"Perdita estas la tago en kiu oni ne ridis"


Traduction : Le jour durant lequel on n'a pas ri est perdu.

Cette citation du grand sage Nines Ciaskiu constitue la dernière phrase de la présentation du roman "Dekkinga fuĝas"* (Dekkinga fuit) en dernière page de couverture. Il s'agit de la traduction en espéranto du roman "De dood van apotheker Dekkinga" (La mort du pharmacien Dekkinga) du journaliste et romancier néerlandais Tjeerd Adema.

C'est un livre à recommander à tout débutant en espéranto qui a l'humeur à l'humour et au rire, d'autant plus que le style est excellent. La signature du traducteur, Frits Faulhhaber, et l'estampille "Kontrolita de la Literatura Komitato" garantissent un usage exemplaire de la langue. Il fait partie de la liste des ouvrages sélectionnés pour leur qualité jusqu'en 1997 par l'écrivain écossais William Auld, ancien président de l'Académie d'Espéranto, proposé pour le prix Nobel de littérature.

En fait, le premier trait d'humour de ce roman commence déjà dans sa présentation : après recomposition, la traduction du nom du "grand sage" Nines Ciaskiu — Ni ne scias kiu — donne "Nous ne savons pas qui". Le ton ainsi donné, le lecteur sait ce qui l'attend et peut donc déjà rire, ou au moins sourire, avant d'en commencer la lecture.

Un autre livre, considéré comme l'un des meilleurs en Langue Internationale, est à la fois amusant et très instructif : "Kredu min Sinjorino !"** (Croyez-moi Madame !"). Il s'agit d'un récit en grande partie autobiographique de l’Écossais Cezaro Rossetti, le seul qu'il ait écrit. Né à Glasgow dans une famille originaire du Tessin, en Italie, l'auteur y a décrit les astuces pour vendre des produits, même sans intérêt, et les trucs des bonimenteurs de foires. La version en français de Wikipédia apporte la précision suivante :

L'école des rigolos

Avec Raymond Schwartz et Rossetti, le monde des écrivains espérantophones de l'après-guerre est celui de rigolos qui usent et abusent du jeu de mots et nous présentent volontiers des situations loufoques.

Évidemment, il faut absolument ajouter Raymond Schwartz. Il a fait l'objet d'une thèse de doctorat de Marie-Thérèse Lloancy : "Esperanto et jeu de mots dans l'œuvre de Raymond Schwartz" qui peut être trouvée en ligne et téléchargée. Contrairement à Cezaro Rosseti, il a écrit plusieurs livres et de très nombreŭ articles. Il a en outre dirigé des cabarets d'espéranto à Montmartre, donc des lieŭ où l'on se rend en général pour rire, ou au moins chercher la détente et la bonne humeur : le "Verda Kato" (Le Chat vert), de 1920 à 1926; le "Bolanta kaldrono" (Le chaudron bouillant), de 1936 à 1939; "La Tri koboldoj" (Les trois lutins), de 1944 à 1956. Bien que son œuvre ait été axée plus particulièrement sur la plaisanterie, le calembour, la contrepèterie, la fantaisie et les jeŭ de mots, il a tout de même écrit un roman sérieŭ, fort et particulièrement émouvant : "Kiel akvo de l'rivero" (Comme l'eau de la rivière).

Avec "Kruko kaj Baniko et "Kruko kaj Baniko el Bervalo" de Louis Beaucaire, on bascule dans la polissonnerie. Ce sont des recueils d'anecdotes indécentes pour lecteurs coquins. Ils mettent en scène deŭ personnages, Kruko et Baniko, de la ville imaginaire de Bervalo. Extrait de l'avertissement :

"Prudes, hypocrites, pharisiens, bigots, buveurs d'eau, chastes en apparence, dépourvus de sexe, pisse-froids, abstinents, non-buveurs d'absinthe, vertueŭ à mine jaune, vierges rancis des deŭ sexes, vous avez vraisemblablement lu par inattention le titre de ce recueil d'anecdotes. Le livre n'est pas pour vous ! Fermez-le tout de suite ! Il existe pour vous suffisamment d'oeuvres ennuyeuses dans notre littérature (Avez-vous déjà lu, par exemple la Monadologie de Leibnitz ?..."

Contrairement aŭ bobards colportés par ses détracteurs qui ne connaissent de cette langue qu'à peine plus que le nom — et encore ! — le monde de l'espéranto n'est donc pas triste, et la langue n'est pas aussi inexpressive qu'ils voudraient le faire croire. Une recherche avec "rido, humuro" (rire, humour) sur Internet livre plus de 28 000 résultats. Dans la catégorie "Humuro" de Vikipedio — la version en espéranto de Wikipédia, donne 31 choix d'articles possibles.

L'annuaire international DMOZ donne des adresses de sites d'humour (traduction) :

Dans un tout autre genre, au moment de la grippe H1N1, le monde espérantophone a plutôt ri du conditionnement auquel certains pays ont été soumis, jusqu'en Colombie : "Bilda humuro pri la gripo A(H1N1)". Mais c'est vrai que l'humour peut être perçu différemment par différents peuples.

Rido sanigas (le rire rend sain = le rire guérit)

L'espéranto est l'une des langues du site de l'association laïque d'inspiration chrétienne "Invitation à la vie" (Invito al vivo) fondée par Yvonne Trubert en 1983. Après le printemps arabe, dans la version en espéranto, on y découvre une vision très instructive qui mériterait réflexion dans le monde des croyants hirsutes et barbus à la mine haineuse qui donnent de Dieu un portrait... odieŭ, au point que le dernier des ivrognes peut paraître plus humain, surtout si une cuite le rend joyeŭ :

Ami estas ankaŭ ridi (Aimer, c'est aussi rire)
Dio estas humuro (Dieu est humour)

De malseriozeco, kiu ridigas pri oni mem ĝis ĝojego, kiu ne plu lasas tenilon al timo, humuro estas la nepre necesa kunbatalanto en la vivo. ( De la légèreté qui fait rire de soi à l’allégresse qui ne laisse plus de prise à l’angoisse, l’humour est le compagnon indispensable des combats de la vie.)

et ce jeu de mots :

"Jesuo-Kristo, sed ne Jesuo trista" (Jésus Christ mais pas Jésus triste)

et cette explication :

"Le rire y est considéré comme un moyen de communication : "Si l'amour est une force, le rire est aussi une force". Si l’amour est une force, le rire en est une autre. Lorsqu’on sait rire, lorsqu’on détend une atmosphère, on peut faire passer des messages, mais si l’on est trop sérieŭ rien ne passera. L’humour permet des ouvertures à l’esprit. C’est une fenêtre de l’âme. Il faut savoir la saisir."

Yvonne Trubert avait écrit :

"Dans l’Ancien Testament, il est écrit que le vin, l’ivresse, la danse, la joie faisaient partie de la vie. C’est le Créateur qui les a faits. Le Christ, lui-aussi, a dansé avec ses amis. Il a bu le vin de la fête des noces de Cana et de tant d’autres. Pourquoi voudriez-vous qu’il n’ait pas ri avec ses amis, qu’il n’ait pas aussi rougi devant certaines situations quand il était adolescent ? Lui aussi a connu les affres, les impressions de cet âge-là, la timidité. Il a dépassé tout cela par des rires.

Ces quatrains du grand savant et écrivain persan Omar Khayyam, mathématicien et astronome, grand exégète du "Coran"***, donne une vision bien différente de ce qu'on a pu voir et que l'on peut encore voir d'abominable dans l'histoire de cette religion :

"Faites-moi dans du vin l'ablution dernière;
Sur mon corps, en buvant, récitez la prière.
Venez donc, chers amis, au Jour du Jugement,
Au seuil de la taverne, y chercher ma poussière.

Viens; prends la coupe et laisse à Mahmoud son empire.
Les beaŭ chants de David, entends-les sur ma lyre.
Hier n'est plus demain n'est pas là, vis joyeŭ
Maintenant, car le but de la vie est le rire.
"

(extrait sur le site d'abasiran)

Les célèbres "Robbayats" d'Omar Khayyam ont été éditées dans un ouvrage lŭueŭ en trente langues dont les deŭ principales, utilisées en préface, sont l'anglais et l'espéranto.

" Dans la pratique, si l'on s'en tient au texte, Khayyam se montre bel et bien fort critique vis-à-vis des religieŭ — et de la religion — de son temps. Quant au vin dont la mention revient fréquemment dans ses quatrains, le contexte où il se place constamment (agréable compagnie de jeunes femmes ou d'échansons, refus de poursuivre la recherche de cette connaissance que Khayyam a jadis tant aimée) ne lui laisse guère de latitude pour être allégorique.” (Wikipédia : Omar Khayyam).

Le blog "psychologiemust" donne en aussi une autre vision : Le rire est une arme, une défense ou une force.

Le rire peut aussi être subversif comme le montre cette étude très détaillée "
rire et subversion“.

Selon le site "Monster.ch", il paraît même que le rire peut améliorer les performances au travail. Ça y est : on a la solution à la crise économique ! A vérifier, tout de même !

Combien de francophones savent que la science du rire est la gélotologie ? Un mot qui puise ses racines dans le grec "gelos", donc un nom sans rapport avec le mot français. En espéranto il n'est pas nécessaire d'avoir fait de hautes études pour composer un mot à partir de la racine "rid". Un débutant, enfant ou adulte, peut très vite former le verbe "ridi", le substantif "rido", l'adjectif "rida", l'adverbe "ride", c'est-à-dire des formes que le français ne permet pas toujours : ridoscienco ou ridologio. C'est un jeu d'enfant.

On peut parfois rire des absurdités dont la plupart des langues sont truffées. Le masculin et le féminin pour les objets, qui compliquent sérieusement l'apprentissage du français, sont par exemple insensés pour des personnes dont il n'est pas la langue. Lors d'une conférence présentée en espéranto au Centre Pompidou, le professeur
John Wells, du prestigieŭ College universitaire de Londres, spécialiste de la phonétique de la langue anglaise, auteur de "Accents of English" — un ouvrage magistral en trois volumes —, avait dit avec humour à propos de l'accent de l'anglais :

"Chomsky et des amis ont réussi à fournir un ensemble de règles extrêmement compliquées qui, avec cinq règles principales et quarante classes d’exceptions et 120 classes d’exceptions aŭ exceptions, vous permettent de déterminer avec justesse la position de l’accent pour 90% des mots.
Un autre problème de l’anglais, c’est la règle de l’accent, ou plus exactement l’absence de règle pour l’accent. Il y a maintenant une discussion académique à propos de l’existence ou de la non existence d’une règle pour l’accent en langue anglaise.
L’opinion traditionnelle est qu’elle n’existe pas, et que l’on doit apprendre pour chaque mot particulier où se trouve l’accent."

Expérience personnelle

Lorsque j'étais enfant, il m'arrivait parfois d'être pris par un fou-rire impossible à réprimer au point que, pour être plus discret, je me pinçais le nez. Bien sûr, le sang me montait à la tête au point que j'en étais tout rouge. Ça m'arrivait surtout à table. Ce rire était aussi inexplicable et incompréhensible pour moi-même que pour mon père, à la droite duquel j'étais assis. Agacé, il lui arrivait parfois de montrer sa grosse main droite menaçante (il ne m'a jamais frappé — merci papa, même s'il me faut admettre que je l'aurais parfois mérité !). Même la vue de cet énorme battoir n'y faisait rien.

J'ai aussi un souvenir douloureŭ du rire. Ce n'est pas toujours marrant... Lors d'un séjour en hôpital, vers l'âge de 15 ans, pour une opération de l'appendicite, j'avais dû très vite interrompre la lecture d'un livre plein de drôlerie. Les occasions de rire y étaient si fréquentes que ça me secouait le ventre, que ça devenait désagréable et douloureŭ, de quoi faire péter les coutures !!!

Ça s'est apaisé depuis. Mais j'ai le souvenir du congrès de SAT qui s'était tenu à
Sant Cugat del Vallès, en Catalogne, en 1986. Tout s'y passe en espéranto, la seule langue de travail. Le soir, après les séances plénières et les travaŭ du premier jour, les participants avaient eu la possibilité de s'attabler par groupes plus ou moins importants, en général de nationalités différentes, pour faire connaissance (on nomme ça "interkonatiĝa vespero"). J'étais avec Krešmir, un Croate qui avait aussi la nationalité française, mais plus à l'aise en espéranto qu'en français, et un Allemand, Jomo, avec sa compagne turque. Je ne sais pourquoi, mais toute la soirée a consisté en un échange d'anecdotes et de blagues, au point que j'avais parfois des douleurs derrière les oreilles. Il se peut que le "vinho verde", un vin blanc peu alcoolisé au goût agréable et très spécial, ait aussi contribué à cette ambiance. Et une explication possible se trouve peut-être dans "Wikipédia" : "En 1876, António Augusto de Aguiar, célèbre professeur de chimie et expert en vin, a décrit parfaitement le vin et son effet : « Le vinho verde est le plus singulier des vins. Il est bizarre, original, rafraîchissant, diététique. Il n'enivre pas. C'est uniquement pour cela que je l'aime. Il est sensible à l'intelligence." Ouaouh, comme ça fait du bien !

L'espéranto ?... Ha ha ha !

Il n'est pas rare de voir des gens rire, ricaner ou hausser les épaules quand ils entendent parler de l'espéranto. Même si certaines réflexions sont parfois consternantes, et même révoltantes, ils ne se doutent vraisemblablement pas que les occasions de rire du comportement des gens dits sensés ne manquent pas. Voir à ce sujet le témoignage écrit par un ancien traducteur francophone et espérantophone polyvalent de l'Onu et de l'OMS pour l'anglais, l'espagnol, le russe et le chinois, Claude Piron : "Confession d'un fou".

La communication linguistique internationale pourrait faire l'objet d'un livre comparable au plus connu d’Érasme : "L'éloge de la folie" qui existe en traduction espéranto " Laŭdo de l' stulteco".

Par exemple, à propos de chefs d’États ou de hauts responsables qui demeurent dans l'incapacité de communiquer entre eŭ sans interprètes, ou qui sont contraints de s'exprimer dans la langue d'un partenaire ou d'un adversaire qui est de loin plus à l'aise et très supérieur dans sa propre langue.

Ainsi, comme le montrent ces photos publiées dans le numéro de novembre et décembre 1963 de " La

Nordamerika Esperanto-Revuo", le président Eisenhower fut pris d'une impatience visible lorsqu'il n'entendit dans ses écouteurs que des bruits aléatoires. Sérieusement agacé, il enleva ses lunettes, puis ses écouteurs. Son secrétaire d’État Foster Dulles tenta de venir à son secours. En vain.

Le petit commerçant, l'artisan, l'agriculteur, l'employé, contraints de sacrifier de nombreuses heures de leur temps libre pour apprendre une langue dont Churchill avait dit qu'elle était "facile à parler mal", donc contraints de s'exprimer finalement en "petit nègre" — comme on disait au temps des colonies — ne se doutent de rien. L’État — donc les contribuables — et les entreprises dépensent des sommes colossales pour assurer et renforcer l'avantage culturel et économique des pays dominants de l'anglophonie. Les citoyens comme leurs élus ne pensent pas un instant que, dans ce jeu de dupes, les natifs anglophones peuvent pleinement profiter de leur temps libre pour le consacrer à tout ce qui leur est utile et qui les passionne. La différence, c'est que la colonisation s'exerce aujourd'hui par la langue dominante et à l'encontre de toute la population mondiale non-anglophone de naissance, soit près de 95%. Où est la démocratie quand une petite minorité contraint un choix qui l'avantage ?

Même Jacques Chirac, qui a séjourné aŭ États-Unis pour apprendre la version étasunienne de l'anglais, l'une des 38 reconnues, s'est fixé pour règle de ne jamais parler en anglais pour des négociations délicates. À New York, après l’attentat du 11 septembre 2001, après avoir avoué "My English is not very good" (Mon anglais n’est pas très bon), il s'était s’était humblement excusé de poursuivre son allocution en français.
A la question "Parlez-vous anglais lors de vos séjours à l'étranger ?", lors d'un entretien accordé à des enfants de 10-15 ans pour "Mon Quotidien" (25 septembre 1997), il avait déjà répondu : "Oui, avec mes amis, mais jamais dans les discussions officielles, car je ne parle pas parfaitement cette langue et ce serait un handicap. Pour les sujets sérieŭ, il faut être sûr d'être bien compris". En somme, l'anglais pour rire ? Pourquoi pas ?


Seul Suisse à avoir été admis comme membre du Haut Conseil de la langue française, en 1984, Jean-Marie Vodoz avait remis sa démission au président Chirac le 13 juillet 2000. Lors d'un entretien, il avait dit, entre autres : "Je peŭ vous rapporter ma dernière intervention au Haut Conseil : nous avons, ai-je dit, une éloquente inefficacité. Mais vous ne vous rendez pas bien compte de la situation. L'anglais, qui s'impose comme langue internationale — même à Brŭelles... — n'est pas un espéranto neutre, mais le véhicule de la culture américaine."

Et puis, regardez aujourd'hui.

C'est parfois comique de voir les "grands de ce monde" s'emberlificoter dans le jeu qu'ils imposent à leurs peuples :

Nicolas Sarkozy « I'm sorry for the time » (vidéo)

Et puis certains médias serviles ajoutent couche sur couche que vous n'êtes rien sans l'anglais. Ils cherchent à donner des complexes d'infériorité, par exemple dans ces articles ou vidéos :

"Nicolas Sarkozy « l’Américain » ne maîtriserait pas bien l'anglais"
"
François Fillon - Washington - USA - Quelques difficultés pour parler
"
François Baroin ne parle pas anglais"

Le conditionnement va très fort. Gordon Brown, l'ex-premier ministre britannique a été le mieŭ placé pour rire de ceŭ qui ont fait le choix de l'infériorité, de l'à-plat-ventrisme et de la complicité dont les gouvernements non-anglophones font preuve :

Comment Sarkozy impose le «tout à l'anglais».

Rares sont ceŭ qui ont le courage d'afficher leur indignation et leur refus tant la pression est considérable, par exemple :

Guido Westerwelle, député allemand et président du FDP (Parti libéral-démocrate), a refusé poliment de répondre en anglais à une question d'un journaliste de la BBC lors d'une conférence de presse : “Si vous le voulez, nous pouvons aller prendre un thé ensemble et parler anglais autant qu'il vous plaira. Cependant, pas ici, dans le contexte d'une conférence de presse. Ici, nous sommes en Allemagne, et il est naturel que les choses se déroulent en allemand, tout comme il serait naturel qu'elles se déroulent en anglais en Grande-Bretagne“.

Vidéos et article :

"Un politicien allemand refuse de répondre en anglais"
"
Sébastien Chabal: We are in France, we speak french"
"
Quelle est la langue de Genève ?"

Une grande figure de la pédagogie et du mouvement anglo-étasunien des travailleurs, Mark Starr, m'avait dit lors d'un congrès de SAT*** à Toronto en 1973 : "Celui qui impose sa langue impose l'air sur lequel doivent gesticuler les marionnettes". Quoi de plus drôle que des marionnettes ? Regardez-les, mais regardez-les !

Et ceci alors que, dès 1970, avant l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, qui allait devenir l'Union européenne, dans son discours d'ouverture du Congrès d'espéranto de Vienne, Franz Jonas (1899-1974), alors président de la République d'Autriche, s'était exprimé en connaissance de cause :

"Bien que la vie internationale devienne toujours plus intense, le monde officiel perpétue les vieilles et inadéquates méthodes de compréhension linguistique. Il est vrai que la technique moderne contribue à faciliter la tâche des interprètes professionnels lors des congrès, mais rien de plus. Leurs moyens techniques sont des jouets inadaptés par rapport à la tâche d'ampleur mondiale à accomplir, c'est-à-dire s'élever au-dessus des barrières entre les peuples, entre des millions d'hommes." (Texte original du discours)

Pour sa part, le premier ministre néerlandais Willem Drees (1886-1988), artisan du relèvement de son pays après la seconde Guerre mondiale, savait lui aussi de quoi il parlait :

"Nous devons enfin avoir une langue commune pour l'utilisation internationale et, aussi séduisante que puisse paraître l'idée de choisir pour cette langue internationale l'une de celles qui sont déjà parlées par des centaines de millions d'hommes, je suis malgré tout convaincu qu'une langue neutre comme l'espéranto — devant laquelle tous les hommes se trouvent égaŭ en droits — est préférable."

Être égaŭ devant le rire ? Pourquoi pas ?

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* — "Dekkinga fuĝas" — Dansk Esperanto-Forlag : Aabyhøj, Danemark. 1957.
** — "Kredu min Sinjorino !" — éd. Edistudio : Pise, 1950.
*** — Il existe une traduction en espéranto du Coran : "La nobla Korano", éditée en 1977 en Iran.
**** — SAT
Sennacieca Asocio Tutmonda : — Association socio-culturelle anationale dont le siège est à Paris et dont la langue de travail est l'espéranto.