Aujourd'hui un texte très court, inspiré par une photo de Bonze. Laissez-moi vous présenter Tonton Georges :

Tonton Georges était boucher. C’était un gars de la campagne, un bonhomme un peu rustre, pas bien causant. Tout le monde le respectait, au village, un respect un peu craintif, parce que c’était pas le genre d’homme qu’on titille deux fois. Quand il avait quinze ans, il avait envoyé à l’hôpital un gaillard qui avait le double de son âge et qui devait bien faire deux fois son poids, parce qu’il l’avait traité de fillette. Autant vous dire qu’après ça plus personne n’a tenté de le prendre à rebrousse-poil.
Il s’est marié avec Madeleine, une fille du village qui ne lui a jamais donné d’enfants. Les femmes persiflaient parfois et disaient que c’est qu’il ne la touchait pas, qu’il préférait aller voir ailleurs avec des filles d’on ne sait où.
En fait il avait un secret, Tonton Georges. Le soir après sa journée de travail, ce qu’il aimait, c’était mettre les robes de sa femme et se prendre en photo avec. Il en a fait des centaines, sur plusieurs années. On le sait parce qu’après l’affaire, on a retrouvé toute une boîte. Il cachait ça dans un coin sombre de sa boucherie, où personne n’allait à part lui. Les gens ont dit, plus tard, que le petit apprenti qui avait travaillé chez lui et qui avait disparu un beau matin de juin, sans qu’on ait jamais plus de ses nouvelles, était peut-être bien tombé dessus un jour… Les rumeurs sont allées bon train, de toute façon, je crois bien qu’il a été accusé de toutes les histoires des vingt dernières années, même la sécheresse de 57 on l’en aurait rendu responsable !
Toujours est-il qu’un soir, Madeleine est rentrée plus tôt de l’église car le curé était grippé et n’était pas en état de mener la réunion habituelle du mardi. Elle est arrivée en pleine séance photo, Tonton Georges était là, portant sa robe pourpre et posant avec son couteau dans la main droite et son fusil dans la gauche. On ne sait pas ce qui s’est passé ensuite. Cette photo s’est sans doute déclenchée juste au moment où elle entrait et le surprenait : c’est la dernière que l’on ait de lui. On n’a jamais revu ni Georges, ni Madeleine.