Trois ans après Les Adieux à la reine, Benoit Jacquot dirige à nouveau Léa Seydoux dans une nouvelle lecture moderne et féministe du Journal d’une femme de chambre.Venu présenter son nouveau film en avant première aux Rencontres d’Avignon, le réalisateur nous a expliqué ce qui l’avait particulièrement attiré dans le texte d‘Octave Mirbeau...

Passer après Renoir et Bunuel ,qui ont aussi adapté le Journal d’une femme de chambre, ne vous faisait pas peur?
J’ai surtout décidé de ne pas me poser la question. Les deux films sont aussi differents qu’il est possible de l’être.Je me suis donc nécessairement dit que le mien serait aussi different des autres. Quand on adapte un livre, le texte sert de materiau de base.J’ai extrait du roman un certain
nombre de scènes et de citations qui m‘intéressaient et je les ai agencées dans un ordre narratif qui ne relève que de mon choix.

Qu’est ce qui vous attirait dans ce roman?

Au départ rien de particulier, c’est une amie qui a insisté pour que je le lise.J’y ai vu le parcours d’une jeune femme qui ne se satisfait pas de sa condition présente et veut accéder à une autre vie. Elle se fait d’elle une image
parfaitement hostile à celle que le sort social lui a réservé. Ce qui m’a sauté au visage, c’est que ce roman condensait toutes les ségrégations raciales, sexuelles et sociales qui se sont constituées à cette époque. Celestine est belle , intelligente, fière et travailleuse, mais elle est comme un animal pris dans un piège.Tout le film se passe à essayer de saisir comment elle va s’en échapper.

Le rôle était pour Léa Seydoux dès l’origine?

Oui, je lui en ai parlé avant même d’avoir écrit le scénario. Mais au moment où le
film allait se faire, elle sortait du tournage de La vie d’Adèle et allait très mal. Elle avait vécu une épreuve qui remettait en cause le fait même d’être
actrice et ne voulait plus tourner.Je me suis donc tourné vers Marion Cotillard, qui a accepté mais m‘a ensuite demandé de retarder le tournage , ce que je ne pouvais pas faire.Je suis donc revenu vers Léa, qui allait mieux et qui a finalement décidé de le faire.

Qu’est c e qui vous plait tellement dans le film d’époque ?

Ce qui m’a interessé dans ce film comme dans Les Adieux à la reine, c’est la possibilité de décoder quelque chose du présent par le détour de la reconstitution d’une époque soi disant révolue mais qui ne l’est pas et continue de nourrir le temps présent. Tout ce qu’ on vit aujourd’hui vient du début du 20e siècle.Celestine succombe à Joseph qui est violemment antisémite alors qu’elle ne l’est pas , pour les mêmes raisons qui poussent actuellement un certain nombre de personnes dans les bras de l‘extreme droite et du fondamentalisme.Le désespoir et la misère peuvent facilement conduire à trouver du charme aux discours du pire.

Les retours en arrière arrivent sans prévenir dans le cours de l’histoire.C’est assez déroutant au début.Quelle logique suivent-ils?

Le présent que vit Celestine est comme troué de réminiscence qui viennent faire écho de ce qu’elle est en train de vivre. Le souvenir de la scène du train, dans laquelle son ex-patronne essaie de dissimuler un godemichet , lui est, par exemple, rememmoré par la discussion au cours de laquelle elle demande si sa nouvelle patronne à des amants. Plus tard, lorsqu’elle envisage d’accepter la proposition de Joseph, elle se voit comme dans un tableau de Manet. Cela permet des scène soniriques et donne des indications sur sa trajectoire mentale.
Avez vous fait un film marxiste et/ou féministe?
Je pense que le monde est divisé en classes sociales et qu’elles sont antagonistes, concluez en ce que vous voulez.La mondialisation a rendu la servitude moins visible, mais elle continue d’exister.