Après trois films plutôt «grand public» (Les Adieux à la reine, Trois cœurs et Journal d’une Femme de chambre»), Benoît Jacquot revient à une forme plus radicale et épurée avec A Jamais, adaptation d’un roman de Don DeLillo (The Body Artist).Conscient que son film avait besoin d’être «accompagné», il est venu le présenter à Nice, où nous l’avons rencontré…
Qu’est-ce qui vous attirait dans la nouvelle de Don DeLillo?
À vrai dire, c’est le producteur de Cosmopolis qui m’a proposé l’adaptation et, bien que j’aie aimé le roman, j’étais perplexe quant à la possibilité d’en tirer un film. C’est ma rencontre avec Julia Roy qui m’a décidé à le faire.
Julia Roy, qui joue le premier rôle et signe l’adaptation, est la révélation du film.Qui est-elle?
C’est une jeune actrice qui vit à Vienne en Autriche.Elle est venue me voir à une master class à Paris. Elle est très cinéphile et connaissait très bien mes films. Tous les cinéastes espèrent rencontrer quelqu’un comme elle, qui laisse penser qu’il pourrait se passer quelque chose cinématographiquement. Je lui ai donné le livre à lire à haute voix, pour l’entendre. En l’écoutant, j’ai pensé qu’il y avait un point de contact possible entre elle, le livre et une idée de film. Pour l’éprouver, je lui ai demandé d’essayer d’écrire un scénario à partir du bouquin.C’est ce qu’elle a fait et c’est ce qu’on a filmé. J’ai l’habitude de me laisser inspirer par les acteurs, mais c’est la première fois que ça va aussi loin dans le processus de création.
Son jeu est très intense…
Si je ne l’avais pas trouvée pas excellente, avec une présence rare, je ne l’aurais pas filmée. Elle est «photophore»: elle capte la lumière d’une manière inouïe. Je suis heureux d’avoir pu être le premier à la filmer.
Au point de faire une infidélité à Isabelle Huppert!
Oui, elle voulait le rôle et m’en a un peu voulu. Mais je trouvais que, dramaturgiquement et cinématographiquement, ce serait plus intéressant avec une actrice plus jeune.Le personnage est hyper vulnérable.C’est ce qui l’ouvre à une expérience à limite de la folie, comme celle qu’elle vit…

La mort, le deuil, la possibilité de quelque chose après… C’étaient des thèmes que vous vouliez aborder?
Pas vraiment.Je pense même, rétrospectivement, que ma réticence par rapport à l’adaptation du roman venait d’une identification possible au personnage de cinéaste suicidaire en bout de course qu’incarne Mathieu Amalric.
Dans son nouveau film, Personal Shopper, qui sort une semaine après le vôtre, Olivier Assayas traite un peu le même sujet…
Oui et de manière très différente, beaucoup plus spectaculaire. Il faut croire que les fantômes, c’est tendance (rires).Je me suis laissé dire qu’il y en aurait aussi dans le prochain Desplechin…
Ne craignez-vous pas de déconcerter le public de vos derniers films avec celui-là?
Si, je sais qu’il va déranger et c’est pour cela que je veux l’accompagner autant que possible.
À jamais rappelle un peu vos premiers films…
Sauf que je n’aurais pas pu le faire avant.Il est assez savant en terme de mise en scène.C’est au-delà du savoir faire: une espèce de sûreté de geste qu’on n’atteint qu’avec le temps. Mais pour tout vous avouer, je suis scié par ce film.Il m’étonne.Il a une espèce de force secrète, dont je ne connais pas l’origine… Surnaturelle peut-être? (rires)