Ici, il y a encore 10 ans, se dressait une magnifique forêt de chênes

A l’époque, j’habitais dans une cité en pleine nature. De belles résidences réservées aux familles des employés attachés au stockage souterrain de gaz naturel. Le plus important et le plus ancien d’Europe. Pour faire simple, grâce à sa géologie particulière, le sous-sol de la région est constitué de roches poreuses permettant d’emprisonner les micro-bulles de gaz naturel. Plus d’un million de mètres cubes d'énergie fossile est ainsi mis en réserve pour alimenter Paris et sa région. D’où la présence d’une usine depuis 1956 à l’orée de la forêt.

La résidence dans laquelle nous habitions était cernée par la forêt. Seule la partie Sud s’ouvrait sur une vallée agricole. Sinon, la forêt était partout. Il fallait parcourir plus de 3 kilomètres en empruntant une petite route forestière pour rejoindre le village le plus proche. Autant dire que ma jeunesse s’est passée dans cette forêt domaniale.

Combien d’heures passées avec mon chien en ce lieu constituée de nombreux chênes plusieurs fois centenaires ?
Une forêt de feuillus tellement dense qu’en y pénétrant, le ciel disparaissait derrière la canopée. Un repère de choix, un vrai paradis pour les milliers d’oiseaux dont les chants accompagnaient mes longues balades et mes jeux.
Un véritable sanctuaire magique et mythique, dont le souvenir est à jamais ancré dans ma mémoire.
Je les revois encore ces fameux chênes, hauts comme des immeubles, dont les troncs affichaient des circonférences phénoménales. J’en connaissais une bonne centaines pour leur aspect monumental. Au fil du temps, j’avais développé avec eux une relation proche de celle que l’on peut entretenir avec un animal.

Un chêne qui a échappé au massacre. Il ne perd rien pour attendre

Hier, sur un coup de tête et après une quarantaine d’années d’exil en France et à l’étranger, je décide d’y retourner. A peine une centaine de kilomètres me séparent de ma forêt. Je l’ai toujours considéré comme étant ma propriété, car à l’époque, je n’y croisais jamais personne. Sauf pendant la saison de la chasse. Période pendant laquelle, dès que je n’avais pas école, je m'y précipitais avec mon fidèle chien, afin de débusquer les nombreux chevreuils et faisans pour les faire fuir dans la direction opposée des fusils. J’aime à croire - à l’époque, j’en étais convaincu-, que j’ai ainsi épargné quelques vies.

Arrivé sur place, il fallait s’y attendre. Le village où j’ai fréquenté l’école communale a changé. Dans les champs alentour, les cultures ont fait place à des zones pavillonnaires qui ont poussé comme des champignons. J’emprunte la petite route forestière qui monte à l’ancienne cité du Gaz de France. Je sais que la maisons où j’ai vécu n’existe plus. Elle a été rasée avec les autres il y a une dizaine d’années pour l’extension de l’usine. Quant à la route forestière, son emprise a été amputée de 50 % par des pavillons sans caractère.

Ma forêt, elle, est plus haut. Je caresse l’espoir qu’elle ait été épargnée. Mais je ne reconnais rien. Tout au plus, je devine que les grandes clairières recouvertes de buissons et d’arbres fantomatiques sont les vestiges de ma forêt de chênes centenaires. Mes chers arbres, tous sans exception, ont disparu. Tout feuillu de plus de 50 ans est passé par l’acier des chaînes des tronçonneuses.



Voilà ce qu'ils ont fait de ma forêt

Je tente de retrouver mes vieux sentiers que je sillonnais dès que j’avais un peu de temps libres. Pas faciles de s’y retrouver. Mes chênes gardés en mémoire, qui me servaient de repères ont fini en meubles ou pire, en bois de chauffage.

Finalement je devine, plus que je ne reconnais, l’un des mes endroits fétiches. Il n’a plus rien à voir avec mon souvenir. Autrefois protégé par les hauts branchages qui le plongeait en toute saison dans la pénombre, il baigne désormais dans un soleil automnale. Seules quelques souches monumentales restées au sol subsistent. Telles des pierres tombales.

Non contente d’avoir détruit l’une des plus belles forêts domaniales de France, au nom d’une « bonne gestion des espace naturels », l’ONF, a surtout effacé un pan entier de ma vie.
Effet collatéral, pas une fois je n’ai entendu le moindre chant d’oiseaux, ni le son saccadé et énervé du bec d’un pic vert, sur le tronc d’un arbre. Renseignements pris, une campagne de « renouvellement de la forêt » a coûté la vie à 90 % des chênes.

Je suis venu trop tard avec mon appareil photo, pour immortaliser mes chênes avant leur disparition qui, j'aurais dû l'admettre, était inélectable. Je vais continuer à vivre, comme je l'ai fait pendant tant d'années avec le simple souvenir d’une majestueuse forêt. Elle est toujours bien réelle dans ma tête. Il faudra attendre au moins deux cents ans pour qu’elle reprenne son aspect des années 60-70 m'a-t-on affirmé. Je ne sais pas si j’aurais la patience d’attendre.