La bonne année 2012...

La chronique de Michel Serres a révélé bien des curiosités, mais mieux vaut l'écouter...

Chaque année est un nouveau cycle de quatre saisons. Le 1er janvier est le point de départ pour un nouveau tour de Soleil. Les voeux de nouvel an ne sont qu'un bonjour multiplié par 365 (ou 364 pour les années bissextiles).

Mais le nouvel an n'est pas le même en France, en Iran ou en Chine. Du fait que Varsovie était sous occupation russe dans une Pologne rayée de la carte, le premier manuel d'espéranto parut officiellement, selon le calendrier julien orthodoxe, le 14 juillet 1887. Cette date correspond au 26 juillet dans le calendrier grégorien majoritairement accepté dans le monde.

Comme les usagers de l'espéranto ont des correspondants dans divers pays, certains sont ainsi amenés à présenter des voeux pour le nouvel an chinois dont la date n'est pas fixe par rapport au calendrier grégorien du fait qu'il suit le calendrier lunaire chinois— en 2012, ce sera le 23 janvier pour l'année du dragon — , ou iranien, qui est solaire et commence le 20 mars. Le nouvel an arabe est quant à lui lié à la Lune. On peut donc comprendre que Gandhi ait dit en 1931, à une époque où les voyages internationaux se développaient :

"Je suis pour un même calendrier pour le monde entier, comme je suis pour une même monnaie pour tous les peuples et pour une langue auxiliaire mondiale comme l'espéranto pour tous les peuples."

L'année 2012 est marquante pour l'espéranto. C'est d'abord l'année de son 125ème anniversaire pour lequel le dessinateur anglais Peter Oliver a fait don d'un logo à l'Association d'espéranto en Grande-Bretagne et au monde espérantophone (libre de droits).

C'est aussi l'année du centième anniversaire du Congrès de Cracovie qui marquait lui-même, en 1912, le premier quart de siècle d'existence de l'espéranto. Lors de l'ouverture de ce congrès, le Dr Zamenhof prévint les participants qu'il ne jouerait plus un rôle de premier plan dans la vie de la langue. C'était une décision sage, puisque la mort l'enleva le 14 avril 1917. Le journal de Georges Clemenceau, "L'Homme enchaîné", publia cet hommage en sa mémoire dans le numéro du 18 avril 1918 :

"Ne laissons pas partir sans un adieu cet homme de bonne foi, de volonté et d'apostolat... Il passa sa vie à bâtir de toutes pièces une langue internationale, l'Esperanto, qui a peut-être des chances, même après la mort de son créateur, de rester une oeuvre vraiment vivante.
Je m'empresse de dire que je n'ai point lu le fameux Fundamento de Esperanto du Dr Zamenhof, ni les traductions qu'il a faites des oeuvres de Molière, Shakespeare, Goethe ou Gogol. Mais je suis prêt à reconnaître que l'Esperanto a des qualités de logique, de clarté, de simplicité et surtout de facilité, qui donnent de la valeur et de la force...
Son vocabulaire, bien que restreint, est assez riche et assez nuancé pour s'assouplir à la rude discipline de la traduction des chefs-d'oeuvre de toutes les littératures étrangères; il est assez souple pour exprimer toutes les pensées humaines.
"

Contrairement à ce qui fut écrit dans "L'Homme enchaîné", l'espéranto n'a pas été créé "de toutes pièces". Des linguistes et des philologues de renommé mondiale ont montré l'inexactitude de telles affirmations. Parmi eux, Michel Bréal dans la "Revue de Paris" de janvier 1901, Antoine Meillet, dans "Les langues dans l'Europe nouvelle"(Payot, 1918) ou Edward Sapir dans l'"Encyclopaedia of Social Sciences" (1950).

Par ailleurs, l'expression "vocabulaire restreint" mérite aussi des éclaircissements. À partir de radicaux et d'affixes, la structure agglutinante de l'espéranto permet, avec un vocabulaire effectivement restreint, la formation de mots dans une proportion beaucoup plus élevée que ne le permet l'anglais.

Sa richesse est là.

Pour déchiffrer un texte ordinaire à 80-90%, un débutant en anglais doit connaître 2000 mots là où suffisent, pour l'espéranto, 500 radicaux invariables + 50 éléments grammaticaux. Pour une compréhension à 99% (consultation du dictionnaire pour un mot sur cent), il faut connaître 7000 mots d'anglais contre 2000 d'espéranto.

De plus, les 850 mots les plus courants de l'anglais ont 21 120 significations (25 en moyenne pour chaque mot !) alors que le vocabulaire de l'espéranto est quasiment univoque.

Umberto Eco a très justement dit de cette langue, en réponse à Paul Amar, lors d'une émission télévisée sur "Paris Première" (27 février 1996) : "Du point de vue linguistique, elle suit des critères d'économie et d'efficacité qui sont admirables."

Umberto Eco avait dit en outre à L'Événement du Jeudi”, en 1994 : "C'est une langue construite avec intelligence et qui a une histoire très belle”.

125 ans après, en dépit d'informations inexactes, de calomnies, d'entraves, de tabous, de censures, et même de persécutions, la langue dans laquelle le Dr Zamenhof a introduit des principes de démocratie et d'équité dans la communication linguistique entre les peuples reprend vigueur à travers le monde.

2012 s'annonce bien pour l'espéranto.