Cette "cassette violette" a une histoire ! On a tous des souvenirs qui se matéri...alisent dans un objet particulier.
Cette cassette, retrouvée il y a peu, c'était celle que mes parents mettaient quand on partait en vacances, en Espagne, avec la CX bleue puis la BMW, qui faisait la fierté de mon père, le "Monster" comme il l'appelait, avec son accent anglais très français. Une vieille 7.35i pour les connaisseurs, qui avait, c'est vrai, une "gueule". Après tous mes étés de petite enfance passés à l'Ile d'Oléron, sur la grande plage de Domino, mon grand-père avait vendu la maison qu'il avait sur l'île et avait acheté une maison à Ampuria (ou Empuriabrava) sur la Costa Brava, au nord de l'Espagne, près de Figueras, Cadaquès, Rosas. C'est la plus grande Marina d'Europe, aujourd'hui encore je crois.


Le concept était top, les canaux remplaçaient les rues ! Dans certaines villes, vous avez une rue, un espace vert, une rue, etc... Là, c'était une rue, un canal... Au bout du jardin, le canal, avec les bateaux qui passaient. Et le nôtre, "Moustache", un petit bateau à moteur. J'adorais m'asseoir à l'avant du bateau, les pieds caressant l'eau, le sentiment de liberté était extraordinaire, puis on arrivait au port, puis en mer, et on mettait les gaz, et là, c'était grand ! C'est là, dans la baie de Cadaquès, chère à Salvatore Dali, que j'ai appris à faire du ski nautique. Donc, de la banlieue parisienne, même la banlieue sud, jusqu'à Ampuria, il y avait pas loin de mille bornes, et du temps pour écouter de la musique.


On voyageait toujours de nuit, mon père mettait ses gants de pilote (il l'est encore aujourd'hui, pour le plaisir, il court sur Abarth), des mitaines en cuir beige avec du coton tressé en petites mailles sur le dessus, des gants à la Steve McQueen ! En général, on faisait le voyage en deux étapes. On allait d'abord jusqu'à Etrée, un petit village près d'Avallon, dans l'Yonne, où habitait ma grande-tante, la soeur de ma grand-mère, une des femmes les plus gentilles de la planète. On dormait là-bas une nuit, et la nuit suivante, mon père nous réveillait vers minuit, et on partait en Espagne. Ma soeur et moi nous mettions chacun d'un côté de l'accoudoir, Noushka, notre berger belge à poils longs se couchait entre le dossier du siège de ma mère et la banquette arrière, par terre, et on mettait la cassette violette. Charles Aznavour, François de Roubaix, Jean Ferrat, Starmania, Johnny Mathis, Supertramp, Serge Reggiani... J'adorais cette ambiance nocturne qui me faisait rêver, qui me donnait l'impression d'être dans une dimension très particulière, et la musique y participait...


Hier, j'ai réécouté cette cassette, trente ans plus tard. Et tout m'est revenu. Je me suis aussi aperçu qu'on n'écoutait certaines chansons mieux que d'autres, ou moins bien. Je veux dire par là qu'on s'habitue à se laisser porter par certaines mélodies depuis toujours sans écouter vraiment les textes, et vice-versa. Pourtant, concernant Aznavour, puisque c'est de lui qu'il s'agit, s'il y en a un dont j'ai écouté les textes plus précisément que ceux de n'importe quel autre chanteur, c'est bien lui. Mais hier, j'ai redécouvert le texte de "Et moi dans mon coin". Cette chanson est incroyablement forte, dure, elle parle de rupture, d'amour qui s'en va, qui meurt, ou qui naît ailleurs, de solitude aussi.


Et puis cette autre chanson "You're a lady", de Peter Skellern. Je vous mets les deux liens dans les commentaires de ce texte. Sur la vidéo d'Aznavour, à sa façon de changer de visage au moment du début du titre, à sa façon de chercher une profonde concentration pour entrer dans son personnage, on comprend pourquoi il restera une légende. Parce qu'il était un chanteur incomparable, mais surtout un interprète de génie.

C'était l'histoire de la "cassette violette". J'espère qu'elle vous aura fait voyager autant que moi.


Franck Pelé