Directrice du Midem depuis dix ans, Dominique Leguern a été le témoin privilégié de la révolution numérique qui a frappé de plein fouet l’industrie de la musique. Avant de passer le relais à son successeur, Bruno Crolot, anciennement en charge du développement digital chez Sony Music, cette grande fan de rock (elle a commencé sa carrière avec le groupe Téléphone) et de musiques du monde, tire le bilan de ces dix années qui ont ébranlé l’industrie de la musique...


Comment avez-vous vécu, de votre poste d’observatoire du Midem, l’explosion de la musique numérique?
Ce fut à la fois terrifiant et passionnant. Cela a été comme un big-bang et au début personne ne savait ce qui allait en émerger. Je crois modestement que nous avons réussi à accompagner le changement et à montrer le chemin.Nous étions même parfois un peu en avance et ça nous a valu des critiques, comme lorsque nous avons invité Napster et créé le Midemnet en 2000. Beaucoup ne voulaient pas voir cette évolution de l’industrie. C’était une remise en question totale et ce n’était pas évident pour tout le monde. La thématique du premier Midemnet était « Digital Music Everywhere » (La musique digitale partout). On ne s’était pas trompés.Pourtant seuls 150 de nos 7000 congressistes sont venus à la conférence. Aujourd’hui, on refuse du monde.

Quel a été le tournant?
Le lancement d’iTunes en 2004 a clairement marqué un avant et un après. C’était la première offre de musique légale avec la possibilité d’acheter une seule chanson plutôt qu’un album entier.

Quel bilan peut-on tirer, aujourd’hui, de la révolution numérique dans la musique?
On a gagné une accessibilité très importante aux catalogues et aux répertoires. Aujourd’hui, on a la possibilité d’écouter et d’acheter des titres qu’on n’aurait jamais trouvés en magasin. Le Web est une discothèque mondiale gigantesque. Cela développe la curiosité et ouvre des perspectives de découvertes. Et c’est vraiment génial de pouvoir trimbaler au bout du monde avec sa discothèque dans la poche grâce aux baladeurs numériques. Le revers de la médaille, c’est que la dématérialisation de la musique a fait perdre beaucoup d’argent aux labels, aux producteurs et à toute la chaîne de distribution physique. Énormément de gens ont perdu leur emploi.

Pensez-vous que le marché retrouvera un jour ses niveaux d’avant la crise?
D’ici deux ans le marché pourrait retrouver ses revenus passés, grâce notamment à la diversification des sources. Je crois beaucoup aux abonnements musique couplés aux forfaits téléphoniques. En France, Orange et SFR sont très contents de leurs investissements dans la musique. Les offres vont arriver dans les mois qui viennent.

Ne pensez-vous pas que l’industrie aurait pu réagir plus vite? Dix ans c’est long…
On aurait sans doute pu aller plus vite. Je pense que l’on a perdu du temps pour des raisons purement financières. Ces sociétés, les majors, sont cotées en bourse et ont des comptes à rendre tous les trimestres à leurs actionnaires. Ca ne laisse pas beaucoup de possibilité de remettre en question leur business model. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas voulu, mais ils n’ont pas pu le faire.

Pensez-vous que les politiques ont sciemment abandonné l’industrie musicale pour privilégier le développement d’Internet, comme l’affirme Pascal Nègre dans son livre?
Il y a, depuis 4 ou 5 ans, une prise de conscience politique de la nécessité de réguler le marché. Mais il est vrai qu’auparavant l’industrie n’a pas été très soutenue. Peut-être parce que c’était difficile de comprendre ce qui se passait, de saisir les grands enjeux. C’est facile aujourd’hui de dire ce qu’il aurait fallu faire. Je pense que le Midem a pu favoriser la prise de conscience des politiques, grâce à la réunion des ministres européens, plusieurs années de suite, avec les grands acteurs du marché. Ils se sont rendu compte qu’ils étaient en face d’une industrie qui, à l’échelle européenne, allait perdre des milliers d’emplois. Il est très important que le politique s’implique dans la régulation pour que le marché se redéveloppe le plus rapidement possible. Michel Barnier, chargé de ces questions à la commission européenne, viendra cette année donner les grandes lignes de ce que l’Europe compte faire pour soutenir la musique.

Vous vous retirez avec le sentiment du devoir accompli?
On a assisté à la remise en question d’une industrie dans sa globalité. Mais il reste beaucoup à faire. Je pense qu’il faudra encore un ou deux ans pour que les problèmes légaux sur les droits soient réglés. Sur la TVA, on n’a pas avancé d’un millimètre depuis 20 ans. Il faudrait obtenir qu’au moins sur la musique numérique, la TVA baisse au niveau de celle du livre. Je ne vois pas pourquoi la musique ne serait pas considérée comme un bien culturel. Ma grande satisfaction, c’est que les labels recommencent vraiment à s’intéresser à l’artistique, notamment dans notre pays. Ca va se voir au Midem cette année avec un plateau d’artistes français comme on n’en a pas vu depuis longtemps.

La France est effectivement à l’honneur cette année...
Cela faisait 10 ans qu’on n’avait rien fait sur la musique en France et je trouvais qu’on était, cette année, dans une dynamique très favorable avec des groupes et des artistes comme Phœnix, David Guetta ou Aaron qui remplissent les stades. Un phénomène qu’on n’avait jamais connu jusqu’ici.La « French Touch » avait ouvert la voie mais c’était de la musique électronique. Là, on a des groupes et des artistes qui se produisent avec succès hors frontières. C’était l’année où on pouvait démontrer ça de façon un peu éclatante au Midem.

Pour conclure, en tant qu’ancienne attachée de presse du groupe, avez-vous un pronostic sur la reformation de Téléphone?
Je crois qu’ils referont une tournée. Mais probablement sans Corrine, qui semble avoir définitivement tourné la page.