Dans La mécanique de l’ombre, film d’espionnage de Thomas Kruithof, actuellement sur les écrans, François Cluzet joue le rôle d’un chômeur longue durée qui accepte un étrange travail : écouter et retranscrire des écoutes téléphoniques pour le compte d’une mystérieuse agence para-gouvernementale.#Un personnage de taiseux pris dans un engrenage infernal, dans lequel la star d’Intouchables fait une fois de plus merveille. Sa prestation, épurée à l’extrême, pourra être étudiée dans les cours de comédie au chapitre «comment exprimer beaucoup avec le moins d’effets possible». Depuis Intouchables, Cluzet est devenu un maître en la matière. Il nous explique comment en cinq leçons...

Leçon 1 : Ramener le personnage à soi
« Quand j’étais jeune, on ne parlait que du personnage. Il fallait toujours se dépasser. On était dans la performance. J’ai mis longtemps à me rendre compte que le personnage, il avait ma voix, mon corps, ma gueule. Si on m’avait choisi c’est parce que je lui ressemblais. Un acteur c’est d’abord un corps dans une situation. Si tu n’as pas de présence, tu n’en auras jamais, quel que soit le texte qu’on te donne à dire. Si tu joues Molière, c’est pas la même chose, mais au cinéma tu as intérêt à ramener le personnage à toi et à arriver à une forme d’abandon. Interprète, c’est un rôle essentiel, mais c’est aussi relativement modeste. On ne va pas voir un film pour un acteur mais pour une histoire. Finie l’époque où on allait voir le dernier Delon ou le dernier Belmondo. Aujourd’hui, si le film est bon et que vous ne connaissez pas les acteurs vous y allez quand même. C’est l’histoire qui compte.

Leçon 2 : Travailler en amont

La direction d’acteur ça sert pas à grand-chose. Le travail se fait en amont : en écoutant le metteur en scène , en posant toutes les questions, en lisant le script jusqu’à le connaître quasi par cœur . Sur le plateau c’est trop tard : tu ne vas pas me réexpliquer le scénario : je l’ai lu ! S’il faut diriger les acteurs sur chaque prise, c’est soit un mauvais casting soit un manque de travail. On peut juste corriger le rythme ou le ton. Comme disait Chabrol en montrant le plateau : « La direction, c’est par là ! » . Le gros du travail tient dans la préparation.


Leçon 3 : En faire moins

Quand on a un rôle de taiseux comme dans La Mécanique de l’ombre ou d’handicapé comme dans Intouchables, rien ne passe par le dialogue, ni par la gestuelle. Tout se passe dans sa tête : il faut penser très fort à ce qu’on veut exprimer pour que ce soit lisible dans ses yeux, et pas seulement la peur ou l’angoisse. Si on le fait, ça va se voir… Sauf si le réalisateur ne le filme pas ! J’aime beaucoup cette anecdote d’un acteur américain célèbre auquel le metteur en scène demandait s’il pouvait jouer la scène de manière « plus expressionniste ».Il a répondu : « Non, mais toi tu peux rapprocher ta caméra ».J’annote beaucoup le scénario, je coupe tout ce qui n’a pas besoin de se dire pour être exprimé. Je ramene toujours les roles en deça de ce qu’ils sont au lieu de tout accentuer pour en faire une performance. Ca réduit le champs d’action mais ça finit par donner une présence. Dans les petits mouchoirs, je disais toujours à Canet : « Il faut qu’il en fasse moins, c’est à l’intérieur que ça se passe. Le mec est dingue, on doit le sentir ».




Leçon 4 : ne pas jouer, vivre

Je n’aime pas tellement le terme de «jeu ».Comme disait Guitry, on est tous des comédiens sauf quelques acteurs. Moi, j’essaie plutôt de donner de la vie. Pour incarner il faut y croire, essayer de vivre la situation sans la jouer pour que le spectateur puisse s’identifier aux interprètes.
C’est plus dans la salle que ça se joue joue qu’à l’écran : si on joue trop à l’écran, le spectateur n’a plus rien à raire et il s’ennuie : tout est recuit. Ce qui me plaît, c’est l’accident permanent. J’aime bien cette idée de vivre les situations et c’est tout, de ne pas ramener ça à une grande scène. Longtemps ça m’a fait peur parce que je craignais qu’il ne se passe rien et puis je me suis rendu qu’au compte qu’au contraire. Intouchables m’a bien appris la dessus. Comme je n’avais pas le corps, c’est Omar qui jouait pour nous deux. J’ai accepté le rôle en connaissance de cause et parce que j’avais la maturité suffisante pour faire un choix d’abnégation. Je l’ai d’ailleurs dit tout de suite à Omar : « Tu vas jouer pour nous deux, mais je vais te donner tout ce que je pourrai ». J’ai été récompensé par l’immense succès du film et aussi par le fait que les gens se souviennent autant de mon personnage que de celui d’Omar.


Leçon 5 : l’important c’est le film

J’ai le goût du collectif : c’est le film qui m’intéresse, plus que le rôle. J’ai impression d’avoir déjà tout joué. Ce n’est pas le rôle qui me décide à accepter un film, je m’en fous. Parfois c’est même le contraire ! Ce qui m’intéresse, c’est l’histoire, l’équipe, les acteurs, le travail qu’on va pouvoir faire ensemble. Une fois embarqué je fais confiance jusqu’au bout. Un film c’est une croisière, un paquebot : on y va pour le meilleur et pour le pire, en faisant confiance au pilote et à l’équipage.