Gad Elmaleh joue son premier « premier rôle » dramatique dans Le Capital, le nouveau film de Costa Gavras : celui d’un jeune banquier prêt à tout pour assurer sa carrière au sein d’une grande banque internationale dont il est devenu, un peu par hasard, président. Une proposition qui a surpris l’humoriste lui-même, comme il nous l’a confié au Festival du film méditerranéen de Montpellier dont il était l’invité d’honneur et où il a été acclamé comme une rock star par un public essentiellement composé de lycéens et d’étudiants…



Un rôle dramatique, pour un humoriste, c’est un passage obligé ?

On m’en a proposé pas mal. C’était censé me permettre de « prendre un tournant », de « faire mon Tchao Pantin », comme on dit. Mais c'était artificiel. Je sentais bien que c'était plus pour faire un coup, qu'autre chose. Costa, lui, me voulait vraiment. C'était sincère.

Vous avez hésité à accepter ?

Sans fausse modestie, j'ai mis du temps à accepter, parce que j'avais peur. Ce rôle, c'était une responsabilité. On joue avec des enjeux qui sont forts, dans une période délicate. Tu ne tournes pas avec Costa Gavras juste parce que tu as très envie de voir cette ligne s'ajouter sur ton CV. C'était au-delà de ça. La période dans laquelle on vit m'interpelle beaucoup et je me sens très impliqué. Et puis je voulais gagner de l'argent ! (rires).

Comment avez-vous préparé le rôle ?

Je me suis dit : je vais y aller à fond. J'ai beaucoup travaillé dans le sens de la rigidité, de la rigueur. Il ne fallait pas que l’on voit l’humoriste derrière le personnage, mais utiliser quand même l’a priori de sympathie que le public peut avoir pour moi pour souligner l’ambigüité du personnage qui n’est pas seulement cynique et impitoyable. C’est le monde dans lequel il travaille qui l’est.

Vous avez rencontré des banquiers ?

Oui. Ce sont des gens intelligents, cultivés, séduisant, ils sont lucides sur le monde... mais ils exercent un métier un peu opaque qui conduit parfois à des catastrophes. Ils sont stressés parce que leur statut est très fragile : si les actionnaires ne sont pas satisfaits, ils sont débarqués. Et puis ce qui est dramatique et cynique c'est que tout ce qu'ils font est légal : dérèglementé, hystérique, mais légal. Aujourd'hui, on parle de règlementer et c'est ce qu'il faudrait faire. Mais est-ce possible ? Les milieux de la banque sont des lobbys très puissants.

La description qu’en donne le film est-elle réaliste selon vous ?

On est même en deçà de la réalité quand on donne les chiffres des transactions ou des salaires pourtant énormes. Je vais vous raconter une anecdote qui en dit long. Nous avons organisé une projection uniquement pour des banquiers. Pendant près de deux heures, ils ont vu un mec qui écrase tout le monde sans état d'âme, détruit des vies avec cynisme. A la fin, il y en a un qui est venu vers moi, je n'en menais pas large, et il m'a simplement dit : « Non, c'est bien votre film ! Mais, vous savez, avec un Falcon 900 EX vous ne ferez jamais un Paris-Tokyo direct ». Pour eux , les gens qu’on licencie par milliers sont juste des chiffres, ils ne les voient jamais. D'ailleurs ils descendent rarement dans la rue (rires)

Vous pourriez faire un spectacle comique avec ce que vous avez appris sur la banque ?

J’y pense sérieusement. Costa et moi avons en commun d'observer le monde : lui pour ses films, moi sur mes spectacles. Quand je vois comment on traite les marchés boursiers à la télé ou dans les journaux, ça me fait rire. On entend dire : « les marchés sont anxieux » ou « à l'aise », ou « hystériques ». On dirait qu’on parle de malades ! C’est comme le mot « crise » , je trouve ça optimiste : « traverser une crise » , ça veut dire qu’on peut en sortir. Ce n’est pas l’impression que ça donne…

Finalement être acteur dramatique, c’est différent d’acteur de comédie ?

Ca change beaucoup de choses pour moi. Déjà, là je suis en train de vous parler et je peux m'exprimer sur des choses que je n'aborde pas d'habitude. Au début, je trouvais ça très étrange de faire des débats après les projections parce que ça arrive très rarement en comédie. Mais plus on en a fait, plus j'y ai pris goût et plus je développe mon opinion. Et puis les gens m'appellent « M. Elmaleh » maintenant, c'est formidable. Ca me vieillit un peu, mais ça me flatte beaucoup (rires).