Sur la tranche 11h - 12h30, France-Inter arrive en tête des chiffres d'audience. Bien entendu, il s'agit la plupart du temps de faire vendre tel ou tel produit culturel (film, disque, pièce, livre...). C'est la règle du genre, et dans la société actuelle, on ne saurait le reprocher à la station de service public.
D'autant moins que cela nous donne l'occasion de profiter d'excellents moments d'humour, parfois poétique, absurde ou décapant (citons pour mémoire mes préférés: David Lowe, Frédéric Recrosio, Vincent Roca, Daniel Morin et surtout...
Didier Porte!).

Hier donc, l'émission accueillait le linguiste Claude Hagège, professeur au Collège de France et auteur d'un nouvel ouvrage intitulé " Dictionnaire amoureux des langues".

L'homme est brillant, certes. Mais il critique somme toute assez tièdement le poids excessif de l'anglais, et devient très maladroit ou approximatif quand il s'agit d'examiner ou de faire connaître l'alternative que constitue l'espéranto.
Certes, il y a bien pire que lui. Seulement, hier, il a donné une idée assez inexacte de la langue internationale de Zamenhof, ainsi que du créateur de l'espéranto. D'où la raison de ce billet.

J'ai considéré que celui qui était le plus susceptible de comprendre ce que j'avais à dire était Didier Porte, c'est pourquoi je me suis adressée en priorité à lui. Voici ci-dessous la teneur de ce message:

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Bayers, 12 h 04

Bonjour, cher Didier,

Cela fait quelques mois que je repousse un projet: t'écrire, ainsi qu'à l'émission, pour te dire combien cela m'énerve que Stéphane Bern s'excuse constamment de "mal parler" anglais.
Et voilà qu'aujourd'hui... Claude Hagège vient nous dire que l'anglais est laid et difficile. "Laid", franchement, je trouve cela péremptoire... (et assez con). Pour ma part je le trouve aussi harmonieux que les 5 langues que je parle et comprends, et les deux ou trois autres dont j'ai quelques notions, mais... soit!
Que l'anglais soit difficile, par contre, c'est certain. En première, j'ai inversé mes 1 ere et 2 ème langue (anglais et italien) et cela a sans doute beaucoup aidé à ce que je sois reçue du premier coup (j'avais aussi eu une très bonne note en philo: 15, mais bref.)

Or donc, vous avez aujourd'hui reçu au "Fou du Roi" ce "brillantissime" Hagège, dont je possède déjà plusieurs ouvrages. Il a des qualités, et longtemps je l'ai beaucoup apprécié.
Mais hélas ce monsieur a un gros défaut, à mes yeux absolument rédibitoire: il se fout absolument des conséquences sociales et humaines de ses prises de position. J'ai découvert aujourd'hui qu'il est en outre, fort de son titre de "chercheur", capable d'affirmer sinon de grosses conneries, des choses approximatives qui peuvent nous "enduire d'erreur".

Ma lettre, tu l'as peut-être deviné, concerne ce qu'il a dit de l'espéranto.
A ce stade, il est peut-être nécessaire que je me présente. Cinquante-huit ans, retraitée de l'éducation nationale, et polyglotte, passionnée de langues. (...)

A ma connaissance Louis Lazare Zamenhof a inventé l'espéranto NON PAS du tout parce qu'il "en avait assez d'entendre parler l'allemand, le lituanien, le russe, le polonais, etc..." autour de lui, mais parce qu'il --adorait-- cela et qu'il était en effet bouleversé de voir que l'incompréhension entre ces gens causait ou aggravait des conflits inter ethniques. Naturellement, Hagège a raison de dire qu'il ne suffit pas de pouvoir se parler pour être en paix avec les autres. Par contre, ce qu'il refuse de voir et donc d'affirmer, c'est que l'humanisme de la construction linguistique de Zamenhof allait bien au-delà de ce genre d'utopisme cucul la praline.
Qu'il ait connu le projet du Volapük avant de publier son premier livre d'espéranto en 1887, c'est possible, mais en tous cas, comme il avait commencé à concevoir sa langue vers le début de l'adolescence, je trouve le raccourci de notre professeur au Collège de France limite malhonnête.
Il y a dans l'espéranto une dimension sociale: elle donne la parole à tous les individus, quel que soit leur origine géographique ou sociale. Plus le temps passe depuis mon premier contact avec cette langue (1985), plus j'en suis persuadée.
Il est par contre exact que la pratique du franglais, repose sur une sorte de snobisme. (...)


Post-scriptum: Il paraît que notre brillant linguiste, qui en privé soutient très très tièdement l'espéranto, mais ne prendrait pas le risque de le soutenir ouvertement (parce que sans doute cela risquerait de le "griller" auprès de ses confrères "mandarins" de la linguistique) *, argue du manque "d'utilité" actuelle de la langue. Or, j'ai noté que la citation de cette semaine de Siné Hebdo (de Louis Lumière) était: "Le cinéma est une invention sans avenir".
C'est bien là tout le noeud du problème!!! C'est ce que les "élites" nous martellent depuis des décennies au sujet de la langue internationale: un truc de rigolos, sans avenir.

1) On fout de l'anglais partout à l'école (d'abord dans le secondaire dans les années 60, puis vers les années 90 en primaire)
2) On ne met PAS d'espéranto à l'école
3) On dit que l'espéranto n'est pas assez parlé, donc qu'il ne sert à rien.

CHERCHEZ L'ERREUR!!!

La différence??? Avec le cinéma on s'est aperçu qu'on pouvait faire du pognon! C'est le divertissement (du pain et des jeux).
Avec l'espéranto, on donne un pouvoir au peuple. DANGER pour les "élites"!!! Ben oui, quoi, merde, si chaque clampin peut discuter le bout de gras avec un syndicaliste tchèque, polonais hongrois ou chinois... Où ira-t-on?
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