Avant même sa sortie en salles, le nouveau film de Lucas Belvaux (La Raison du plus faible, 38 témoins, Pas son genre) a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il y est question d’une jeune infirmière du Nord de la France (Émilie Dequenne) qui accepte d’être tête de liste dans sa commune pour un parti d’extrême droite dirigé par une femme (Catherine Jacob) et qui va découvrir ses méthodes peu reluisantes.Toute ressemblance avec un parti politique et une personnalité en lice pour les présidentielles n’est évidemment pas fortuite. Le réalisateur belge a fait front pour répondre à nos questions…
Après Pas son genre, on retrouve le Nord et Émilie Dequenne.Y a-t-il une filiation entre les deux films?
On a tourné Pas son genre au moment des municipales dans le Pas-de-Calais, où le FN était crédité de 30 à 40 % des intentions de vote. Je me disais que, parmi mes figurants si sympathiques et chaleureux, un sur trois statistiquement allait voter FN. Et ma gentille coiffeuse, qu’incarnait Émilie, est-ce qu’elle ne serait pas tentée de faire la même chose après son histoire avec son beau prof de philo parisien? Après tout, il était un peu l’incarnation de cette élite Bobo que fustige le Front… J’ai eu envie de faire un film là- dessus. Sur le glissement vers la colère, le ressentiment. Car le vote FN c’est aussi un vote sentimental.
On suppose que ce n’est pas tout à fait un hasard si le film sort en pleine campagne pour les présidentielles?
Non, c’est ma façon de participer au débat. Il me paraît important de rappeler aux gens qui seraient tentés de voter FN pour X raisons, ce qu’il y a derrière les discours aujourd’hui plus policés.Ce n’est pas un hasard si tous les racistes, les fascistes et les nazis se retrouvent dans les valeurs du Front National.Elles font partie de son ADN et continuent de l’alimenter.
Votre film peut-il influer sur le scrutin?
Sans doute pas. Mais c’est le rôle de l’art d’interroger la société. Et sur le long terme cela a des effets.C’est l’art qui fait les civilisations et change la société. Il faut juste du temps…
Avez-vous été surpris des réactions à l’annonce de la sortie du film?
Ce qui m’a surpris, c’est la rapidité, pas la rhétorique qui est habituelle du FN.Ils n’ont même pas attendu de voir le film pour dire à leurs sympathisants ce qu’il fallait en penser. C’est typique des partis totalitaires.Et ça marche toujours! Les éléments de langage ont aussitôt été repris sur les réseaux sociaux.Et il fallait voir la violence de certains messages. C’est d’ailleurs ce qui m’a le plus surpris dans cette aventure: voir que les discours ouvertement racistes, antisémites, voire carrément nazis s’affichent ouvertement.
Avez-vous subi des pressions pendant le tournage? Avez-vous peur des réactions à la sortie?
Non.Je pense que la campagne électorale nous protège des éléments les plus violents.Ils n’ont pas intérêt à faire de vagues. D’autant que, cette fois, ils y croient vraiment. Et j’avoue que ça, ça fait un peu peur.
Auriez-vous pu faire le même film dans le Sud de la France, où le FN fait aussi de gros scores?
Non, j’aurais pu le tourner en Lorraine à la rigueur où le contexte similaire.Mais le FN du Sud est très différent de celui du Nord. C’est une autre idéologie, une autre façon de parler aux gens.Les tactiques sont les mêmes, mais le fond diffère. Étonnamment, c’est dans le Sud-Est que le film sera le moins bien distribué.Alors que c’est la plus grosse sortie d’un de mes films, avec un grand nombre de copies, il y a une vingtaine de salles du sud de la France où il aurait dû être et où il ne sera pas programmé. Je n’ai pas réussi à savoir pourquoi…