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Le golem est un peu fatigué (Karnauch)


J’ai cru revoir ce matin l’avorton dont je m’étais débarrassé hier en aspergeant mon corps infesté de mouches, d’abeilles, toute une population qui n’éprouve plus de peur en accostant mon corps pétrifié sur son socle...
Les coups de vent, les rires des enfants ne me touchent plus.
Tranquille en apparence, en réalité, vous comprenez que je m’ennuie dans ce petit square, sans bonne compagnie, le torse bombé, le mollet avantageux, comme l'a voulu le sculpteur... Pour me distraire, j’ai dû engendrer tout seul dans un cauchemar que je ne peux rêver, j’ai engendré ce petit être informe, suintant entre mes cuisses, à l’endroit précis où mon zob rongé par l’entropie, les années qui passent... vous savez qu’elles passent...
Or, celui-là, cet avorton, glissant le long de mes cuisses, m’a adressé un sourire. Regrette-t-il son papa ? Il était porté par le vent, les bourrasques, les feuilles de l’automne, et cette pluie fine qui brouille les visages, les feux des voitures, les klaxons...
Une heure plus tard il est venu buter contre un passant. Le malheureux, se croyant saisi de crampes, se secouait, mais l’avorton, s’il avait mis des siècles à naître, à présent se dédoublait, se disséminait, provoquant ce que l’on pourrait appeler la maladie de la pierre. Les gens immobiles considéraient le problème, immobiles à leur tour.
A la dixième attaque de l’avorton, j’ai compris, sentant monter un fourmillement jusqu'au bout de mes doigts que je ressuscitais par la faute de celui que j’avais engendré, et, comme je grandissais, ma tête venait cogner à la fenêtre du septième étage d'un immeuble. Des personnes attablées voyant apparaître ma grosse tête contre leurs carreaux, pensaient à un film catastrophe, ils étranglaient un rire incrédule du fond de leur gosier asséché.
Moi-même, étonné de voir la fenêtre se pulvériser, je cognais du front contre la façade afin de détourner la force qui m’avait envahi. La gouttière s'est décrochée, des pots de fleurs se fracassaient. Les gens criaient, se jetaient sur leurs téléphones portables. Je leur ai demandé de se calmer, calmez-vous. J’étais désolé de les avoir dérangés. Je ne voulais rien d’eux, et ne voulais pas recommencer une vie incolore, traversée de discordes. Aussi, j’ai retiré mon doigt de la table où je l’avais posé, ce doigt gigantesque, et me suis enfoncé dans la nuit d’une ville où les gens stupéfaits ne pouvaient expulser le cri qui les traversait.
Divaguant au milieu de ceux que je ne pouvais éviter, j’essayais de les mettre en garde, mais parler aurait nécessité l’aide d’un ortophoniste. Aussi je ne pouvais rien y faire, et ceux qui se croyaient les victimes de ma sévérité, pétrifiés comme des statues, après tout, c’était bien leur tour, n’osaient pas détaler. J’ai ôté mes chaussures. Les survivants, accrochés à mes lacets, retombaient. Ils se donnaient des coups de poing. Mes lacets étaient mouillés.
Je suis désolé, je ne voulais pas vous bousculer et, pour un empire, je n’aurais voulu ni du golem ni de l’ange exterminateur emprunter les manières furibardes. Je préfère me rendormir sur mon socle, ce n’était qu’un incident malheureux, oubliez-moi... encore désolé...
Je ferme les yeux, je voudrais dormir, entendant le zonzon incessant d’un hélicoptère au-dessus de ma tête. Des gens dans un porte-voix me crient de m’allonger. Je voudrais leur obéir, je voudrais dormir, mais comme une statue je ne peux baisser mon bras tendu, au bout duquel brille un objet, un pistolet de plastique acheté ce matin à un bazar de la rue Quincampoix.
Et cette abeille qui jamais ne s’arrête, comment pourrais-je la chasser...

(Rémi Karnauch)
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Comments
 Aurélia Pempénic
Aurélia Pempénic
Excellent, il y a beaucoup d'espace dans ce texte, et l'interprétation à la manière d'une pierre qui s'effrite est excellente aussi
10 years ago.

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