Ce sont les premiers auxquels j’ai raconté l’histoire et ils ont travaillé sur toutes les étapes du film: du scénario au tournage, jusqu’au montage final. C’est la meilleure façon d’apprendre le cinéma: en le faisant! C’est comme ça que j’ai débuté, en 1957. 60 ans plus tard, je leur passe le relais.

(1) Cet entretien a été réalisé en début de campagne électorale.Claude Lelouch ne se doutait pas à quel point la suite allait lui donner raison…