La question concernant l'existence éventuelle d'être intelligents sur d'autres planètes n'a pas eu de réponse de Michel Serres, mais est-il nécessaire d'être astronome ou philosophe pour admettre que nul ne peut répondre avec certitude sur ce point jusqu'à maintenant ?

A l'échelle astronomique, les distance et le temps dépassent les facultés humaines d'appréciation. Mais celles-ci peuvent malgré tout laisser entrevoir des possibilités. L'Atlas de l'Univers nous donne une idée de son étendue. Quant à l'ordre de grandeur des vitesses, un homme qui marche vite parcourt 2 mètres par seconde et il atteint 8000 mètres par seconde à bord d'une navette spatiale. Même en supposant que l'homme puisse concevoir un jour des vaisseaux spatiaux se déplaçant à la vitesse de la lumière, même un petit tour en "banlieue" exigera beaucoup de temps.

L'univers existe depuis si longtemps qu'il n'est pas inimaginable que des êtres aient pu apparaître, et même disparaître du fait, par exemple, d'une folie comparable à celle de l'espèce humaine. Est-il inimaginable aussi que, quelque part, peut-être à une distance relativement proche — en chiffres astronomiques, évidemment ! — des êtres intelligents, bien plus que les hommes, vivent en paix ? Ou que d'autres sont bien pires que les humains ? Ou que d'autres encore n'ont pas de problèmes de communication linguistique ? Peut-être y-a-t-il des planètes que nos moyens d'exploration de l'espace ne permettront jamais de connaître et qui ont précisément maintenant leurs équivalents des dinosaures ou de l'homme du Neandertal...

Le sujet est si fascinant que l'on peut tout imaginer. Et c'est ce que fit Jules Verne dont trois de ses 86 romans touchent l'astronomie, l'espace, l'exploration spatiale : "De la Terre à la Lune" (1865), "Autour de la Lune" (1870), "Les Aventures de trois Russes et de trois Anglais" (1872). Mais son imagination ne s'est pas arrêtée là. Son ultime roman "Voyage d'études", inachevé à cause de sa mort et publié seulement en 1993, visait à populariser l'espéranto. Il fit dire à l'un de ses héros "L'espéranto, c'est le plus sûr, le plus rapide véhicule de la civilisation". Et c'est son contemporain Léon Tolstoï qui suggéra tout simplement au journaliste Vladimir Maïnov de juger sur pièce et non sur des racontars : "J'ai trouvé le Volapük très compliqué et, au contraire, l'espéranto très simple. Il est si facile qu'ayant reçu, il y a six ans, une grammaire, un dictionnaire et des articles de cet idiome, j'ai pu arriver, au bout de deux petites heures, sinon à l'écrire, du moins à lire couramment la langue. (...) Les sacrifices que fera tout homme de notre monde européen, en consacrant quelque temps à son étude sont tellement petits, et les résultats qui peuvent en découler tellement immenses, qu'on ne peut se refuser à faire cet essai."

La vie est très vite apparue sur une nouvelle planète de la galaxie des langues dont le nom est "espéranto"...

L'intérêt de milieux de l'astronomie pour les applications de l'espéranto a été précoce. L'"Enciklopedio de Esperanto" (PDF), qui couvre la période des origines profondes de l'espéranto — donc avant 1887, depuis sa "gestation" jusqu'au 1933, indiquait les noms suivants (année de décès et autres détails ajoutés):

  • Josep Pratdesaba (1870-1967), Catalan, astronome, propriétaire d'un grand observatoire privé. Il apprit l'espéranto en 1906. Il fonda et présida le groupe local d'espéranto.
  • Richard Schumann (1864-1945), Allemand, professeur dans une haute école technique de Vienne. Auteur d'ouvrages sur l'astronomie, la géodésie et les mathématiques. S'est intéressé à l'espéranto à l'occasion de l'Exposition Universelle de Paris à partir de 1900. Il l'apprit en 1910 et dirigea un cours dans la Haute École Technique de Aalen. En 1914, le Groupe spécialisé pour les sciences générales de la Haute École Technique de Vienne applaudit sa proposition de fonder un lectorat d'espéranto, ce qui fut accepté par les professeurs en 1915 et par le ministère en 1916.
  • Vicente Inglada Ors (1879-1949), Espagnol, colonel adjoint d’état-major, professeur d'astronomie, de géodésie et de météorologie à l’École Supérieure d’État, il commença l'espéranto en 1899. De 1910 à 1923 directeur de l'Observatoire sismologique de Tolède, il fut membre des Académies des Sciences de Madrid, Cordóba et Barcelone.
  • Frederiko Villareal (Federico Villareal, 1850-1923), Péruvien, professeur d'astronomie à la Faculté des sciences de Lima. Il fut pionnier de l'espéranto au Pérou et en Amérique du Sud en général après avoir lu des articles du fameux mathématicien français Charles Méray (curieusement, la version française de Wikipédia "oublie" qu'il consacra beaucoup d'énergie pour diffuser l'espéranto dans les milieux scientifiques). Il se mit à l'espéranto dès 1901 et rédigea des manuels pour hispanophones en 1901 et 1902. Il fonda une société d'espéranto en 1903 et commença à éditer un journal bilingue. Il existe aujourd'hui une université nationale Federico Villareal à San Miguel au Pérou.
  • Adolf Schmidt (1860-1944), Allemand, professeur d'université à Berlin, directeur de l'observatoire astronomique de Potsdam jusqu'en 1928. Spécialiste de premier ordre en mathématiques et magnétisme terrestre. Il présida l'Association Internationale Scientifique Espérantiste (ISAE) en 1907-1908 et l'Académie allemande des sciences de 1905 à 1930. Il fut co-fondateur du groupe d'espéranto de Berlin en 1904 et participa très activement au mouvement pacifiste d'avant-guerre.
  • George Douglas Buchanan (1874-1941). Commerçant écossais, vice-président de l’Association britannique d'astronomie; conseiller de la Société Royale philosophique à Glasgow. Présida la Société d'espéranto de Glasgow. Il apparaît sur le site SAO/NASA Astrophysics Data System (ADS).

Utilisation de l'espéranto en astronomie Outre ces astronomes espérantophones, dont certains furent très éminents, il est possible d'ajouter : François Arago (1786-1853) — physicien, astronome et homme politique, Jean-François-Dominique Arago ne put évidemment pas avoir de lien avec l'espéranto puisque Zamenhof naquit en 1859 et l'espéranto vit le jour en 1887, mais il avait participé à une commission scientifique qui étudia le "Solresol" — un projet de langue dû à Jean-François Sudre et publié en 1866, quatre ans après sa mort —, et il rendit une conclusion favorable. Mais la suite démontra qu’une telle langue ne pouvait vivre.

Camille Flammarion (1842-1925) Auteur d’ouvrages de vulgarisation scientifique, l’astronome Camille Flammarion, fondateur de la Société Astronomique de France, exprima plusieurs fois le besoin d’une langue auxiliaire. Il rejoignait en cela certains de ses contemporains qui furent de grands amis de l’espéranto tels que Jules Verne et l’éminent géographe Élisée Reclus.

L'astronome et physicien finlandais Yrjö Väisälä (1891-1971), qui appuya fortement l'espéranto, a découvert deux astéroïdes auxquels furent attribués les noms de :

  • (1421) Esperanto, découvert le 18 mars 1936 à l'observatoire de Turku, en Finlande. Il l'a nommé ainsi en hommage à la Langue Internationale. D'un diamètre d'environ 42 km, de forme irrégulière, de taille comparable, par exemple avec Phobos, un satellite de Mars, il évolue en orbite dans la ceinture d'astéroïdes, à peu près à mi-chemin entre Mars et Jupiter.
  • (1462) Zamenhof, découvert le 6 février 1938. Son diamètre est de 25,82 km. Sa distance moyenne par rapport au soleil est de 470 millions de km.

L'astronome finlandaise Liisi Oterma (1915–2001) fut la première femme à obtenir un titre de docteur en astronomie en Finlande. Elle découvrit ou co-découvrit trois comètes et 54 astéroïdes. Son nom a été attribué à un astéroïde : (1529) Oterma et à une comète : 39P/Oterma (juillet 1942). Elle apprit l'espéranto durant la seconde Guerre mondiale, et c'est précisément Yrjö Väisälä qui le lui enseigna. Professeur d'astronomie à l'Université de Turku de 1962 à 1978, elle a beaucoup contribué au prestige de l'espéranto dans son milieu par des conférences, des articles et une participation très active au sein du mouvement pour l'espéranto.


Un recueil d'études scientifiques couvrant les sciences humaines, les mathématiques et les sciences de la nature parut en 1958 sous le titre "Sciencaj studoj" (Études scientifiques) avec les contributions de 37 savants espérantopohones de divers pays, en particulier, pour l'astronomie, de Yrjö Väisälä pour la Finlande et de Boĵidar Popoviĉ pour la Yougoslavie. Rédacteur en chef : Paul Neergaard (Danemark), précace : Seiho Nishi, Japon, recteur de l'Université d'État de Gunma, professeur honoraire de l'Université d'État de Tokyo, président de l'Association Internationale scientifique espérantophone (ISAE).

Un Atlas photographique astronomique fut publié en 1977 par l'Institut d'Astrophysique de Liège en cinq


langues (EN, FR, DE, ES, EO) sous le titre en espéranto "Astronomia foto-atlaso" avec une préface de Pol Swings, ancien président de l'Union Astronomique Internationale, membre des Académies de Belgique, Paris, Washington, Boston, Philadelphie, Bavière. Cet ouvrge portait la signature de deux membres de l'Institut d'Astrophysique de Liège, André Heck et Jean Manfroid.

L'astronome et mathématicien serbe Boĵidar Popoviĉ (Bojidar Popovitch — 1913-1993) fut aussi directeur de l'Institut Yougoslave d'espéranto, président de la Ligue Yougoslave d'espéranto, auteur d'un manuel, secrétaire général puis président de l'Association scientifique Internationale espérantophone ISAE (Internacia Scienca Asocio Esperantista). Il publia la moitié de ses études en espéranto et l'autre moitié avec un résumé en espéranto.

Gabrijel Divjanoviĉ* (Gabriel Divianovitch — 1913-1991) occupa diverses fonctions au ministère de l'éducation nationale de Croatie, puis comme directeur de l'Institut National pour la Protection des Ressources naturelles et directeur de l'Observatoire astronomique de Zagreb. Son action comme grand vulgarisateur, en particulier auprès de la jeunesse, est reconnue. Il fonda l'association "Jeunes astronomes espérantistes" à l'Observatoire de Zagreb. Un livre rédigé en croate par les jeunes de cette association parut en 1961sous le titre "Tragedio en la universo" (Tragédie dans l'univers**), un plaidoyer contre la guerre. La traduction en espéranto fut effectuée par Ivo Rotkviĉ. C'est l'une des 100 traductions sélectionnées pour la qualité et leur valeur littéraire par Edmund Grimley Evans. En 1961 aussi, il fut à l'origine de la création du camp de


vacances de la presqu'île de Primošten, en Dalmatie, sur les côtes croates de la Mer Adriatique (E-feriejo en Primoŝten ci-contre sur la couverture de la revue "Homo kaj kosmo").


Divjanoviĉ a beaucoup écrit dans sa spécialité en espéranto, surtout dans la revue de sciences populaires sur l'astronomie "Homo kaj kosmo" (Homme et cosmos), dont il fut rédacteur en chef durant plus de 20 ans, de 1963 à 1984 et qu'il rédigea avec le concours de collègues de l'observatoire de Zagreb.

Sur le site de la Faculté de Médecine de Nancy, le mathématicien Henri Poincaré (1854-1912), l'un des plus grands de son temps, membre de l'Académie Française et de l'Académie des Sciences, fut professeur d'astronomie générale sans traitement à l'École polytechnique. "La théorie de la relativité, c'est lui", avait dit Albert Einstein*** lors d'un entretien. Il apparaît dans la liste de sommités dont le nom fut lié à l'espéranto (texte original complété par les prénoms et par des liens) :

Le Groupe Médical Espérantiste de France organise son congrès mondial. Celui-ci se déroule sous la Présidence de Zamenhof en personne avec la participation de la Société Française de Physique, de la Société Internationale des Électriciens, des Professeurs Claës A. Adelsköld, Paul Appell, Arsène d'Arsonval, Baudoin de Courtenay, Henri Becquerel, Marcellin Berthelot (1827-1907)****, Charles Bouchard (1837-1915), Henri Deslandres, Émile Duclaux, Wilhelm Förster, Albin Haller, Henri Poincaré, William Ramsay, Général Hippolyte Sebert, etc.

"Tous ces savants sont de fervents adeptes de l'espéranto."

Henri Deslandres, astronome français né à Paris (1853-1948), inventa le spectrohéliographe. Directeur de l’Observatoire d’Astronomie Physique de Meudon, il fut signataire du voeu émis en 1924 par 42 savants de l'Académie des sciences en faveur de l'espéranto reconnu comme "un chef-d'oeuvre de logique et de simplicité", avec Guillaume Bigourdan (1851-1932), astronome de l’Observatoire de Paris, premier président de la Commission internationale de l’heure en 1920, président de l'Académie des sciences et de l'Institut de France en 1924.

* Photo sur le blog du Centre de Documentation sur l'espéranto en Croatie.
** Traduit du croate en espéranto par
Ivo Rokviĉ. Zagreb, 1961, 94 p.
*** Albert Einstein accepta la présidence d'honneur du
3e Congrès de l'Association Mondiale Anationale (SAT), dont l'unique langue de travail est l'espéranto, à Cassel en 1923.
**** L'anarchiste espérantophone
Paul Berthelot (1881-1910) vécut à la même époque.

Aujourd'hui

Curieusement, un prêtre du Cotentin a créé un site dont une page traite de géométrie et d'astronomie sphérique.

Astronome de l'Observatoire de Genève, Bernard Nicolet s'est mis à l'espéranto sur incitation de son fils. Il participe à l'animation de la Société Neuchâtelloise d'Astronomie.

Un programme a été lancé le 15 novembre 2011 à propos de Jupiter : Io' 2012 !
Les informations de base sont sur Globusoj,
une revue scientifique de vulgarisation pouvant être librement téléchargée, et plus précisément sur "Io' 2012"
Et le forum avec une première présentation de l'expérience peut être visité
sur Ipernity : Unua prezentado de la eksperimento.

Membre de la direction de l'
Universala Esperanto Asocio, Amri Wandel est docteur en astrophysique. Il l'enseigne à l'Université de Jérusalem et il est professeur invité à l'Université de Californie (UCLA), spécialiste des galaxies, des trous noirs et d'astrobiologie, membre de l' Académie d'Espéranto et de l'Académie Internationale des Sciences de Saint Marin (AIS).

"La Kosmo kaj ni — Galaksioj, planedoj kaj vivo en la universo. Elementa kurso pri astronomio"

(Le cosmos et nous — Galaxies, planètes et vie dans l'univers. Cours élémentaire d'astronomie") est un manuel complet d'astronomie théorique et pratique. Co-écrit en espéranto par deux astronomes professionnels, David Galadi-Enriquez (Espagne) et Amri Wandel (Israël), il est paru à Anvers en co-édition par Fundación Esperanto et FEL, en première édition en 2001 (199 pages), et en seconde en 2005 (222 pages). La seconde édition peut être commandée auprès des services librairie associatifs ou de celui de l'UEA.


David Galadi-Enriquez a appris l'espéranto à la fin des années 1990 alors qu'il était un jeune astronome, professeur à l'Université de Barcelone. Il travailla ensuite à l'Institut National Espagnol de Technique Aérospatiale et travaille maintenant à l'Observatoire Astronomique de Calar Alto (Almeria, Andalousie, Espagne). La photo représente la couverture de la première édition.

Exemples d'articles en espéranto sur l'astronomie

Scienca kaj Teknika Esperanto-Biblioteko, STEB --> Faka literaturo pri astronomio (littérature spécialisée sur l'astronomie)

PS — Merci à :

  • Mireille Grosjean, Suisse, pour des informations sur Bernard Nicolet, Observatoire Astronomique de Genève.
  • Luizo Ladeira (Portugal) à propos de Io' 2012/Globuso.
  • Dario Rodriguez (Espagne), pour les informations sur "La kosmo kaj ni" et ses auteurs, et pour la copie de couverture.