Il parle comme il filme.Ses réponses forment un flot torrentiel au milieu duquel il faut repêcher à la volée les mots clés pour en saisir le sens. Pas facile de comprendre où Martin Scorsese veut en venir avec Silence.Peut-être le plus beau de ses films d’un strict point de vue esthétique, mais sans doute aussi le plus hermétique pour qui ne partage pas sa fascination pour la religion. Scorsese y met en scène le dilemme d’un jeune jésuite (Andrew Garfield) sommé de renier sa foi ou de voir martyriser ses fidèles…


Silence est un projet que vous portiez depuis presque 20 ans.Comment vous sentez-vous aujourd’hui?Délivré?
J’étais obsédé par le livre de Shusaku Endo et par l’histoire qu’il raconte.Mais durant les 15 premières années, j’ignorais totalement comment le transposer au cinéma. Ensuite, il y a eu des problèmes légaux et financiers faramineux: Hollywood faisait tout pour me décourager de le tourner.Trois acteurs de premier plan ont refusé le rôle principal parce qu’ils ne voulaient pas participer à un film qui traite de problèmes religieux… Mais je me suis accroché et j’ai fait un film qui m’appartient vraiment.De tous les films que j’ai réalisés, c’est celui qui a eu le plus de connexions avec ce que je vivais. J’ai dû faire des choix, repenser des valeurs, comprendre ce que c’était «d’accepter», au sens philosophique du terme et d’être là pour les autres et pour soi… Généralement, une fois finis, je suis content de certains de mes films et d’autres je ne veux plus en entendre parler.Mais celui-là, il m’habite encore.
Quel(s) message(s) vouliez vous faire passer avec ce film?
Pour moi le livre parle d’accepter la spiritualité qui est en nous. Comment on la nourrit?Et comment on se nourrit d’elle?Je crois que les changements dans le monde d’aujourd’hui, nous amènent nécessairement à nous questionner sur notre spiritualité.
Silence, pour vous, c’est un constat, un reproche ou une injonction?
C’est d’abord une façon d’attirer l’attention du spectateur.De lui signifier que le film exige une certaine implication de sa part.Mais c’est aussi, bien sûr, une forme de questionnement plus intime. Nous venons tous du silence et nous allons tous y retourner, donc autant s’y habituer et s’y sentir bien.
Pourquoi avoir choisi Andrew Garfield pour incarner le héros?
Andrew faisait partie d’une dizaine d’acteurs qui étaient pressentis. J’ai compris qu’il était vraiment l’acteur que je recherchais après une incroyable audition avec moi qui a duré 3 heures. La chose fondamentale pour moi, est qu’il voulait vraiment, vraiment interpréter ce personnage. Il n’avait absolument pas peur de rentrer dans la peau de ce prêtre jésuite.Il était prêt a se mettre dans cet état d’esprit et, surtout, il était prêt aux doutes et aux questionnements.
Le film vous permet aussi de rendre hommage au cinéma japonais que vous adorez…
Oui, la scène du bateau dans la brume, par exemple, vient directement des Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi que j’ai vus en 1954 et qui m’ont marqué à jamais.J’aurais aimé en filmer d’autres comme Kobayashi ou Kurosawa.Mais j’ai vite compris, heureusement, qu’il allait falloir que je digère mes 50 années de visionnage de films japonais pour retrouver ma propre signature et mon cinéma.
Tourner en pleine nature a dû vous changer de New York et Las Vegas?
Ca m’a littéralement transformé! Je suis un New Yorkais, donc allergique à tout ce qui est décor naturel.J’ai grandi dans des couloirs sombres et des maisons pauvres.Je regardais la vie de derrière la fenêtre, c’était Fenêtre sur Cour, chez moi… Me retrouver en haut d’une montagne, malgré les difficultés techniques et les efforts physiques que cela représentait, ça a été pour moi presque une expérience mystique! (rires).