Heu-reux! On a rarement vu Vincent Lindon aussi joyeux et disert en promo. Un exercice qu’il goûte généralement assez peu : « Je suis ravi de rencontrer les journalistes, mais j’ai toujours du mal à expliquer et à théoriser ce que je fais d’instinct, s’excuse-t-il. Et puis il y a des trucs sur mon travail que je n’ai pas envie d’expliquer. Je n’aime pas les makin of, ça tue la magie du cinéma ». Pour La Loi du marché, le film de Stéphane Brizé, dans lequel il joue un quinquagénaire en chômage longue durée qui accepte un emploi de vigile dans un supermarché, Lindon est prêt à faire exception : « Ce film est l’un des plus importants que j’ai fait.Et de loin! assure-t-il. J’ai adoré faire ce film! J’ai adoré en parler avant, j’ai adoré me battre avec Stéphane pour le faire exister (il l’a coproduit N.D.L.R.), j’ai adoré lire le scénario, j’ai adoré le tourner. Être sélectionné à Cannes, c’est la cerise sur le gâteau! ».

Feuille de route
Dire qu’il est heureux d’être au Festival est un doux euphémisme : « Quand j’ai appris la nouvelle, j’étais fou de joie. C’est un moment dont je me souviendrai éternellement. Être en compétition avec ce film-là, fait dans cette économie, avec cette proposition de cinéma particulière, c’est vraiment chouette! ».
Pourquoi ce film-là est-il aussi cher à Vincent Lindon? D’abord parce qu’il y retrouve Stéphane Brizé, pour lequel il avait joué dans Mademoiselle Chambon et Quelques heures de printemps : « La première motivation, c’était de pouvoir passer du temps ensemble à nouveau » avoue l’acteur. Ensuite, parce que le dispositif particulier du film, tourné caméra à l’épaule dans des conditions de documentaire avec des acteurs non professionnels jouant leur propre rôle, l’a obligé à sortir de sa « zone de confort » habituelle : « Stéphane m’avait donné un scénario de 90 pages entièrement dialogué, mais il me l’a retiré avant le tournage, raconte-t-il. Pour chaque scène, j’avais seulement une « feuille de route » m’indiquant les grandes lignes de ce que je devais faire ou dire. Au début, je balisais de me retrouver face à des gens dont c’était le vrai métier. La banquière, l’agent de pole emploi, le directeur du supermarché, ils savent de quoi ils parlent, c’est leur quotidien. Moi je ne suis qu’un acteur. Pour faire ce film, j’ai tout désacralisé ». Le résultat est assez épatant et brouille la frontière entre le jeu et la réalité. Le talent de Lindon y est éclatant.

« Ma manière de faire de la politique »

L’acteur avait déjà goûté à ce type de dispositif avec Alain Cavalier pour Pater.Il se souvient encore avec émotion du formidable accueil que le Festival lui avait réservé, avec une standing ovation de près de 20 minutes : « Inoubliable! ». On lui souhaite le même succès avec ce nouveau rôle, pour lequel il pourra légitimement prétendre au prix d’interprétation masculine.
Mais pour lui, l’essentiel n’est pas là : « Ce film, comme Une semaine de printemps ou Welcome, c’est ma manière à moi de faire de la politique, explique Lindon. Si ça peut changer le regard des gens et interpeller les politiques sur le sort des chômeurs longue durée, on aura gagné ».
L’acteur réfute pourtant l’étiquette d’« engagé » : « Je fais juste mon métier.Avant de voir le côté social du scénario, je vois le côté cinéma, je vois des images ». Pour le reste, Lindon fait confiance à son instinct : « Ma règle, c’est de ne faire que ce qui me plaît.Je dis beaucoup non, mais quand je dis oui, je suis très convaincu. Si le film me plaît, à la limite, je me fous qu’il ait du succès ou pas. J’essaie d’enlever tout cynisme dans mon travail, de n’avoir aucun a priori sur rien, ni personne.Ma mère avait cette qualité rare : elle ne jugeait jamais sur des a priori.J’essaie de faire pareil, parce qu’avant tout j’ai envie d’aimer ».