Étrangement absent cette année de Cannes, où ses films précédents ont toujours fait sensation (Mention spéciale Camera d’or pour La vie de Jésus en 1997, Grand Prix du jury et double prix d’interprétation pour l’Humanité en 1999, Grand Prix pour Flandres en 2006), Bruno Dumont réalise pourtant avec Hadewijch, qui sort mercredi en salles, son film le plus accessible.Il devrait permettre au grand public de découvrir son cinéma, l’un des plus authentiquement originaux qui soit apparu au cours de la dernière décennie.
Inspirée d’une poétesse et mystique flamande du XIIIe siècle, Hadewijch (joliement incarnée par une inconnue, Julie Sokolowski) est une jeune parisienne de (très) bonne famille dont la foi extatique et aveugle effraie jusqu’aux religieuses qui l’accueillent comme novice dans leur couvent.Rendue à la vie « laïque » pour retrouver plus d’humilité et de sagesse, elle rencontre deux jeunes musulmans qui vont l’entraîner, entre grâce et folie, sur les chemins dangereux de l’intégrisme...
Avec ce sujet en prise directe avec les préoccupations du siècle (qui « sera religieux ou ne sera pas », selon la fameuse citation de Malraux), traité avec son "austérité lyrique" habituelle, Bruno Dumont, qui dans une autre vie fut professeur de philosophie, invite le spectateur à réfléchir sur ses propres croyances, ainsi que sur les liens entre religion et cinéma. Explications...


D’où vient Hadewijch?
La découverte de ses Visions et de sa mystique a été un émerveillement.Je ne suis pas croyant, mais faire des films pousse au mysticisme.En filmant ou en montant des plans, je vois naître des choses que je n’y ai pas mis consciemment.Il y a une proximité entre le cinéma et la mystique, sur leur rapport au réel et aux apparences, sur la puissance des sensations qu’ils peuvent engendrer et percer.Les mystiques sont souvent des gens simples qui vivent une expérience religieuse, pas forcément comprise. Moi-même, je filme des choses que je sens mais que je comprends mal.

Justement, n’y a-t-il pas un risque de malentendu, quand la face sombre du mysticisme que vous montrez est incarnée par le terrorisme islamique?
J’ai voulu faire un film actuel, avec une jeune fille d’aujourd’hui, qui traite de la religion d’aujourd’hui.Or, la réalité d’aujourd’hui, c’est que la violence religieuse vient de ce côté-là. Si j’avais situé mon film dans le passé, c’est le catholicisme qui aurait été questionné, avec les croisades ou l’inquisition. Je ne dresse pas une église contre une autre.Au contraire, je montre que les mêmes causes produisent les mêmes effets.Céline (le vrai prénom d’Hadewijch NDLR) et Yassine marchent sur le même chemin.
C’est paradoxal, parce que l’un et l’autre semblent n’être que douceur et amour...
La violence naît de l’amour ou du désamour. C’est effectivement paradoxal: un esprit raisonnable a du mal à comprendre qu’on puisse tuer par amour.Seuls les mystiques arrivent à concilier ces contraires.Les mystiques et le cinéma.Sa capacité à pénetrer à l’intérieur du cœur et de l’esprit des personnages et des spectateurs permet d’explorer ces zones, que la raison a du mal à aborder. C’est pour cela qu’il m’intéresse. J’essaie de filmer simplement, pour dire des choses profondes. Ce film est une métaphore du sentiment amoureux, de sa puissance et de sa violence.
Comment se fait-il qu’on ne vous ait pas vu à Cannes ?
Le film était prêt, mais on ne me proposait que la section Un Certain Regard.J’ai dit non. Le film a ensuite été sélectionné à Venise mais, bizarrement, il a été désélectionné deux jours avant, sans explications. Je ne peux qu’en déduire qu’il dérange.Le prix de la critique internationale à Toronto me rassure en tout cas sur sa perception par le public.
Prochain projet?
Un thriller américain ! Si, si, c’est vrai. Le genre m’intéresse et un policier, c’est comme un philosophe : quelqu’un qui cherche.