Christophe Deloire 19:51:

Que l'on soit pour où contre la règle d'or, il y a une chose sur laquelle on peut être d'accord. C'est que les électeurs sont de plus en plus dépossédés de leurs droits à choisir les politiques, que les politiques, de plus, elles sont prévues par les traités, où alors elles sont dévolues à des autorités indépendantes, au niveau européen, voire à l'extérieur de l'Europe. C'est faramineux. Parfois, les logiques comptables de nos entreprises ont été définies par un groupe privé basé à Londres déclaré dans le Delaware, aux États-Unis, et tout cela a été entériné par l'Union européenne. Et, donc, nos dirigeants ― ceux que vous montrez, qui là sont soi-disant en train de se liguer contre Hollande ― il y a une chose : c'est qu'ils ne sont pas très préoccupés de démocratie, et que quand on regarde ce qui se passe, au Conseil européen, on s'aperçoit qu'ils statuent à huis-clos, sans qu'on sache dans quelles conditions...

Thierry Ardisson 20:37 :

Vous dites, dans votre bouquin, que des fois il n'y a même pas de vidéos, ce n'est même pas filmé...

Christophe Deloire :

Dans "Circus politicus", on s'est procuré les compte-rendus des Conseils européens. C'est des notes qui s'appellent "anti-cheat", qui n'ont jamais sorti et qui pour la première fois permettent de restituer les conversations entre Merckel, Cameron, Sarkozy et les autres. Il y a des scènes faramineuses. Je vous en raconte juste une, une scène où Merckel raconte qu'il faut prévoir une suspension des droits de vote des pays qui enfreignent les règles budgétaires. Sarkozy abonde derrière en disant des Droits de l'Homme et le budget en effet, comme c'est prévu pour les Droits de l'Homme, on peut le faire pour le budget. Et à la fin de la réunion, il y a quand même le Bulgare et le Roumain qui disent, et Papandréou à l'époque et quelques autres, qui disent : "Mais enfin vous êtes en train de délirer !". Et donc il y a une leçon de démocratie adressée à Merckel et Sarkozy par l'ancien garde du corps de Jirkov, le dictateur communiste bulgare, qui entre-temps est devenu chef de l’État en Bulgarie.

Thierry Ardisson 21:26 :

Mais dans ce bouquin, ce qu'il y a d'extraordinaire, dans "Circus politicus", c'est qu'on se rend compte en fait que toutes ces réunions bruxelloises ne sont absolument pas transparentes en fait.

Jean-Luc Mélenchon 21:34 :

La démocratie est confisquée. Moi, je suis parlementaire européen. Je n'ai aucun droit de délibérer sur le marché intérieur, c'est-à-dire sur toutes les règles qui organisent ― qui n'organisent pas, d'ailleurs ― la concurrence. D'accord ? Et on me dit "Mais Monsieur Mélenchon, vous avez voté ceci. Vous avez voté cela." Les textes nous arrivent à la dernière minute en anglais, souvent incompréhensibles ― à dessein ! J'accuse. Je dis : "à dessein", rendus incompréhensibles !
Le mécanisme européen de stabilité : nous avons dû recevoir la version française 48 heures avant qu'on vote. On y a passé des heures pour savoir ce qu'il y avait dedans. Impossible de savoir de quoi ils parlaient. Impossible de savoir quels étaient les vrais enjeux de la discussion.

Thierry Ardisson 22:10 :

Ça rejoint ce que dit Christophe [Deloire] dans son bouquin, vous parlez de "putsch démocratique".

Christophe Deloire 22:13 :

Oui, il y a eu une prise de conscience de notre vie politique et européenne par des réseaux très puissants qui ont commis un putsch démocratique en profitant des failles du système et qui donc ont mis en place un système où l'électeur a de moins en moins son mot à dire. Et ça, c'est d'autant plus grave qu'en France on a un président soi-disant tout-puissant qui va négocier tout seul et qui dit ― on l'a vu lorsque Sarkozy a fait son interview avec Merckel ― qui dit "J'engage la parole de la France". Comme on a des députés, en France, qui en gros sont des potiches décoratives, qui entérinent ce qui a été décidé ailleurs...

Thierry Ardisson 22/44 :

On appelle ça des godillots...

Christophe Deloire :

Et plus il y a des décisions qui sont importantes, plus on fait en sorte de faire des débats en catimini...

Cet échange intéressant et instructif est malheureusement interrompu par Eric Brunet, l'auteur visiblement pas très à l'aise et excité de "Pourquoi Sarko va gagner ?", désigné dans l'intitulé comme "Le dernier Sarkolâtre". La suite mérite néanmoins d'être vue et écoutée.

Pustch démocratique ou linguistique ?

Les deux vont de pair.

Churchill s'était intéressé au "Basic English" (British American Scientific International and Commercial) inventé par Charles Kay Ogden, un sémanticien de Cambridge. Il avait écrit en juillet 1943 à la BBC : “Je suis très intéressé par la question de la langue anglaise basique. L'utilisation propagée de ceci serait un gain bien plus durable et profitable que l'annexion de grandes provinces“.
i

En 1934, Ogden avait écrit, en proposant cette forme simplifiée de l'anglais : “Plus utile serait au monde un millier de plus de langues mortes ― et une vivante de plus
ii. Un avis semblable, celui d'un sénateur des États-Unis, fut rapporté par Hervé Lavenir de Buffon dans "Le Figaro Magazine" (22.06.2002) : "Il y a 6000 langues parlées dans le monde, 5 999 de trop, l’anglais suffira."

En fait, la couleur a été annoncée depuis déjà longtemps. Ainsi, un rapport interne du British Council posait cette interrogation dès 1968-69 : "Il y a un élément de commercialité dissimulé dans chaque professeur, livre, revue, film, programme télévisé, de langue anglaise envoyés au delà des mers. Si alors nous sommes en train de tirer un avantage politique, commercial et culturel de l’usage mondial de l’anglais, que faisons-nous pour maintenir cette position ?"

Les puissants intérêts qui se trouvent derrière l’anglais sont trop souvent oubliés. Ces intérêts ne sont pas ceux de l’ensemble de la population, tant à l’échelle européenne que mondiale.

Dès 1971-72, alors qu’un accord était intervenu sur les principales conditions d’adhésion de la Grande-Bretagne au Marché Commun, le British Council avait reçu 16% de crédits supplémentaires. C’est ce qui s’appelle avoir de la suite dans les idées, et ce n’est pas sans raisons que, le 12 octobre 1978, le quotidien "The International Herald Tribune" pouvait intituler triomphalement un article : "English is a Profitable Export".

Il n’y a rien de tel, pour laisser s’accentuer le déséquilibre économique, politique et culturel, que de laisser la langue d’une nation s’imposer dans le rôle d’interface linguistique. C’est en effet un non sens de baptiser "INTERNATIONALE" une langue qui est avant tout NATIONALE, une langue que le citoyens des pays concernés reçoivent dès leur naissance et qui les dispensera d’apprendre celles des autres, une langue qui imprègne dès l’enfance leur subconscient d’un complexe de supériorité. Or, comme l’a dit très justement la linguiste Henriette Walter : "La langue, c’est une façon de voir le monde".

En 1992, par la publication d'un ouvrage intitulé "Linguistic Imperialism", le professeur Robert Phillipson, un ancien du British Council, avait cherché à attirer l'attention sur la réalisation d'un projet mondial de formatage des cerveaux fomenté par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis lors d'une conférence qui se tient à Cambridge en 1961, l'année du discours de fin de mandat dans lequel président Eisenhower avait mis en garde contre le complexe militaro-industriel. Cet ouvrage n'eut pas un grand écho en France et dans le monde. Le professeur Phillipson en a publié une suite en 2010 sous le titre "Linguistic Imperialism continued". Une traduction en a été publiée en italien en 2011, mais rien en France où la gauche comme la droite sont inertes sur cette question en dépit d'ouvrages très documentés et solidement référencés de Charles Xavier Durand, en particulier “Une colonie ordinaire au XXIe siècle“ (Liste d'ouvrages et documents avec liens et références).

Le ministre Claude Allègre avait dit, en août 1997, à La Rochelle : "Il ne faut pas compter l'anglais comme une langue étrangère , mais le français est en bonne voie pour le devenir en France et dans les pays francophones... Deux ans après, un peu à la façon de populations primitives d'une contrée reculée de Chine qui n'imaginaient pas de liens entre la naissance des enfants et l'acte sexuel, le même s'était étonné de cette situation :

"Les motifs d'inquiétude et d'angoisse ne manquent pas quant à l'avenir et au rayonnement de notre culture face à ce que MM Claude Allègre et Pierre Moscovici ont appelé cette extraordinaire machine d'invasion intellectuelle que constituent désormais les États-Unis." iii

Tout ceci était prévisible. Il y a eu des signaux d'alarme.

Penser à l’anglaise ?... à l’américaine ?...

Tout est fait pour nous y conduire. Le processus de mondialisation de l’économie va de pair avec l’anglicisation du monde. Imposer sa langue, c’est imposer des modèles et une façon de voir le monde, de penser, d'agir, de consommer.

Tels sont précisément les visées de ceux qui veulent dicter leurs choix.

Les extraits suivants d'articles donnent une idée de l'évolution de la situation.

"Dopés par un rapport de force de plus en plus favorable, ils [les anglophones] entendent faire triompher leur cause : imposer l'anglais dans la salle de presse de la Commission alors que, par un usage remontant aux origines de la Communauté, seul le français y a droit de cité. (...) Mais la réalité est là : doucement, l'anglais supplante le français au sein de l'Union -- la fiction veut que l'UE travaille dans les neuf langues. Et les futurs élargissements ne feront qu'augmenter cette tendance. On l'a bien vu lors de l'inauguration de l'Institut monétaire européen à Francfort il y a quelques semaines : son président, pourtant belge francophone, s'est exprimé, devant les journalistes, uniquement en anglais et, là aussi contrairement aux usages, seule une interprétation en allemand était disponible.

Désormais, la plupart des jeunes fonctionnaires recrutés par la Commission ne parlent plus français, mais anglais en deuxième langue, note un eurocrate. (...)"

Libération, 4 février 1994
________________________________________

"La France a protesté, mercredi, contre la mise à l'écart du français à l'Otan où il est pourtant la deuxième langue officielle. En pleine semaine de la francophonie, la France a réagi devant la plus haute instance politique qui réunit en temps ordinaire les ambassadeurs des seize pays membres. L'Otan utilise quasi exclusivement l'anglais pour transmettre ses informations sur le réseau Internet et lors des discussions au sein de la cellule du "Partenariat pour la paix" avec des pays de l'Europe de l'Est."

Ouest-France, 21 mars 1996
________________________________________

"Madeleine Albright, le Secrétaire d'État américain en tournée chez ses pro-consuls européens affirme : L'un des objectifs majeurs de notre gouverne-ment est de s'assurer que les intérêts économiques des États-Unis pourront être étendus à l'échelle planétaire ."

"Récemment un responsable du département d'État, à qui l'on rappelait que le français est une des langues officielles de l'ONU, répondait : Je pense que c'est une plaisanterie, pourquoi pas le swahili ?"

À gauche, 20 février 1997.
________________________________________

"A Davos, lors du fameux World Economic Forum, le français a été mis au ban des langues admises. Il faut y parler anglais, et nos représentants les plus illustres acceptent ce diktat au nom d'un mondialisme anglo-saxon."

Le Journal des Finances, 22 au 28 mars 1997
________________________________________

"Robin Cook, le nouveau secrétaire au Foreign Office, voit grand. Il veut non seulement rendre à la diplomatie britannique un lustre que l'administration tory avait, selon lui, terni, mais il souhaite aussi que, demain, la Grande-Bretagne mène le monde . Pacifiquement, cela va de soi. Par la seule force de son économie, de son génie créateur, de sa culture et de sa langue."

Le Figaro , 13 mai 1997. J.D.
________________________________________

"Au XXIème siècle, le pouvoir dominant est l'Amérique, le langage dominant est l'anglais, le modèle économique dominant est le capitalisme anglo-saxon."

Margaret Thatcher ( Marianne, 31 juillet 2000).iv
________________________________________

"En Corée, nous avons dépensé des sommes énormes d'argent pour apprendre l'anglais. En calculant d'après mon expérience personnelle, j'aurais pu obtenir cinq doctorats si je n'avais pas été obligé d'apprendre l'anglais. "

BBC, juin 1998 : Réponse de Kin Hiongun, chercheur coréen, à l'occasion d'une enquête de la BBC auprès de ses auditeurs sur l'anglais comme unique langue officielle de l'Union européenne (37% contre et 63% pour).
________________________________________

"Si de nombreux diplomates et fonctionnaires internationaux d'origine américaine et africaine sont soucieux de la défense de la langue française à l'Organisation des Nations unies, on ne peut que constater le nombre important de personnalités françaises ou belges ou originaires de pays où le français était traditionnellement enseigné qui ne s'expriment à la tribune des Nations unies que dans un anglais souvent médiocre, quand ce n'est pas en franglais" .

Le Monde, 19 décembre 1998. Isabelle Vichniac : "Débâcle de la francophonie dans les instances onusiennes".
________________________________________

"Beaucoup de patrons disent vouloir des gens bilingues alors que, dans la plupart des cas, ils n'ont pas besoin de l'anglais au quotidien. Or ils vont en même temps jusqu'à faire perdre leur compétence à leurs cadres par manque de pratique !"

D'après Le Point, 17 avril 1999, les langues représentaient alors sans doute entre 10 et 20 % de l'effort de formation global des entreprises, estimé à 32 milliards de francs au total (= env. 4 878 000 000 €. )
________________________________________

"Dans les cabinets des vingt commissaires, l'Angleterre se taille la part du lion avec huit postes de direction, trois chefs de cabinets (l'équivalent de nos directeurs de cabinets ministériels) et cinq postes d'adjoints. La France, elle, n'en a obtenu que trois. Les Allemands quatre."

( ...) "L'anglais est devenu de fait la langue officielle, ce n'est plus le français, en réalité ça l'était de moins en moins, il y a eu accélération. Ricardo Levi, le porte-parole de Romano Prodi, ne s'exprime plus qu'en anglais alors qu'il parle très bien notre langue. Et Neil Kinnock, qui ne le parle pas, s'est opposé à la nomination d'un Français au poste de porte-parole adjoint."

Catherine Nay dans Valeurs Actuelles (2-8 oct.1999).

En plus du portefeuille de la vice-présidence de la nouvelle Commission européenne, l'Anglais Neil Kinnock obtint celui de la Réforme de la Commission. Neil Kinnock fut ensuite nommé président du British Council de 2004 à 2009. Connaissant bien le mécanisme des institutions européennes et n'ayant rien négligé pour y renforcer la position de l'anglais, il a pu faire bénéficier cette organisation de tous les conseils utiles pour assurer la domination de l'anglais ici et ailleurs.
________________________________________

"La présidente du Parlement européen est accusée par Charles Pasqua de faire la part belle à l'anglais au détriment du français dans les documents de l'Assemblée européenne. Mais c'est la faute des Français. A la dernière réunion des présidents de groupe, celui du M. Pasqua était représenté par ... un Irlandais."

Catherine Nay dans Valeurs Actuelles (9-16 octobre 1999)
________________________________________

"[le président de la Commission] Romano Prodi a ainsi payé la dette qu'il avait envers son complice de la troisième voie Tony Blair qui l'avait aidé à se hisser à la tête de la Commission". "Prodi a consacré deux catégories d'Européens : d'un côté les aristocrates -- les Britanniques et ceux qui parlent la langue de l'empire -- et, de l'autre, les parias." (...)

El Païs , repris par Courrier International du 7 au 13 octobre 1999. Commentaire du Courrier : "Et dire que la réorganisation de la Commission est dirigée par un anglophile notoire, l'italien Ricardo Levi, secondé par deux anglophones."
________________________________________

"Quelle mouche a donc piqué Christian Noyer ?

Lundi après-midi, le vice-président -- français -- de la Banque centrale européenne (BCE) était auditionné par la commission des affaires monétaires du Parlement européen, à Bruxelles. Quelle ne fut pas la surprise des -- rares -- députés français présents de l'entendre s'exprimer en anglais alors que la traduction simultanée était disponible dans toutes les langues de l'Union. Le vice-président de la Commission, le français William Abitbol (groupe Pasqua-Villiers), s'étonna de cet accès d'anglophonie alors qu'un seul pays de la zone euro s'exprime en anglais, l'Irlande et ses quelque 4 millions d'habitants

Plus sérieusement, l'eurodéputé s'est demandé si le dialogue avec les opinions publiques, que la BCE appelle de ses voeux, aura uniquement lieu en anglais, ce qui promet. En fait, Christian Noyer est représentatif de l'élite française, la quasi-totalité des fonctionnaires hexagonaux présents dans les institutions européennes a depuis longtemps rendu les armes face à la langue anglaise, au-delà des discours incantatoires sur la défense du français ."

Jean Quatremer "Libération", 20 septembre 1999 dans un article intitulé : "Quand l'élite hexagonale méprise le français "
Dans un autre article du même numéro, intitulé "God save the Commission européenne" et sous-titré "Des Britanniques obtiennent des postes clés, la langue anglaise prévaut", le même journaliste concluait :

"La Grande-Bretagne, comme on le soupçonne à Bruxelles, pourrait bien profiter de cette redistribution des rôles. Pas mal pour un pays qui a toujours été en marge de la construction européenne et qui n'est pas près de rejoindre l'euro."

Ce n'est là qu'un aperçu.

"Gouverner, c’est prévoir"

C’est ce que dit un axiome connu. Rares sont pourtant les décisionnaires qui ont mesuré les conséquences et les dangers de ce que certains voudraient faire passer pour un libre choix. Il y a une politique linguistique du fait accompli. Il y a derrière tout cela des pressions réelles et des manoeuvres occultes parmi lesquelles s’inscrivent le silence et les tabous qui entourent l’espéranto ainsi que les propos dévalorisants ou calomnieux prononcés ou écrits à son encontre. Il n’y a pas de débat sur l’enjeu que représente la désignation d’une langue nationale dans le rôle de langue internationale.

Commandé par le Haut conseil de l'évaluation de l'école à l'économiste François Grin, professeur à l'Université de Genève, publié en 2005, le rapport L'enseignement des langues étrangères comme politique publique. A été passé sous silence, alors que le Rapport Thélot : une école efficace pour tous, de 2004, qui soutenanit l'anglais à fond, avait fait l'objet d'un grand tapage médiatique. Le professeur Grin avait osé remettre l'anglais en question et prendre l'espéranto en considération :

De même, il faut prévoir une période de transition pendant laquelle des personnes ayant acquis l’anglais comme première ou deuxième langue étrangère devraient bénéficier d’un soutien particulier pour apprendre l’espéranto. Vu l’accessibilité de cette langue, l’investissement nécessaire à leur permettre de maîtriser l’espéranto au moins au niveau où elles maîtrisent actuellement l’anglais serait modeste.“ (p. 101)

Même seulement pour "se débrouiller" en anglais, il faut un temps considérable, or le temps, c’est de l’argent. Au niveau de l’enseignement, ce temps est inévitablement soustrait à d’autres matières auxquelles les élèves et les étudiants de pays anglophones peuvent se consacrer entièrement.

Tous les pays du monde, sauf, bien entendu, ceux du bloc anglophone, dépensent des sommes astronomiques pour se plier à cette façon de communiquer, pour s’aliéner, pour s’ouvrir à la fuite des cerveaux qui est désastreuse dans de vastes régions du monde, pour accélérer le déséquilibre. Un temps considérable est ainsi absorbé pour renforcer la suprématie de pays pour lesquels l’anglais est la langue de tous les jours, pour accroître leur avance.

Ne s’exprime clairement et avec éloquence que celui qui s’exprime dans sa propre langue, la seule dans laquelle il se sent à l’aise, ou en espéranto, créé pour servir non point une seule entité, mais l’humanité tout entière dans un esprit d’équité et de respect réciproque.

Force est d’admettre qu’une langue internationale est aujourd’hui une nécessité impérieuse, mais l’apprentissage d’une telle langue ne devrait pas porter préjudice à celui des autres langues. A l’inverse d’autres langues comme l’anglais, l’espéranto offre un excellent enseignement préparatoire (propédeutique) qui exige beaucoup moins de temps et de moyens. La croyance selon laquelle l’anglais apportera la solution est extrêmement répandue. Pourtant, beaucoup en reviennent déjà.

Président directeur général de Renault, Louis Schweitzer avait décidé, en 1999, que seul l’anglais serait utilisé dans les relations entre les comités des usines établies dans divers pays. Deux ans après, le 1er avril 2001, l’Agence France Presse donnait écho à une déclaration qu’il avait faite à l’occasion de la création d’une fondation qui permettra aux Japonais de mieux connaître la France et d’apprendre le français : "La langue a été une difficulté un peu supérieure à ce que nous pensions. Nous avions choisi l’anglais comme langue de l’alliance mais cela s’est avéré un handicap avec un rendement réduit de part et d’autre. "

En Allemagne, en 2008, la célèbre firme Porsche a abandonné l'anglais au sein de l'entreprise après s'être rendue compte d'une baisse de rendement, d'inventivité et de créativité, d'une perte de temps : "Du mauvais allemand plutôt qu'un bon anglais"v.

Même le Président Jacques Chirac, qui n’est pourtant pas un indigent mental et qui a fait des séjours linguistiques aux États-Unis, s’est humblement excusé, lors de sa visite à New York, après l’attentat du 11 septembre 2001, de ne pas pouvoir poursuivre son intervention en anglais et de parler en français après avoir avoué : "My English is not very good".

A la question "Parlez-vous anglais lors de vos séjours à l’étranger ?", lors d’un entretien accordé à "Mon Quotidien" (25 septembre 1997), journal destiné aux enfants de 10-15 ans, il avait déjà répondu : "Oui, avec mes amis, mais jamais dans les discussions officielles, car je ne parle pas parfaitement cette langue et ce serait un handicap. Pour les sujets sérieux, il faut être sûr d’être bien compris".

A son retour du sommet de Kyoto, Dominique Voynet avait déclaré au "Journal du Dimanche" (JDD, 14 décembre 1997) : "Toutes les discussions techniques se sont déroulées en anglais, sans la moindre traduction, alors qu’il s’agissait d’une conférence des Nations unies. Trop de délégués ont été ainsi en situation d’infériorité, dans l’incapacité de répondre efficacement, de faire entendre leurs arguments". Ainsi pour traiter de sujets qui engagent l’avenir de l’humanité et de la planète, des spécialistes se sont déplacés du monde entier, ils ont séjourné dans un pays où tout est très cher, et leur temps a été en grande partie gâché.

Le 18 décembre 2009, le reporter écologiste français Nicolas Hulot avait dit au "Monde", à l'occasion du sommet de Copenhague :

"On a l'impression d'une immense improvisation! Quand on voit qu'en pleine nuit on a condamné les Chefs d'Etats à se retrouver dans une salle de classe sans micros, sans interprètes, est-ce qu'il n'y pas une volonté de saboter ce type d'initiative?"

Lors du Forum social de Porto Allegre, en 2002, le journaliste de "Témoignage Chrétien" (7 février 2002), était arrivé à cette constatation :

"Ne parlons pas des problèmes matériels : les interprètes font très souvent défaut."

Ainsi, des chefs d'Etats et des délégués du monde entier voyagent avec des moyens de transports polluants et coûteux à ces conférences soi disant pour trouver — sans possibilité de se comprendre vraiment à tout moment et en tout lieu — des solutions à des problèmes... de pollution et d'économie.

De plus, l’interprétation simultanée par des professionnels ne permet de redonner qu'environ 80% du sens du discours. De plus, en cas de relais, on arrive à 80% de 80%, c’est-à-dire 64%. Et que dire lorsque ce travail important est accompli en dépannage par des bénévoles sans expérience, ni formation, ni entraînement !

Certains cherchent à inculquer aux Français l'idée qu'ils sont mauvais en langues, et en particulier en anglais. Jetons donc un regard du côté de ceux qui ont des décennies d’avance dans l’enseignement de l’anglais : les pays de langue germanique pour lesquels l’anglais est par ailleurs plus facile.

Dans le quotidien suédois "Svenska Dagbladet" (24.10.1993), Margareta Westman, une responsable du Comité linguistique suédois, a déclaré :

"Nous, les Suédois, avons tendance à surestimer nos connaissances linguistiques, en particulier en anglais, mais nous sommes insuffisants lorsqu’il s’agit d’un raisonnement nuancé. Nous courons le risque de dire ce que nous pouvons mais pas ce que nous voulons."

Dans un communiqué du 2 octobre 2001, l’agence de presse allemande DPA a reproduit les propos d’Hartmut Kugler, président de l’association des professeurs germanistes allemands selon lequel :

"Ce que l’on veut exprimer, il faut le dire dans la langue que l’on maîtrise le mieux". Il a ajouté : "En langues étrangères, on a souvent des difficultés à s’exprimer de manière nuancée, alors qu’en comparaison, il est relativement plus facile de comprendre passivement".

Kugler a par ailleurs mis en garde contre l’intronisation de l’anglais comme seul moyen de compréhension européen "Nous avons entre temps, durant cinquante années, fait l’expérience du grand projet « l’anglais comme première langue étrangère » ― mais quel est le niveau d’élocution du bachelier moyen en anglais ?" avant de conclure que, dans la population, la maîtrise de l’anglais ne suffirait pas pour exprimer des notions complexes. Il a enfin averti que l’anglais pourrait devenir une langue dominante de même qu’il en fût pour le latin : "Les rares « globe players » à très bien maîtriser l’anglais seront ceux qui dans l’avenir décideront de to

ut."

Dessin de Jean Lap dans le Canard Enchainé

Députée européenne, Mme Helle Degn avait cru bon de s’exprimer en anglais plutôt que dans sa propre langue : le danois. Cela fait toujours plus sérieux. Croyant faire comprendre qu’elle en était aux premiers jours de ses fonctions ministérielles, elle dit en fait qu’elle en était au début de sa menstruation.

Les règles de la communication linguistique ne sont pas telles qu’on le pense trop souvent... Avec l’anglais, les seuls à être réellement à l’aise et éloquents sont les locuteurs de pays dont cinq appartiennent au réseau d’espionnage "Echelon". Les autres, à part une frange sociale privilégiée, ou des personnes très minoritaires qui ont longuement séjourné dans des pays anglophones, sont dans la situation de travailleurs immigrés handicapés dans leurs démarches, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de tout autre chose que d’une conversation banale, même après des décennies de présence dans leur pays d’adoption.

L’Europe et le monde ont besoin d’une langue commune, pas seulement pour permettre à chacun de se débrouiller, mais de dialoguer et de faire valoir son point de vue comme il le fait dans propre langue, sur une base respectant le principe d’égalité des chances dont tout le monde parle mais pour lequel bien peu de décisionnaires interviennent afin de le faire entrer dans la réalité.

Plus encore que les Anglais, ce sont nos anglophones qui ont réduit l’Inde en esclavage“ (Gandhi)

i. Voir The Churchill Centre : "I am very much interested in the question of basic English. The widespread use of this would be a gain to us far more durable and fruitful than the annexation of great provinces".

ii. "What the World needs most is about 1000 more dead languages – and one more alive". Ogden 1934, cité dans “Bailey“, 1991, p. 210, et dans le Time, 12 mars 1934.

iv. Membre d'honneur de l'Institution Hoover, Margaret Thatcher a présenté cette conférence le 19 juillet 2000 à l'Université de Stanford sur le thème "A Time for Leadership" : "In this twenty-first century, the dominant power is America; the global language is English; the pervasive economic model is Anglo-Saxon capitalism."

v. “Schlechtes Deutsch besser als gutes Englisch", Süddeutsche Zeitung, 11.03.2008.