De mai 2015 à mai 2016, le délégué général du Festival de Cannes a tenu son journal de bord. Une mine d’infos et d’anecdotes sur le Festival, vu de l’intérieur...

Il a le 06 de Robert de Niro, tutoie Martin Scorsese, tient la dragée haute aux moguls d’Hollywood, visionne des films avec le président de la République, est reçu chez Steven Spielberg, bois des coups avec Jim Harrison et Iggy Pop, dîne avec Leïla Bekhti, Nicole Kidman lui envoie des fleurs et seule Catherine Deneuve est encore capable de l’intimider comme un collégien. Délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux a le plus beau métier du monde: il choisit les films qui iront à Cannes et attends, tout en haut des marches du Palais, que les stars montent jusqu’à lui pour le remercier…
Certes, le job a aussi quelques inconvénients.D’abord, il faut supporter la critique («Si la sélection est bonne c’est grâce aux films.Si elle est mauvaise c’est forcément de ma faute») et les humeurs des cinéastes qui rêvent tous d’aller à Cannes mais lui en veulent s’ils n’ont aucun prix.Et puis, il faut aimer voyager: le DG de Cannes (qui est aussi directeur de l’institut Lumière à Lyon, où il organise un autre festival) dort rarement plus de 4 jours dans le même lit, il peut faire un aller-retour à New York dans la journée juste pour rencontrer un réalisateur et il partage son temps entre l’Institut Lumière, les bureaux du Festival à Paris, la Croisette au mois de mai et le reste du monde dans les créneaux disponibles. Le TGV Lyon-Paris et les lounges d’aéroports n’ont plus de secret pour lui. Sinon, il se déplace essentiellement en vélo, sa troisième passion après le cinéma et le foot, avant le rock, la chanson française et les tracteurs.Eddy Merckx et Bruce Springsteen sont ses héros, au même titre que les grands auteurs de cinéma d’hier et d’aujourd’hui…
Tout cela, on l’apprend à la lecture des 600 et quelques pages du volumineux journal de bord qu’a tenu Thierry Frémaux entre mai 2015 et mai 2016: d’un palmarès à l’autre.

Bruce Springsteen au jury?
Une idée de Sabine Azéma, dont Grasset compte bien faire ses choux gras: le Festival vu de l’intérieur, c’est de l’inédit! L’institution a longtemps cultivé le secret absolu.Mais à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, comment faire? se demande le Délégué Général, qui déteste les selfies mais pas les confidences. Même s’il ne faut pas attendre de révélations chocs, d’indiscrétions, ni de règlements de comptes (Frémaux a «une cinéphilie heureuse» et aspire à être «copain avec tout le monde»), on trouve quand même, au fil des pages de ce journal passionnant et remarquablement bien écrit, des réponses aux questions qu’on pouvait se poser sur la dernière édition du Festival. Et même quelques infos utiles pour les prochaines!
Thierry Frémaux avoue ainsi avoir sélectionné en compétition le film de Sean Penn, The Last Face, sur la foi de quelques images en se fiant à la qualité de ses films précédents.Grave erreur: le film s’est tellement fait étriller sur la Croisette que son réalisateur a eu du mal à s’en remettre. Autre aveu: le DG a menti lors de la conférence de presse de présentation de la sélection, en disant que Nocturama de Betrand Bonello n’avait pas été montré aux sélectionneurs. Mais c’était pour la bonne cause, explique-t-il: la critique n’aurait pas pardonné au réalisateur Niçois son «hors sujet» sur les attentats…
Frémaux confirme aussi que Pedro Almodovar s’est fait prier pour montrer son nouveau film (Julieta) au Festival, toujours coupable à ses yeux de ne lui avoir jamais décerné de Palme. Sur la composition du jury, qui tient le lecteur en haleine autant que la sélection des films, ThierryFrémaux confie avoir proposé la présidence à Jean-Luc Godard (qui a refusé) et penser depuis longtemps à Mick Jagger, qui est un fidèle discret du Festival. Et pourquoi pas à Bruce Springsteen, dont il est un fan absolu (des pages entières lui sont consacrées)? Il n’en fallait pas plus pour lancer une des premières rumeurs du Festival 2017! Tant qu’à lire entre les lignes, on parierait plutôt sur une présidence féminine.Pour Juliette Binoche, c’est «quand elle voudra» affirme en substance le DG. Et Katheryn Bidgelow, la réalisatrice américaine de Zero Dark Thirty, ferait une excellente candidate à la présidence: Frémaux ne se pardonne toujours pas d’avoir refusé Démineurs lorsqu’il a été présenté à la sélection. On s’étonne enfin que l’omniprésent Laurent Gerra n’ait pas encore fait partie du jury: vieux copain lyonnais du délégué général, l’humoriste est omniprésent dans les pages.Et c’est le premier à avoir deviné qui aurait la Palme d’or en 2016 : «Vous voyez des centaines de films et le vainqueur sera Ken Loach!» s’était-il moqué à l’annonce de la sélection. Des centaines?1867, très exactement. Ca en fait des voyages…
Sélection Officielle par Thierry Fremaux, Grasset, 616 pages, 23,40 e.