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Extraits d'un cd à venir (Karnauch-Phil Baron, int. Patrick Dreux)


51) Qu’on en finisse avec ce jeu. Les marées à la mer, le ventre à la mer, les cris à la mer. C’est la discussion des liquides. Le grain sonne le décompte. Le sablier encore. Le gain est modique. L’air passe au travers. Les gens sourient autour de leurs bouches. La tempête se soupire, il faudra toute une vie pour longer les murets. Le corps du délit se cache. L’émulsion crée le trouble.

52) Un fœtus, le petit doigt à l’envers, a émergé. Assis dans un fauteuil face à la verrière, il lit le journal, consulte le répondeur où l’attend le message courroucé de sa mère. Il a du mal à s’occuper. La vie est sans objets. L’océan cogne aux vitrages. Son visage se ride. Des algues flottent en surface. Le frigidaire se libère, les barquettes s’élancent, je les suis le long du ruisseau puis de la rivière jusqu’à la mer. Le sang court dans mes veines, cogne à mes tempes. Mes amis reviennent. Le menton posé au ras de l’écume, ils vagissent.

53) Autour du nouveau-né on applaudit. Il est joli dans son costume, un organisme rayé de soleil.

54) On ne sait au fond s’il se divise ou si la nuit, furtif comme un suicide, il longe les fenêtres avant de s’écraser la langue sur le bitume. On ne sait pas tout de la parthénogenèse. Il paraît qu’on a évoqué ce sujet dans un journal scientifique. Plus de reproduction sexuée, la mer s’apaise quand elle lange ses noyés.

55) On entend le bruit des corps qui tombent ou encore l’arbre, l’arbre, monsieur, s’étrangle... nous... eux... plus de différences. Le printemps est un supplice. L’été est un supplice. L’automne est un supplice. L’hiver est un supplice. La bête est innombrable. La mort est inutile. La mort meurt dans la mort. Je ne peux mourir. La vie devient inconfortable. La mort est inconfortable quand nos gueulances survivent.

56) L’opération se répète. Tu chevrotes sous les herbages. Ton corps ondule à travers les moiteurs du crépuscule. La nuit t’oublie. Noueuse tu ne sais plus lisser ton visage. Tu appelles les mots, ils ne franchissent pas tes lèvres. Tu es fatiguée, moins sûre de toi, tu voudrais m’appeler.

57) On t’avait enterrée trop tôt. Une équipe de terrassiers, conduite par un légiste, est venue creuser aux fins de vérifications. On a trouvé la trace de tes efforts. La terre griffée au-dessus d’un cercueil éventré.
58) Tu aurais entendu une autre version de l’histoire. Des gens prétendent que c’est moi... moi qui aurais été enterré vivant. Voilà comment ils présentent la chose.

59) Par une matinée froide et pluvieuse, je suis allongé dans un cercueil de bas prix. Le corbillard roule lentement. Pas un chien, pas un copain ne le suit. Les mains croisées, les cheveux peignés, les embouchures obturées, j’entends les municipaux plaisanter. Peu après ils me descendent dans le trou. Révolté par leur désinvolture, je bondis, défonce le couvercle, escalade la paroi, m’accroche aux racines qui font saillie. J’affleure au niveau des préposés qui se pincent le nez, importunés par les mouches s’exhalant de mes boutonnières. A ceux qui ne se croient point morts, je leur suggère : Venez, snifeurs de chrysanthèmes, venez pleurer sur ma carcasse, et, pour prix de cet effort, vous recevrez une gratification — portefeuille glissé dans la poche intérieure de ma veste... vous pourrez vous servir, il y a de nombreux billets et des entrées gratuites pour le musée de l’Homme, la galerie de l’évolution.

60) Allez, les gars, un bon geste !

61) C’est là que je t’ai retrouvée. Tu tenais à la main le plan du cimetière. Tu ne pensais qu’à Jim Morrison.

62) Vous dites qu’on se connaît ? me répondis-tu les lèvres pincées. Pardon, je ne vous remets pas, ou alors vous étiez très discret, peu marquant, voire totalement inintéressant, aussi cessez vos relances tardives et songez à vous laver, ou consultez un dermatologue, ces plaques sont franchement débectantes.

63) Je n’y pouvais rien, que je réplique, je logeais au-dehors, parfois en escale, sur le quai au milieu des harengs. Je n’étais pas prêt pour te revoyer, mais je dégringole à présent au bout du robinet, hors de mon troubéant, récitant les poèmes remarquables, les mêmes que j’écrivassais à l’époque où je me déclouais des misères.

64) Vous voyez la scène ? ce vieillard qui a séché au fond du tableau ose se détacher en bribes croûteuses. Dans la foulée, il déclare à sa dulcinée que, ma foi, partager un petit frichti ne lui déplairait pas. Il échoue une première fois. Il réfléchit quelques années, soixante-dix-sept, et, au bout de ce délai, sort du caveau. Notez qu’il a perdu de son éclat, de sa vigueur.

65) J’insistai cependant. A travers mes harangues, je voulais lui suggérer la molette et l’étincelle. Elle était pauvre, je laissai un billet dépasser de ma guenille, elle me suivit, langue pendante, elle n’avait pas mangé depuis trois jours... pensez que je profitai de l’aubaine. Ma victoire dégageait son échancrure, l’os de sa clavicule, ses vieux seins en cornichon. Je la voyais faiblir, mais je commis une erreur en exigeant qu’elle me rende la monnaie.

(R. K.)
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