Alors sans vouloir étaler ma morne vie, il me paraît nécessaire pour un récit de voyage de re-situer le contexte. A l'époque donc, j'étais jeune, beau et je sentais bon le sable chaud puisque j'étais militaire (oui rien n'est parfait) mais au soleil (ça compense). Je traînais mes guêtres (et oui j'en ai mises) sur Tahiti, hébergé gracieusement par notre Marine nationale. Il se trouve que sur place je me suis débrouillé pour me faire offrir 3 jours de vacances à l'île de Pâques et qu'une demoiselle m'y a accompagné. Très chastement, puisque c'était la copine d'un de mes coreligionnaires. Ayé, c'est fait pour le contexte.

La première chose qui étonne, qui sidère même, c'est l'isolement extrême de l'ïle de Pâques. A ma connaissance, vous ne pouvez y aller qu'au départ de deux aéroports : Papeete (ça tombe bien j'y étais) et Santiago (l'île est d'ailleurs chilienne). De Tahiti ça fait quand même 4 000 bornes soit presque 5 heures d'avion et du Chili ça fait encore pratiquement autant. C'est tellement paumé que quand vous êtes sur place, vous êtes donc non seulement à presque 4 000 bornes du continent le plus proche mais aussi à 2 000 kilomètres de l'île habitée la plus proche (Pitcairn) qui est plutôt à ranger dans la catégorie "île inaccessible".

Ce qui renforce encore cette impression, ce sont les dimensions ridicules de ce caillou perdu dans l'eau salée : c'est un triangle d'environ 20 km de côté dont on peut faire le tour en une demi-journée... et ce caillou ne compte que 3 000 habitants environ. Regardez sur un globe la tête d'épingle que ça représente et vous verrez que l'expression "loin de tout" prend toute sa saveur.


Quand on y arrive (en avion donc), on est surpris par la taille (immense) de la piste d'atterrissage en effet, de ce que j'ai compris, elle était supposée pouvoir servir de piste de secours pour les navettes spatiales (regardez sur les cartes, elle traverse l'île au sud ouest). Une fois qu'on a vu l'île depuis là-haut et qu'on s'y est posé, tous les chiffres que je vous ai donnés au début vous reviennent en mémoire mais vous les ressentez physiquement : vous êtes dans un des endroits les plus perdus du monde. C'est une sensation à la fois appeurante et agréable...

A part sa piste géante, l'île est plutôt rustique. A peine sorti de l'aéroport, on commence à croiser des "pascuans" à cheval sur des routes à peine empierrées ou carrément en terre (imaginez le prix pour faire venir du goudron...). Compte tenu de son isolement total, les marchandises sont rares et chères et on sent que l'hyperconsommation n'est pas à la mode (ça aussi ça fait du bien). L'île n'a aucune autre ressource que le tourisme...

Une fois arrivée à la pension de famille, on a qu'une envie : aller faire un tour. On sort, on fait quelques dizaines de mètres et là c'est le choc. Déjà, j'ai mis un pull et il est à peine suffisant. Ne riez pas, c'est la première fois depuis plus de 6 mois que j'en mets un.

Et puis, la mer est là. Forcément : c'est une île. Mais c'est pas la même mer qu'à Tahiti. Ici c'est une mer sauvage. La côte est déchiquetée : des falaises noires sur lesquelles viennent s'écraser en contrebas des vagues bleues sombres dans des grandes gerbes d'écume. C'est désolé, c'est magnifique. Le paysage que nous voyons ressemble à une lande écossaise mais au bord d'une côte bretonne ou irlandaise. L'herbe est jaune orangée, on ne voit pratiquement aucun arbre et au loin on aperçoit des promontoires qui sont les volcans qui marquent chaque angle de l'île (oui, ça fait trois sommets).

On commence à marcher un peu dans la lande, ivres de cet vent frais et iodé, si différent de cet air doux et chargé de parfums lourds qu'on respirait à Tahiti. Et là, nous découvrons notre premier moaï, ces grandes et mystérieuses statues de pierre qui font la célébrité de l'île...

Il est au sol, face couchée contre terre. Il est en pierre volcanique et fait au moins trois mètres de haut (enfin de long vu qu'il est couché), je ne veux pas imaginer combien il pèse. En regardant autour de nous, on en aperçoit d'autres. Certains on été relevés. Mais ce ne sont que des "petits" specimen, je sais qu'il y en a d'autre bien plus grands, plus loin.

La nuit est déjà sur le point de tomber, nous rentrons, fatigués du vol et de ce grand bol d'air frais et piquant. Repas local, fruste mais bon. Heureusement, notre hôtesse parle anglais et même un peu de français (je ne parle pas espagnol...). Le soir, nous allons faire un tour dans les rues de Hanga Roa (la ville), on se croirait sur une autre planète... les pascuans montent à cru, et laissent leur cheval devant les bâtiments, comme au far west.

Avec la jeune fille qui m'accompagne (tiens, c'est un titre de Cabrel ça) nous discutons tranquillement et librement... ça faisait si longtemps. L'ambiance est douce, irréelle mais je ressens la pulsation de la mer toute proche et une atmosphère comment dire... d'histoire, presque de mystère. Une fois rentré, je me coule sous les couvertures : seul d'accord mais c'est quand même un vrai bonheur quand on a eu trop chaud pendant tant de nuits...

A SUIVRE