Épuisés, livides, les yeux hagards au milieu des tempêtes dans un verre d'eau, les festivaliers ont commencé à quitter Cannes avec une impression de gueule de bois encore plus sévère que de coutume. Certes, crise ou pas crise, le cinéma a fait la fête autant que d'habitude sur la Croisette. Avec, seulement, un peu moins d'ostentation. Mais là n'est pas le problème. Si tout se mélange à la fin dans la valise, c'est surtout que l'on n'a rien vu cette année qui ait vraiment marqué les esprits.
Les films étaient majoritairement trop longs, hors sujet, déconnectés des réalités, bancals et pourtant très satisfaits d'eux-mêmes. L'impression dominante est que le gotha du cinéma mondial se regarde le nombril et laisse, plus souvent qu'à son tour, le spectateur en rade. L'illustration la plus manifeste de cela, c'est que les plus fans ont été les plus déçus : ceux de Tarantino, de Ken Loach et d'Almodovar crient à la trahison. Ceux d'Haneke n'ont pas reconnu leur maître. Même Alain Resnais a désorienté.
Seuls, dans des genres radicalement opposés, Jane Campion et Gaspar Noe sont restés absolument fidèles à ce que l'on attendait d'eux : hyperclassicisme d'un côté, expérience extrême de l'autre. Du coup, le grand favori de la critique (française et étrangère) est un outsider : Jacques Audiard, intronisé « Scorsese français » avec son grand film sur les mafias des prisons (Un Prophète). Je lui préfère Fish Tank, de la réalisatrice anglaise Andrea Arnold, mais c'est personnel. De toute façon, de ce que l'on croit savoir des goûts du jury, la Palme ira très certainement ailleurs. Les herbes Folles (Resnais), Vincere (Marco Bellocchio), Le Ruban Blanc (Haneke), Le Temps qui reste (Suleiman), Visage (Tsai Ming-liang) et Etreintes brisées (Almodovar) pourraient faire l'affaire... et hurler la moitié des festivaliers.
Restent de vrais coups de cœur (Taking Woodstock, Looking for Eric, À l'Origine) et des films que l'on a adoré détester (Vengeance, Soudain le vide, Le temps qui reste, Kinatay, Antichrist, Les herbes folles). De quoi alimenter, comme d'habitude, les conversations et les polémiques jusqu'à la prochaine édition. Mission accomplie, donc.