Départ ensuite pour peut-être le véritable but secret de mon voyage (qui n’a rien à voir avec une lune de miel) : la ville martyre, symbole de notre absurdité… Hiroshima, mon amour.


Au premier abord, c'est une ville vivante, animée… mais la nuit, de retour d'un retsaurant, alors que nous traversons à pied l'île centrale, ancien coeur de la ville, désertée à cette heure là et qui était située à l’épicentre du point d’explosion, là où sont maintenant situés les mémoriaux et quelques ruines conservées et illuminées, se dégage une impression curieuse… Je ne peux profiter de cette ambiance, de ce sentiment : je ne suis pas seul, et ma chère et tendre ne partage heureusement pas mes névroses et mon goût maladif de la mélancolie...

Ruines illuminées d'un des seuls bâtiments resté debout.

Le lendemain, c'est oublié : excursion sur l’île de Miyajima, journée magnifique entre randonnée et visites de sites magnifiques… au milieu des singes et des daims en liberté (oui, encore). Le panorama depuis le haut de la montagne au coeur de l'île est splendide.


Le célébrissime torii flottant du temple d'Itsukushima sur l'île de Miyajima

Daims en liberté à Miyajima


Mais le matin suivant, retour au site maudit et à ses mémoriaux : explication du contexte, des enjeux. Les japonais n’ont pas encore purgé la question de la seconde guerre mondiale qui les a vu commettre tant d’atrocités et en retour subir les destructions et les humiliations les plus terribles.

Hiroshima, choisie comme site potentiel pour la toute nouvelle arme secrète des alliés sera le site de démonstration de la puissance américaine… armée qui poussera le cynisme à ne pas bombarder cette ville au préalable afin de mieux observer les effets de la bombe. Et une ville non bombardée en ce temps de guerre, ben on se pose pas de questions, on y envoie aussitôt sa famille, ses enfants, pour les mettre à l’abri.



6 août 1945, 8 h 15, l'Enola Gay, un bombardier américain vient de survoler la ville. Une boule de feu éclate à 600 m au dessus de la ville : un soleil qui apparaît d’un coup au milieu de cette cité et de ses 350 000 habitants. L’homme a libéré les 4 cavaliers de l’apocalypse moderne...



Explosion atomique à Hiroshima



La lumière d’abord… tous ceux qui regardent dans cette direction sont instantanément rendus aveugles.



Puis le flash thermique… tous les bâtiments s’enflamment spontanément, la pierre même se vitrifie à la température du soleil… presque 5000 °C. Les constructions traditionnelles sont en bois, autant dire que les dégâts sont énormes. Les habitants ne font pas exceptions, ils s’enflamment ou sont même complètement vaporisés ; ainsi cette trace conservée sur les marches d’une banque, ombre d’une femme qui attendait assise l’ouverture et dont on ne retrouvera que cette marque fugace mais indélébile sur la pierre.



Grand brûlé à Hiroshima (il se trouvait à 3 km de l'épicentre)



Ensuite, le blast… ce souffle qui abat tous les bâtiments dans un rayon de 3 kilomètres, et ses habitants avec… les projetant comme des poupées, transformant chaque vitre en autant de nuées de projectiles acérés. Les deux tiers de la ville sont détruits.



La ville est totalement dévastée



Enfin, le dernier cavalier, sûrement le plus sournois… les radiations, encore inconnues à cette époque. Comment se protéger de l’invisible ? Particulièrement quand on ne sait même pas qu’il existe.



Jeune fille irradiée à Hiroshima



Soldat japonais fortement irradié

Au milieu de l’obscurité créée par le nuage champignon de 5 km errent des morts vivants dont la peau et les vêtements tombent en lambeaux, c’est une recherche effrénée pour l’eau… recherche mortelle lorsque apparaissent les pluies noires, chargées de suies, de poussières et de radiations…

Une vision de l’enfer sur terre attend les premiers sauveteurs, qui subiront à leur tour de plein fouet les radiations mortelles… la ville se transforme en un gigantesque mouroir. Les grands brûlés côtoient les irradiés, sans aucun espoir de guérison… Aux 75 000 morts sur le coup, viennent s'ajouter 50 000 autres personnes qui périront dans les mois suivants des suites de leurs blessures.



Les survivants, marqués à jamais, traumatisés, puis ostracisés par la nation japonaise pressée d’oublier, sont tous en sursis dans l’attente de l’apparition des cancers de la bombe… Ce sont les "Hibakushas", mis au ban de la société et qui cacheront leurs cancers et les mutations de leurs enfants sans devoir attendre d'aide. Le premier hopital dédié aux soins des irradiés sera ouvert 50 ans après l'explosion...
On estime, en comptant les "victimes à retardement", que la Bombe aura fait environ 250 000 morts au total.



Sadako, qui avait 2 ans en 1945 à Hiroshima, a subi l'explosion puis les pluies noires… Elle semblait avoir été épargnée, mais elle déclarera une leucémie à l’age de 11 ans. Elle avait entendu qu’une ancienne tradition bouddhiste prétendait que celui qui réaliserait 1000 grues en papier (l’origami est une spécialité japonaise) verrait son vœu exaucé… elle commença donc à les réaliser pour sa guérison… Elle mourra après la 644ème d’une évolution foudroyante de la maladie…



Sadako Sasaki, décédée à l'âge de 12 ans.



Ses camarades de classe finirent les 1000 pliages en son honneur. Son histoire émut le pays entier et chaque école se mit a plier des grues en papier qui furent envoyées à Hiroshima en mémoire de Sadako… une statue à son effigie ainsi que des millions de pliages dérisoires sont présents dans le Parc de la paix… enfin, des millions jusqu’en 2003 où un étudiant, bouclant ainsi la boucle de l’absurdité humaine, incendia les pliages pour protester contres les faibles débouchés professionnels des étudiants en université.



Gros plan de la statue de Sadako


Depuis, de nouveaux pliages sont venus rappeler la mémoire de Sadoko et j’ai pu assister à l’incessant ballet des classes d’enfants venant déposer leurs guirlandes de grues en origami…


Une classe se recueille après avoir déposé des origamis au pied du mémorial



Le cénotaphe du parc de la Paix

Le parc de la Paix avec son musée, son cénotaphe et le mémorial de Sadako se dresse à deux pas des ruines d’un des seuls bâtiments à ne pas s’être entièrement volatilisé et qui a été conservé tel quel : le Genbaku Dome.

Le Genbaku Dome juste après l'explosion.

Le Genbaku Dome au printemps

Dans le "musée de la Paix", au milieu des maquettes, des vidéos et des panneaux, se dresse un mur reprenant les lettres de protestation envoyées par les maires successifs d’Hiroshima à chaque nouvel essai nucléaire pratiqué sur la planète… 691 en tout à la date de ma visite… jamais je n’ai trouvé de description plus réaliste de l’expression « rester lettre morte »…


Mur des lettres de protestation...

Après cette étape marquante et édifiante à plus d'un titre, et sans transition, week-end de plongée, sans rien de particulier à signaler… si ce n’est le petit déjeuner traditionnel japonais à base de poisson séché, de riz et de fruits de mer un peu rude à avaler à 7 heures du matin…



Franchement, faut avoir faim

La plongée permet de changer les règles du jeu, on bascule dans un autre monde ou les lois ne sont plus les mêmes… la gravité, le son, l’équilibre, les fonctions vitales… monde à 3 dimensions où la moindre erreur est fatale, mais surtout monde du silence où on se retrouve seul face à ses peurs et ses doutes. Et accessoirement, merveilles animales et végétales à tous les étages…

Et puis ensuite, c'est le retour à Tokyo, les derniers achats, les derniers restos... séjour trop court ! J'ai tant vu... mais il y avait encore tant à voir et à apprendre. Une prochaine fois...