Pas de panique ! Le nouvel album de Stephan Eicher est un peu comme Le Guide du routard galactique de la crise. Un antidote contre la peur et la dépression qui menacent autant notre civilisation que le prochain crash boursier. Un disque d'alerte ( "Tout doit disparaitre"), mais zen: "Le monde change, autant affronter ce changement comme des êtres humains" estime le chanteur à l'accent Bernois, qui a repris la route avec un nouveau groupe et finit désormais ses concerts dans la salle, au milieu du public "Parce que le futur, c'est ça: juste nous et le public"...

Cinq ans ont passé depuis Eldorado. Qu'avez vous fait de ce temps ?

Ce n'est pas pour jouer l'artiste tourmenté, mais je ne voulais pas faire de disque jusqu'à ce que le disque demande à être fait. Depuis l'âge de vingt ans, j'enchaine disques, promotion et tournées. Après Eldorado je me suis permis de travailler seulement sur des projets qui n'étaient pas liés à ma petite personne. Croyez le ou non, j'ai produit un disque de hip hop, j'ai travaillé pour le theatre à Zurich, sur ce grand projet pour le tricentenaire de Jean Jacques Rousseau auquel j'avais postulé sous un faux nom et on a fait ces lectures musicales avec Philippe Djian... Tous ça m'a énormément enrichi artistiquement. J'aurais pu continuer sans faire des chansons ni de disques. Ca ne m'a pas vraiment manqué...

Qu'est ce qui vous a poussé à retourner en studio?


Le 15 aout 2008, j'étais sur un banc à Venise, au soleil, j'attendais le bateau taxi après trois jours merveilleux. Je suis tombé sur le Financial Times, un journal que je ne lis jamais, et j'ai vu ce titre sur les subprimes. J'ai senti tout de suite que c'était pas bon. Quelques temps après , j'ai rencontré un banquier qui m'a expliqué le topo et pour la première fois, moi Suisse, chanteur à succès avec des enfants dans de bonnes écoles, je me suis senti vraiment inquiet. Les événements sont arrivés: la Grèce, l'Espagne, l'Italie... J'étais vraiment déstabilisé. J'ai eu envie de faire un disque qui m'apaise , qui me calme et qui alerte aussi. Je ne suis pas financier, ni politicien, je suis juste musicien, mais je pensais pouvoir apporter quelque chose, quand même.

Comme payer vos impôts en France, alors que vous êtes Suisse ?
Oui, ici ils veulent vraiment votre argent ! (Rires) Surtout depuis que les ministres vont mettre le leur en Suisse...

Pourquoi la Camargue?
Madame voulait du soleil, mais on était encore trop jeunes pour s'installer sur la Côte d'Azur. Et puis il y avait dejà U2 (rires). Je pensais à l'Espagne, mais comme j'avais fait les voix d'Eldorado en Camargue et que ça m'avait plu, j'y suis resté. Mais je pense déjà à repartir. Je suis rarement resté plus de cinq ans au même endroit.

Le disque est très court: 12 chansons, à peine plus de 30 minutes...

C'était l'idée. Personne n'a plus le temps de rien. 30 minutes, on peut encore les trouver pour écouter un disque en rentrant du boulot. C'est un disque un peu crépusculaire, à écouter plutôt le soir. C'est aussi un hommage à la façon dont on écoutait nos 33 tours en vynile, comme le mur d'enceintes acoustiques qui constitue le fond de scène de la tournée.

Il y a plusieurs chansons en dialecte Bernois et en concert vous en faites aussi plus qu'avant. C'est un hasard?
Non, elles remplacent les chansons en anglais parce que je suis un peu fâché avec les américains depuis les subprimes et la guerre en Irak et en Afghanistan.

Miossec et Mark Daumeil de Cocoon ont écrit des textes pour l'album. Djian n'était pas jaloux ?
Plus depuis que je l'ai obligé à faire de la scène avec moi. Il a compris que la musique c'est du partage. Miossec est venu en vacances chez moi. C'est l'avantage d'habiter dans le Sud, mais curieusement ça ne marche qu'en été (rires). On a écrit en s'amusant assez de chansons pour faire un double album. J'en ai gardé une, il en prendra peut être pour son prochain disque, Axelle Red en veut une aussi... Mark, c'est la maison de disques qui voulait que je le rencontre. Je n'étais pas sur que c'était une bonne idée, parce que je ne voulais pas faire un disque de folk. Mais en une après midi on avait déja écrit trois chansons...


Lors de notre dernière rencontre, nous avions eu une longue conversation sur la crise du disque. Croyez vous toujours que les majors y survivront ?

J'en suis persuadé. Dans les cinq ans qui viennent, elles vont à nouveau faire beaucoup d'argent avec l'écoute en streaming. Universal a le catalogue et les tuyaux qu'il faut pour ça. Il ne leur sera pas difficile de convaincre tout le monde qu'avec un abonnement de 50 euros par mois on pourra écouter toute la musique et regarder tous les films qu'on veut. Mais nous, il faudra toujours qu'on aille gagner notre vie en concert. L'an dernier, j'ai touché 128€ de Deezer. Et je suis un artiste écouté sur cette plateforme...

Quels disques emporterez vous en tournée ?
The National, splendide. James Blake m'a vraiment impressionné. J'aime beaucoup Bon Iver et Hem, dans le folk américain. Sur scène, le Suisse Bonaparte est très puissant avec son espèce de cirque punk rock. Et j'attends avec impatience le nouveau Phoenix , que j'ai décidé d'aimer finalement. C'est sans doute le meilleur groupe du moment. Plein de mélancolie nerveuse...

. Stephan Eicher en concert à Nice , le mercredi 15 mai au TNN. Renseignements et réservations dans les points de vente habituels. L'Envolée (Universal)