La (bonne) question a été posée par l'Obervatoire des médias Action-Critique-Médias (ACRIMED) : "Le Monde, un « quotidien de référence » ?".

En "difficultés financières" — ces mots-clé livrent beaucoup d'informations sur son état —, il apparaît en outre de plus en plus comme un auxiliaire de la colonisation linguistique. Après l'attentat du 11 septembre 2001, c'est le directeur général, Jean Marie-Colombani, qui avait titré l'éditorial de son journal, le 13 septembre 2001 "
Nous sommes tous Américains".

En fait, il serait plus juste de dire :

Nous sommes tous Indiens !

car la pression à laquelle Le Monde contribue pour la domination de l'anglais — avant tout une LANGUE NATIONALE —, une pression subie par plus de 95% de la population mondiale, est de même nature que celle subie par les tribus d'Indiens d'Amérique du Nord lors de l'invasion des Blancs, et même par les Canadiens francophones, pourtant des Blancs, qui entendaient dire "
Speak white !". Oui, parlez blanc !

Il serait plus intéressant de savoir ce que coûte, au budget de toutes les nations non-anglophones, le fait d'être contraintes d'apprendre à parler blanc aux enfants, aux jeunes et aux citoyens.

Il y a aussi des coûts qui ne peuvent être évalués, par exemple la fuite organisée des cerveaux vers les pays dominants de l'anglophonie, surtout les EUA, qui prive la quasi totalité du monde non-anglophone de personnes parmi les plus capables dans divers domaines, ce qui constitue une autre forme du pillage, le pillage de ce qu'on appelle "les ressources humaines". Obama accentue la pression pour que ce pillage, qui n'est pas nouveau, soit perpétué :

"Obama fait craindre un nouvel exode des cerveaux", Martin Chamberland, "La Presse Affaires", Canada. 6 mai 2009,
"
Exode des cerveaux", "Téléjournal" - Radio Canada, 13 mai 2009,
"
Les effets inattendus de la réforme de santé d'Obama", Kate Tulenko, "La Tribune des Antilles", 6 juillet 2010,
"
Fuite des cerveaux africains : entre le rêve et la désillusion", Vitraulle Mboungou, "Afrique-Expansion", 20 mai 2010,
"
L’aviation africaine durement touchée par la fuite des cerveaux", Willy Kamden, "Les Afriques", 14 février 2010,

"Le Monde" ne pourrait-il, aujourd'hui, être ajouté à la liste des quotidiens serviles tels que l'ont été ceux cités en 1991 par David Rockfeller, lors d'un meeting du groupe Bilderberg à Baden-Baden ? : Nous sommes reconnaissants au Washington Post, au New York Times, au Time Magazine et autres grandes publications, dont les directeurs ont assisté à nos réunions et respecté les promesses de discrétion pendant près de quarante ans. Il nous aurait été bien impossible de développer notre projet pour le monde si nous avions été soumis aux pleins feux de l'actualité pendant ces années. Mais le monde est maintenant plus sophistiqué et disposé à marcher vers un gouvernement mondial... La souveraineté supranationale d'une élite intellectuelle et des banquiers mondiaux est sûrement préférable à l'autodétermination nationale que l'on pratiquait les siècles passés...” ?

Ne nous acheminons-nous pas, avec Le Monde,
vers cette présentation de la presse des EUA attribué au journaliste et économiste John Swinton :

Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi !

Auxiliaire de la colonisation linguistique et culturelle

C'est aussi Jean Marie-Colombani qui, en 2002, avait reçu le prix "d'indignité civique" de l'
Académie de la Carpette anglaise pour avoir publié un supplément du samedi du "Monde" en anglais reprenant des articles du "New York Times".

Avec Alain Minc, qui a exercé un rôle influent à la présidence du conseil de surveillance du Monde, très écouté aussi à l'Élysée, Jean Marie-Colombani a contribué à l'alignement linguistique du quotidien sur le modèle "américain". Dans son livre "La grande illusion", publié en 1988, Alain Minc exigeait des pouvoirs politiques français et européens qu’ils fassent de l’anglais la "langue naturelle" de l’Europe en rendant son enseignement obligatoire dès le primaire. Le 14 avril 2010, sur France Inter, il avait dit : "je pense qu'il n'y a pas de meilleure manière d'être francophone que de simultanément apprendre cette langue qui n'est désormais qu'un espéranto, qui est l'anglais d'aéroport à tous les petits Français." (
podcast de Radio France — amener le curseur à 12 mn 45 s).

Tout comme Alain Decaux, historien et membre de l'Académie française ("... nos petits-enfants devront parler l’anglo-américain, devenu l’espéranto de notre siècle...", Le Monde, 17 octobre 2001), ou Philippe Cayla, PDG d'Euronews ("un espéranto commode, l’anglais...", Le Monde, 2 janvier 2008), Alain Minc ne connaît visiblement pas la différence entre l'anglais, langue des prédateurs qui visent la domination du monde, et l'espéranto, langue dont l'objectif essentiel est l'équité dans la communication entre les peuples, réellement conçue pour ce rôle qui ne peut être celui d'une langue nationale.
Voir, sur le même sujet, en anglais : "Is English a new Esperanto ?", par Charles Durand.

C'est aussi dans Le Monde, du 9 novembre 2006, que l'on pouvait lire, sous la signature de Thomas Ferenczi, “Dans ces conditions, on pourrait être tenté de plaider pour le développement d’une langue commune qui facilite les échanges entre Européens et aide à la formation d’une conscience collective. Cette langue existe. Ce n’est pas l’espéranto ou le volapük intégrés que dénonçait le général de Gaulle, mais l’anglais.”(
Conférence de Presse du Gl de Gaulle, 15/05/1962)

Thomas Ferenczi, qui a été directeur de la rédaction et médiateur du même quotidien, avait au moins le mérite de s’interroger ainsi : "Comment concilier cette hégémonie de l’anglais avec le respect de la diversité culturelle, inscrit dans les traités et réaffirmé en toute occasion par les dirigeants européens ? C’est toute la difficulté." Comme Ferenczi, Philippe Cayla appelait de ses vœux une conscience européenne. Ce n’est certainement pas avec l’anglais, la langue de la nation la moins europhile de l’Union européenne, que cet objectif pourra être atteint.

Thomas Ferenczi était médiateur au Monde en 1998, l'année du congrès universel de Montpellier, la meilleure occasion de faire le point sur l'espéranto. Un tel événement n'avait pas eu lieu en France depuis cinquante ans (liste chronologique des congrès universels). Or, le journaliste qui l'avait couvert, Richard Benguigui, avait vu des "adeptes de cette langue apatride" (sic) se rencontrer "pour le simple plaisir de bavarder" là où Jacques Molénat, de La Croix, avait noté les raisons économiques, sociales, politiques et culturelles qui justifient la promotion d'une langue libre de tout lien avec quelque puissance que ce soit. Là où le correspondant du Monde affirmait que les occasions de pratiquer la langue étaient "plutôt rares", il démontrait la superficialité de son travail face aux journalistes d'autres quotidiens qui, eux, avaient souligné qu' "Internet pourrait bien donner une nouvelle jeunesse à l'espéranto" (La Croix). Dans toute l'histoire de l'espéranto, jamais il n'a été possible de l'entendre sur les ondes avec un confort d'écoute tel que le permettent aujourd'hui les émissions radio retransmises par satellites et diffusées sur Internet, jamais il n'y a eu autant de facilités pour le pratiquer fréquemment (Internet, Skype, etc.). Là où le journaliste du Monde en était venu à cette conclusion : "le mouvement, porté avant guerre par les cheminots, est en perte de vitesse et, malgré les efforts déployés, le public des congrès est chaque année un peu plus vieillissant", celui de Midi-Libre avait titré, le même jour :"Espéranto : les vrais succès d'une utopie réalisée".

Là où le correspondant du Monde n'avait rien vu ou remarqué, d'autres avaient découvert, par exemple, que ce congrès était placé sous le patronage de Marie-George Buffet, Ministre de la Jeunesse et des Sports, qu’Albert Jacquart et Théodore Monod appartenaient au Comité d’Honneur; que le nouveau président de l'Association Universelle d'Espéranto était l'ancien procureur général et ministre australien de la justice Kep Enderby; que le congrès mondial suivant se tiendrait à Berlin et celui de l'an 2000 à Tel Aviv; que 250 Nippons et une cinquantaine de Chinois — fait sans précédent — avaient participé à celui-ci; que les Africains y étaient plus nombreux que d'habitude; que Guy Béart, à qui son père avait enseigné l'espéranto, avait donné un concert; que la première couverture d'un événement par Radio Pologne en Real-Audio avait été celle de ce congrès par sa rédaction d'espéranto; que deux médecins de Montpellier avaient fondé "
Réinsertion et Espéranto", une association de réinsertion sociale tirant parti des vertus pédagogiques de la langue; qu'il y avait un imposant service librairie (photo dans Midi-Libre) témoignant d'une littérature importante en espéranto, etc. En bref : tout ce qui était sans intérêt, qui détournait l'attention de faits essentiels et qui brouillait les pistes se trouvait dans Le Monde.

Il ne s'agit pas d'accabler un journaliste du Monde. A la défense de M. Benguigui, il ne me paraît pas être le seul responsable. C'est bien au-dessus de lui qu'il faut voir le problème. Benguigui n'a fait que refléter l'attitude de la direction et de la rédaction du Monde à l'égard de l'espéranto. A partir du moment où un journal donne de l'espéranto l'image d'une idée qui appartient au passé, une image qui ne correspond pas à la réalité et qui ne mérite guère d'attention, il ne faut pas s'attendre à ce que ses collaborateurs cherchent à approfondir le sujet.

N'est-ce pas curieux que, depuis de nombreuses années, de tels préjugés soient martelés précisément dans Le Monde ? De ce fait, l'espéranto — le vrai — est plutôt gênant pour la ligne éditoriale, comme un "cadavre" qui continuerait de parler, de rire, de chanter, de danser, et même de faire des petits, donc de vivre plus que jamais !... Par contre, l'argent n'est pas gênant lorsqu'il paie de la publicité en faveur de l'espéranto dans le même quotidien, par exemple celle du 26 septembre 2009 : "
L'Europe subit une domination de la langue anglo-américaine" payée par un mécène japonais.

Le formatage des esprits, à propos de politique linguistique, et en particulier à l'encontre de l'espéranto, a été si efficace à la direction et à la rédaction de ce quotidien qu'il existe aujourd'hui une nouvelle pièce importante à mettre dans le dossier du conditionnement qu'il exerce sur bon nombre de ses lecteurs. Il s'agit des commentaires de personnes, obligatoirement abonnées au Monde, à la suite d'un article du philosophe Michel Onfray publié le 10 juillet 2010 sous le titre "
Les deux bouts de la langue" . Les commentaires montrent, dans leur quasi totalité, une ignorance inimaginable et consternante de la part de lecteurs d'un quotidien qui aime se faire passer pour une référence. C'est tout simplement effarant. Une réponse a été donnée par une institutrice polyglotte, Dominique Couturier, qui, du fait que les commentaires sont limités à 500 signes, renvoit à un article de son blog intitulé "Quand les suppositions et la rumeur tiennent lieu de savoir..."

Comme pour un iceberg, la partie visible des méfaits de cette désinformation est très inférieure à la partie invisible. Suite à l'article de Michel Onfray, qui ne représente que son point de vue personnel, un lecteur corse, Vincent Carlotti, a publié une réaction sur son blog sous le titre "
Michel Onfray : délires en espéranto". Il est allé jusqu'à écrire : "... monsieur ONFRAY qui va jusqu’à faire l’éloge de l’esperanto, cet ersatz de langue encore pire à mes yeux que le globish, cet anglais minimal des échanges commerciaux internationaux."... Là encore, il est clair que tout le savoir de l'auteur de ces propos en la matière n'a d'autres sources et références que le ouï-dire et... "Le Monde", ce qui n'est guère mieux.

"Le Monde" mérite-t-il d'être sauvé ?

Son attitude est conforme à cette description donnée en Tunisie par le Mouvement Ettajdid ( en arabe = Renouveau), sous le titre "
La langue et les enjeux culturels de la globalisation") :
"La promotion de l’anglais au statut de langue commune et non plus étrangère constitue un pilier majeur de la stratégie mondiale de globalisation-américanisation du complexe politico-communicationnel des États-Unis. Cette offensive est relayée par une grande partie de la presse française et par une partie importante de notre intelligentsia."

Il se trouve que, dans le même article, on peut lire, entre autres passages sur l'espéranto :
"La promotion de l’Espéranto – langue riche de communication entre les peuples, et qui fonctionne – a aussi l’avantage de se faire en toute indépendance de l’impérialisme américain ou du capitalisme."

En matière d'espéranto, "Le Monde" constitue un exemple de la culture ciblée de l'ignorance. C'est "Le Monde du silence" tel que Jules Verne, président du Club d'espéranto d'Amiens,
qui s'était engagé en faveur de l'espéranto, ne l'avait pas imaginé. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de lire, dans une majorité des commentaires de certains ses abonnés, des propos du genre "Comment promouvoir une langue qui n'a aucune littérature ? (Si le français a son Molière ou son Hugo, l'allemand son Goethe, l'anglais son Shakespeare, quelle serait en effet l'œuvre majeure qui nous apprendrait l'espéranto ?)" (15.07.10 | 19h31).

Si l'auteur d'une telle insinuation avait fait une recherche sur Internet avec les mots-clé "Эсперанто литературы", "esperanto literaturo", "Literatura em esperanto", "Literatura en esperanto", "esperanto literature", "esperanto-literatur", "littérature espéranto", il aurait pu découvrir que Google livre, respectivement, 1 670 000 liens en russe, 932 000 en espéranto, 434 000 en portugais, 430 000 en espagnol, 365 000 en anglais, 196 000 en allemand et 105 000 en français ! Même s'il y a un tri et une sélection à faire, il y a largement de quoi occuper des jours à une réflexion
sérieuse et prendre conscience de l'existence d'une telle littérature.

L'article de Wikipédia intitulé "
Littérature en espéranto" ne constitue qu'un aperçu du sujet. Ensuite, "La infana raso" (traduction en anglais : "The Infant Race"pdf ) est l'un des chefs-d'œuvre de la littérature en espéranto. Son auteur, William Auld, d'origine écossaise, a été proposé trois fois pour le prix Nobel de littérature.

Le nom d'Andreas Blinkenberg (1893-1982) est probablement totalement inconnu tant par Le Monde que par ses lecteurs. C'est à peu près le même raisonnement qu'avait tenu ce linguiste danois lors de la Conférence générale de l'Unesco, en 1954, à Montevideo. Comme délégué du Danemark, alors qu’une proposition en faveur de l’espéranto était à l’ordre du jour, il avait tenté de tourner cette langue en dérision en affirmant qu’elle avait un vocabulaire pauvre, une syntaxe primitive et qu’en cette langue on pourrait peut-être à la rigueur commander un menu uruguayen mais qu’elle ne pourrait servir ni pour la littérature ni, de manière générale, pour des objectifs culturels. Beaucoup de représentants furent indignés, et les médias uruguayens donnèrent un large écho à cette indignation. En effet, les délégués des nations présentes avaient pu voir une grande exposition mondiale sur l’espéranto réalisée à cette occasion, donc s’informer. L'effet fut inverse de ce que Blinkenberg escomptait. L’affaire évolua de telle manière qu'une
résolution fut votée. Elle reconnaissant "les résultats obtenus au moyen de l'espéranto dans les échanges intellectuels internationaux et pour le rapprochement des peuples". Enfin, entre l'anglais de Shakespeare et l'"anglais d'aéroport" de Minc — ou Broken English, largement dominant —, il y a la différence entre la culture et l'a-culture.

La plupart des arguments opposés à l'espéranto par des lecteurs fidèles du Monde (obligatoirement des abonnés), un journal dit "de référence", sont du même tonneau, et il ne semble pas utile de revenir en détail sur les réponse pertinentes et fondées données sous le titre "
Quand les suppositions et la rumeur tiennent lieu de savoir..." par Mme Dominique Couturier sur le réseau social Ipernity dont l'une des langues de l'interface est précisément l'espéranto... qui a servi de langue-pont pour réaliser l'interface en chinois.

Il est clair que, pour une frange importante des lecteurs du Monde, il n'y a que l'anglais et le non-anglais qui inclut plus de 6000 langues y compris le français et l'espéranto, et que l'espéranto n'existe pas, où qu'il est pour eux du domaine de l'utopie alors qu'il fonctionne de façon satisfaisante et que de nouvelles applications sont développées chaque jour : voir "L'espéranto au présent" — partie 1suite, et, pour comprendre comment on en est arrivé là : "Le « cadeau » de Gordon Brown au monde" (pdf)