Après une année 2017 qui lui a valu un César et une nomination aux Oscars, 2018 commence fort pour Isabelle Huppert.L’actrice, qui vient de fêter ses 65 ans, est à l’affiche de trois films et deux séries TV. En attendant de jouer la marâtre de Blanche Neige...


Dans le nouveau film de Serge Bozon, Madame Hyde, sorti mercredi en salles, Isabelle Huppert joue une prof de physique, malingre, timide et peureuse, que ses élèves méprisent et «bordélisent» allègrement. Tout le contraire de l’image que renvoie l’actrice.Ses choix radicaux font l’admiration de la profession et son caractère affirmé terrorise agents, attachés de presse et journalistes.Effet Madame Hyde ou pas (dans le film, librement inspiré de Dr Jekyll et Mister Hyde, elle change de personnalité après un choc électrique), c’est une Isabelle Huppert tout sucre et miel, particulièrement disponible et bien disposée, que l’on retrouve à déjeuner pour parler du film, de sa carrière et de ses projets, parmi lesquels une version décapante de Blanche-Neige par Anne Fontaine…
Dans La Caméra de Claire et Madame Hyde, deux de vos trois films actuellement à l’affiche, vous jouez une prof. Y voyez-vous un parallèle avec votre métier d’actrice?
Si on considère l’estrade comme une petite scène et la classe comme un auditoire, ça y ressemble un peu.Mais ça s’arrête là.Ce qui se noue entre l’acteur et le spectateur est fondamentalement différent du rapport prof-élève, même s’il est toujours question de transmission. Comme actrice, on peut être confronté à la violence des critiques, mais ça n’a rien à voir avec ce que peuvent subir certains profs dans leurs classes.Sauf, si on vous jette des tomates à la tête, mais c’est quand même assez rare (rires).
Avez-vous connu des profs comme celle que vous jouez?
Tout le monde a eu des profs qui ne tenaient pas leurs classes.Être prof c’est presque un sacerdoce et ça peut être violent si on n’est pas fait pour ça. Celle que je joue dans Madame Hyde est une caricature burlesque.Il y a un côté bande dessinéedans le cinéma de Serge Bozon, même quand il traite de sujets sérieux et réalistes. C’était déjà le cas dans Tip Top avec la police…
Quel genre d’élève étiez-vous?On vous imagine travailleuse et cérébrale?
Cérébrale, ça ne veut pas dire bonne élève.Je l’étais dans les petites classes, mais ça s’est un peu gâté par la suite rires. Heureusement, j’ai eu quelques bons profs de philo et de littérature qui m’ont empêché de décrocher.Mais je suis restée nulle en maths…

Comment vous ont trouvé vos élèves du film, comme prof?
Le cinéma c’est très puissant comme média. On est perçu à l’aune de ce qu’on représente dans le film. Les élèves de la classe m’ont perçu comme mon personnage, je pense. Ils étaient très à l’aise face à moi et du coup les scènes de classes sont très réussies.
Serge Bozon pense que la timidité c’est ce qu’il y a de plus difficile à jouer pour une actrice aussi aguerrie et célèbre que vous.Êtes-vous d’accord?
Non, pas du tout. C’était d’autant moins difficile qu’on n’est pas dans le réalisme et le premier degré.Le côté bandes dessinées de son cinéma donne beaucoup de liberté dans le jeu.La théâtralité qu’il demande fait qu’on peut-être dans l’exagération sans crainte d’en faire trop. C’est plus facile que de jouer dans la retenue…
Comment définiriez-vous la relation particulière que vous avez avec certains réalisateurs comme Serge Bozon?
C’est difficile à expliquer.Cela va au-delà de l’amitié qu’on peut avoir ou pas. Il y a d’autres choses qui rentrent en jeu, comme le désir ou la séduction. C’est plus excitant que l’amitié, dans laquelle je vois surtout une forme de sécurité. Bref, c’est assez indéfinissable et à chaque fois différent. Dans le cas de Serge Bozon, j’aime l’univers singulier qu’il impose.Il exige de nous une théâtralité qui nous tire de l’ornière du réalisme.Même si on traite d’une réalité sociale, comme la précarité ou une forme de harcèlement dans le cas de Madame Hyde, cela ne se fait pas sous une forme documentaire, ni militante.C’est intégré de manière brillante et purement cinématographique.
Le film pourrait effectivement s’inscrire dans le débat sur les violences faites aux femmes…
Il pose, en effet, la question de l’éducation. Je me suis déjà beaucoup exprimée sur le sujet, mais il me semble qu’aujourd’hui, la bonne question, c’est de savoir s’il sortira quelque chose de concret de tout ce mouvement. Est-ce qu’on arrivera à imposer l’égalité des salaires, par exemple? Je ne comprends pas comment on peut encore se demander si une femme doit être payée autant qu’un homme pour le même travail. L’intérêt de tout ce débat, c’est qu’il finisse par résonner ailleurs que dans le monde du cinéma.Il faut que cela profite aux femmes dans tous les univers professionnels.
Vos choix de carrière font l’admiration.Sur quoi vous déterminez-vous?
Au départ et avant tout, il y a le metteur en scène. Impossible d’envisager ce que je fais en dehors de ce paramètre. Je pourrais me laisser séduire par un bon réalisateur avec un mauvais scénario. Jamais l’inverse J’ai eu la chance de rencontrer des réalisateurs qui m’ont donné beaucoup de liberté.Les bonnes occasions, il n’y en a pas tant que ça, il faut les saisir.

L’expérience entre-t-elle en ligne de comptedans votre jeu?
Le cinéma, par définition, c’est de l’inédit, de l’inconnu. Ce n’est pas fabriqué sur l’expérience, mais sur le contraire de l’expérience.La compétence n’entre pas en ligne de compte, ça ne repose que sur l’instantané. Je ne me sens pas plus compétente aujourd’hui qu’il y a 25 ans.
Vous arrive-t-il de vous faire peur dans un rôle?
Non, faire du cinéma ça ne me fait pas peur.J’ai peur de plein de choses mais pas de ça. Le théâtre, c’est différent.C’est le contraire de la sécurité.Mais le cinéma non, ça ne m’inquiète pas du tout.
Dans la série Dix pour Cent, vous allez vous retrouver à jouer dans deux films en même temps.Qu’est ce qui vous pousse à travailler autant?
Il ne faut pas confondre régularité et abondance. Il m’arrive aussi de passer du temps sans tourner.Là il se trouve que mes films sortent en même temps et on a l’impression que je ne fais que travailler. Dix pour cent, c’est de la comédie, ça joue sur les réputations des acteurs, qui sont souvent erronées.J’ai accepté d’y être parce que c’est Marc Fitoussi qui réalise l’épisode.
Vous avez aussi un rôle dans Les Romanoffs. Pensez-vous que la créativité soit plus dans les séries aujourd’hui qu’au cinéma?
Non.Les séries, même si elles sont très bonnes, ça ne remplace pas le cinéma. La seule que j’ai jamais regardée en entier c’est Big Little Lies et c’est parce qu’il n’y avait que 8 épisodes. Sinon, le temps qu’on en ait regardé une, il y en a déjà trois autres à voir absolument.C’est épuisant.
Vous arrive-t-il de revoir vos films?
Non, sauf par accident.Ca peut m’amuser cinq minutes, mais pas plus.On ne regarde pas un film de la même manière quand on joue dedans. Le seul que j’ai revu plusieurs fois, c’est les Portes du Paradis, parce que j’ai accompagné Michael Cimino dans les projections.
Et votre fille vous la trouvez comment à l’écran?
Formidable évidemment, puisque c’est ma fille! (rires).Mais l’amour ne me rend pas aveugle: c’est une très bonne actrice.Je n’aurais pas été capable de faire ce qu’elle fait à son âge.J’ai très envie de rejouer avec elle, mais j’aimerais faire autre chose que sa mère cette fois…

Que pouvez-vous nous dire du Blanche Neige d’Anne Fontaine que vous allez tourner?
Juste que c’est une adaptation assez décapante du conte.Et que je joue la méchante, évidemment (rires)