Petit contexte rapide : j'avais 21 ans et je suis parti là-bas pour travailler quelques mois. Plus exactement, pour faire mon stage de maîtrise, et pour être tout çà fait précis, j'étais sur la station de production d'eau potable de Ougadougou (capitale au nom pittoresque de ce petit pays). J'avais emmené deux collègues dans mon aventure mais nous étions logés "local" et on bossait avec des "locaux".

Petite minute culturelle : le Burkina Faso est un pays d'Afrique de l'Ouest, ancienne colonie française. Autrefois, il s'appelait Haute-Volta et son nom actuel signifie "le pays des hommes intègres" (ce qui relève d'un certain humour quand on on connaît le niveau de corruption dans nombre de ces contrées...).

Coincé entre tout plein de voisins plus ou moins amicaux, le Burkina n'a pas d'accès à la mer. Le nord est désertique (zone subsaharienne), le sud est beaucoup plus verdoyant avec même quelques jolis bouts de forêt. Le Burkina n'a aucune ressource naturelle et une de ses principales et seules sources de revenus provient de la culture du coton : il est donc assez logiquement classé parmi les pays les plus pauvres de monde.

Indépendant à partir de 1960, le pays a été gouverné par le révolutionnaire Thomas Sankara qui a cédé le pouvoir totalement contre son gré en 1987 à son camarade de lutte Blaise Compaoré qui a usé d'arguments convaincants en éxécutant tout le gouvernement, y compris son pote président. Depuis, le Burkina est une dictature démocratique ou une démocratie dictatoriale, comme vous voulez..

Plutôt que de vous raconter tout ce que j'ai fait ou pas fait là-bas, je vais juste choisir quelques points marquants ou anecdotes...

Le premier truc qui m'a frappé (de plein fouet d'ailleurs), c'est la chaleur. Lors de l'escale à Bamako, on nous a proposé d'aller faire un tour dehors : quand j'ai mis le pied sur la passerelle, une chape de plomb m'est tombée sur les épaules (pour reprendre une image connue mais vérifiée) et j'ai eu l'impression d'avoir mis la tête dans un four. D'ailleurs, sur le moment, j'ai cru que les réacteurs du jet tournaient encore... mais non, c'était juste l'air surchauffé du tarmac qui m'a desséché instantanément.

En arrivant à Ouaga, la température affichée dans l'aéroport était 46°C... Je suis déjà pas énergique en temps normal mais alors là, je suis passé direct en mode larvesque.

Y'a qu'à regarder les températures (moyennes !) pour se faire du mal...

Le deuxième truc qui m'a interpellé, c'est la foule (bigarrée et bruyante si on veut rester dans les clichés) à la sortie de l'aéroport. L'européen (même stagiaire sans thune) est forcément riche par rapport au niveau de vie moyen local : les propositions de services et sollicitations sont donc innombrables, incessantes et très vite insupportables mais malheureusement très compréhensibles.


La circulation est elle aussi assez... euh... locale et je crois que je n'ai pas fait un seul trajet sans voir au moins un accident sur la route. A vrai dire, j'en ai eu un moi-même et j'ai fait une mauvaise chutre de moto... heureusement sans grave conséquence.

Le choc culturel est important bien sûr mais ce qui m'a frappé, c'est la pauvreté, particulièrement lors de mes déplacements à l'extérieur de la capitale. C'est une chose de la voir au journal du 20 heures, c'en est une autre de la regarder dans les yeux. Voyageant avec des "locaux", nous avons mangé et dormi comme eux... on n'a pas l'habitude de ces conditions de vie. Conditions qui étaient encore largement supérieures à celles de nombre de villageois croisés sur les routes.

Je me souviens particulièrement de ces malades au dernier stade de la trypanosomiase (maladie du sommeil) errant à travers les rues, nus, décharnés, le regard vide et l'esprit complètement détruit. Parfois il fallait en enjamber un sur le trottoir, en ne sachant jamais s'il était mort, endormi, ou dans le coma... Il ne serait de toute façon pas soigné et franchement, c'est une mort que je ne souhaite à personne.

Mouche tsé-tsé

Je me souviens aussi du retour de Bobo Dioulasso (à la frontière ivoirienne) vers Ouaga en bus local, "surbondé", surchargé... sur une route pas éclairée, mal entretenue et parcourue par des camions eux aussi surchargés et hors d'âge. Je vous l'avoue, j'ai eu peur.

Chargement optimisé (bon ça l'était pas autant que ça, là c'est dans le désert, mais on s'en approchait)

Pour l'anecdote, j'ai appris que lors des accidents (fréquents à en juger par le nombre de carcasses en bord de rotue), les pompiers ne se déplaçent pas si c'est trop loin de la ville, sauf si les familles des victimes arrivaient à les convaincre d'aller chercher les corps...

Je travaillais à essayer de produire de l'eau potable pour la capitale. Les installations étaient très insuffisantes pour le million d'habitants de Ouaga et la plupart d'entre eux n'avaient accès qu'à des fontaines publiques, surveillées et gérées par des fontainiers.

Fontaine publique de Ouaga

(et oui, le métier de porteur d'eau existe toujours...)

La station était composé de trois tranches, la première, française, était hors d'âge, la seconde, allemande, un peu plus récente et la toute dernière, danoise. En effet, et c'est triste à dire, le pays vit sous perfusion étrangère, de la part des pays de l'Europe du Nord notamment (la France brillait plutôt par son absence).

L'eau que nous produisions n'était absolument pas potable. Selon nos critères en tout cas. L'eau en entrée de station était trop chargée, les installations trop petites et trop rudimentaires et disons le, mal exploitées. Parfois, sous la "douche" (quand on avait de l'eau), et que je sentais l'eau devenir "collante", je savais que le rondier s'était planté dans les dosages de sulfate d'alumine... Pareil pour le chlore. Et pour la couleur de l'eau, y'avait pas grand chose à faire.

Je me souviens qu'un de nos "conseils" a été d'aller périodiquement mettre des pastilles de chlore pour piscine dans les réservoirs d'eau de la ville et qu'on avait bricolé avec un des gars du labo une poubelle percée pour remplacer une pompe doseuse de chlore à la station. Bref, c'était du grand n'importe quoi.

Je me souviens aussi qu'on s'est décarcassé pour que les hôtels ne manquent pas d'eau lors du congrès de l'Orgnasition de l'Unité Africaine qui se tenait à Ouaga cette année là. La populace, c'est pas important mais il n'aurait pas fallu que tous ces chefs d'état se retrouvent à sec dans leur baignoire...

D'ailleurs cette semaine là, j'ai été assez impressionné de voir des batteries anti-aériennes placées aux carrefours (quand vous tirez à l'horizontale avec ça, c'est très dissuasif sur les foules) et des barrages innombrables abondamment garnis de nerveux kakis et armés.


Bien sûr il y a aussi les paysages, immenses, arides et rouges...

Paysage caractéristique du Nord du pays.

Et puis les gens, chaleureux, souvent plein d'humour mais aussi plein de défauts, comme partout...

Bref, voyage intéressant mais éprouvant. D'autant plus éprouvant qu'à la fin du séjour, je suis tombé très malade (j'ai dû faire une folie et un jour boire un verre d'eau "potable" ) et je le suis resté longtemps après mon retour en France...

Mais que ça ne vous dissuade pas d'aller faire un tour par là-bas, il y a beaucoup à voir et apprendre.