Elle est très recherchée, parfois trouvée, souvent vécue intensément par l’un, plus rarement poursuivie dans la durée… par les deux. L’amitié est un sentiment plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. C’est un mélange de confiance, de transparence, d’abandon, de sérénité, de certitudes et de sécurité envers une personne à l’intérieur d’une relation de réciprocité, sans exigences formelles, sans enjeux de pouvoir ou de rivalité, ni ambivalence. L’amitié est un lieu et un espace protégé, constitué par une disponibilité et une ouverture de l’autre vers nous, prolongé par une ouverture et une disponibilité tout aussi évidente de nous vers l’autre. Fondée avant tout sur la gratuité et la confiance, l’amitié s’enracine dans des zones archaïques qui accèdent rarement à la conscience des protagonistes. "C’était mon ami, parce que c’était lui, parce que c’était moi" disait Montaigne à de La Boétie, qui a exalté son amitié. Le propre d’une amitié c’est qu’elle se nourrit de sa pratique, dans des rencontres successives. Elle ne s’use pas, se renouvelle, s’auto-entretient d’elle-même, à la seule évocation ou au seul rappel de l’existence de l’ami. Elle est souvent unisexuée et les amitiés durent longtemps, traversent les épreuves et les années, se bonifient avec le temps, sous forme d’une solidarité fraternelle. L’amitié existe bien sûr, je l’ai rencontrée. Elle est peut-être plus fragile, Elle s’installe à l’intérieur de balises invisibles, qui lui permettent justement d’exister et quelquefois de se poursuivre, dans un approfondissement de la relation. Au départ elle s’appuie sur l’échange verbal et surtout sur la liberté de se dire. Parfois, elle se construit sur la proximité, le contact et une liberté de gestes qui s’inscrivent spontanément et étonnent l’un et l’autre. Des gestes, des rapprochements sans artifices, dénués de séduction, de captation et même d’érotisation possible. "C’était la première fois que je pouvais parler avec une femme sans éprouver le désir de la séduire, simplement parce qu’elle m’écoutait et me donnait le sentiment que ce que je disais était important…" "Je ne connaissais cet homme que depuis moins d’une heure et je m’entendais lui dire des choses que je n’avais jamais dites à mon mari, ni à aucun proche…" "Quand il m’a pris dans ses bras, je me suis sentie fondre. Jamais mon propre père ne m’avait approché de si près. J’avais envie de me laisser aller et de pleurer doucement de bien-être…" Tout se passe comme si l’amitié annulait, dissolvait ou dissipait les signaux sexuels potentiels, du moins dans un premier temps. Une amitié donne à chacun une liberté d’être d’une qualité rare. "Je me sentais autorisé, autorisé dans le sens d’être auteur, sans aucunes contraintes, ni fantasmes. Je crois qu’elle confirmait en moi, ma féminitude…" Nous avons dans ce témoignage, peut-être, la clé de ce type d’amitié. Tout se passe comme si la femme voyait en l’homme la confirmation et l’acceptation de sa propre masculinité. Et comme si l’homme percevait en son amie, la confirmation et l’acceptation de sa propre féminité. L’amitié entre homme et femme est une façon de réconcilier ce qu’il serait possible d’appeler le couple intérieur, qui nous habite, la part de masculin et de féminin qui constitue notre être profond. Au-delà de cette dimension, l’amitié entre homme et femme est possible quand existent un certain nombre de repères qui balisent la relation. Par exemple, l’amitié ou l’affection pour le mari, "interdit" à son meilleur ami d’envisager une relation autre qu’amicale avec sa femme. La projection sur la personne de son ami, d’une image paternelle positive, "interdit" à cette femme tout dérapage et inscrit la relation sur un mode affectueux, tendre, confiant. Parfois, une activité, un projet, une action ou un centre d’intérêt commun, joue le rôle d’un tiers et sert de lien entre un homme et une femme, leur permettant de trouver la bonne distance dans la relation. Ce sera cette "passion commune" qui sera investie de toute la charge libidinale, rendant d’autant plus disponibles les deux amis à toute la gamme des autres sentiments et sensations de bien-être entre eux. Peut-être faudrait-il dire aussi que l’amitié "virile" autour d’une activité de survie (haute montagne, croisière, spéléo) ou à fort sentiment d’appartenance (moto) se suffit à elle-même parce qu’elle fait appel à la confiance, à la compétence. Elle se prolonge par une complicité vécue au-delà de l’action et de l’aide mutuelle que chacun apporte à l’autre. Ce type de relation serait plus vulnérable et périlleux, s’il se développait dans d’autres directions. Il est banal de constater que les homosexuels ou les lesbiennes s’engagent dans des amitiés hétérosexuelles durables et solides, la dimension érotique étant investie ailleurs. Une amitié confirmée entre homme et femme est quelque chose de précieux, de rassurant et surtout de stimulant. Elle enveloppe la liberté d’être davantage soi-même. Elle suscite un effet de réconciliation qu’elle permet entre le féminin et le masculin qui est en chacun. Avec l’amour, elle est l’une des figures privilégiées de la rencontre avec l’autre. Elle nous entraîne sur les chemins de la recherche et de l’harmonie avec soi. « Je ne connaissais cet homme que depuis moins d’une heure et je m’entendais lui dire des choses que je n’avais jamais dites à mon mari, ni à aucun proche… »