Les chiens nous avaient averti de leur passage.
Ils sont passés là devant nous.
Tous ces gens avec leurs charrettes pleines de matelas et de vêtements …


C'était il y a bien longtemps déjà et pourtant, pour moi c'est comme ci c'était hier.
Le soir, au coin du feu, ma mère m'en parle souvent comme pour ne pas oublier ou, simplement, pour tenter d’exorciser toutes ces souffrances qu'elle a vécu, avec nous, ces jours-là ...

Cela s'est passé comme dans un mauvais rêve qui a pourtant débuté par un beau jour d'été. Depuis quelques jours déjà, mes parents avaient appris, à la radio, que le débarquement avait eu lieu près de Sainte-Mère-Église.

Au début, on pouvait voir les flash de lumière dans la nuit étoilée. Maintenant, les bruits des bombes et des batteries de la DCA faisaient parti de notre quotidien ...

C'était là-bas, près de chez nous et on priait tous les soirs en famille pour que cette maudite guerre ne vienne pas nous toucher.
Oui, prier fort mais on ne pouvait plus ne pas entendre ces bruits se rapprocher …
ni taire les pleurs de mes jeunes frères et sœurs quand, la nuit venue, on essayait de les faire dormir …

Ce matin là, j'étais en train d'aider ma mère à traire les vaches. Notre père était parti aux champs finir les foins.
Les chiens nous avaient averti de leur passage. Ils sont passés là devant nous.
Tous ces gens avec leurs charrettes pleines de matelas et de vêtements.
Des familles entières qui ont du, malgré eux, partir et tout quitter à cause des bombardements alliés …

Nous ne savions pas que, ce jour là, que c'était bientôt notre tour …
Que les jours dans notre ferme étaient déjà comptés …

C'était chez nous, il y a soixante dix ans … mais cela est toujours vrai aujourd'hui non loin d'ici ...


Avril 2014