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IV. — QUELQUES HÈM SINGULIERS (1).

1. Génie amoureux.

Le village de Hoài-bão trung 懷抱中, huyện de Tiên-du, province de Bắc-ninh, a pour génie tutélaire un génie-homme. Un village voisin, celui de Hoài-bão thị-thôn 懷抱市村, adore une génie-femme.

La tradition veut qu’autrefois, la déesse de ce dernier village se soit éprise du génie de l’autre. Elle quitta son đình pour aller vivre avec lui. Pendant son absence le village subit toutes sortes de malheurs : morts d’hommes et d’animaux, incendies, etc. Un devin fut consulté qui révéla la cause de ces malheurs. Alors le village de Thị-thôn s’en fut à Trung-thôn supplier, par de grands sacrifices, le génie de lui rendre sa déesse. Le génie écouta la prière et la paix revint aussitôt.

De nos jours, pour éviter une nouvelle désertion de la déesse, les habitants de Thị-thôn prennent plusieurs précautions. La fête en l’honneur de la déesse a lieu le 10e jour du 1er mois, tandis que celle en l’honneur du génie de Trung-thôn, est célébrée le 2e jour du même mois. A l’occasion de cette dernière, Trung-thôn organise une procession qui doit passer devant le đình de Thị-thôn pour aller au nghè. Thị-thôn fait venir ce jour-là, bien que ne soit pas celui de sa fête, une troupe de théâtre qui joue dans son đình. D’autre part, il envoie une députation à Trung-thôn pour lui demander de faire arrêter la musique au moment où le char du génie approche du đình de Thị-thôn. Dans ce dernier, les hommes frappent alors le plancher des pieds et des mains, tandis que les acteurs chantent et que le musiciens font retenir leurs instruments pour étouffer tout bruit provenant de la procession : ces dispositions ont pour but de détourner l’attention de la déesse du passage de son ancien amant.

Les jeunes filles de Thị-thôn sont de mœurs peu sévères. Souvent mariées très jeunes, elles ne rejoignent pas aussitôt leurs maris. Après les cérémonies d’usage, elles retournent vivre chez leurs parents plusieurs années encore. Pendant ce temps, elles continuent à mener leur vie de jeune fille qu’il leur est loisible qu’il est loisible de rendre plus libre. Elles ne vont chez leurs beaux-parents que pour certaines fêtes ; elles peuvent y rester un jour ou deux ; mais, sitôt les fêtes terminées, elles repartent. Quelquefois elles n’y passent pas la nuit.

Beaucoup ne rentrent définitivement chez leurs maris que quand elles se croient grosses. Alors tout le monde est content : le mari d’avoir enfin sa femme avec lui ; la femme de n’avoir pas à cacher sa faute ; et l’enfant qui naîtra sera bien leur enfant à eux.

Cette inconduite des femmes est, dans les autres villages, sévèrement jugée. Sans être tolérée, elle l’est beaucoup moins à Thị-thôn. La cause de ce relâchement des mœurs des femmes de Thị-thôn est attribuée au caractère de la déesse.

(Renseignement fourni par M. Nguyễn-thiện-Chính, tú-tài 秀才, tri-huyện, attaché au bureau du tuần-phủ de Hưng-yên, et originaire du village de Hồi-bão 回抱, voisin des villages de Thị-thôn et de Trung-thôn.)


2. Génie aux coups de poing (Thần đấm).

Le hameau supérieur du village de Duyên-tục 延續, canton de An-lạc 安樂, huyện de Thần-khê 神溪 (Thái-bình), adore un voleur mort des coups de poing qu’il reçut. Son surnom est thần đấm (génie aux coups de poing).

Le jour de l’anniversaire de sa mort, à la nuit tombée, après les cérémonies d’usage, tous les habitants du hameau, hommes et femmes, jeunes et vieux, viennent au temple saluer le génie. Après quoi, on éteint toutes les lumières et on se livre à une véritable rixe à grand renfort de coups de poing.

(D’après Chéon, Recueil de textes nouveaux faisant suite au Cours de lange annamite, p. 64.)


3. Génie voleur (Thần ăn trộm).

Le village de Lộng-khê 弄溪, canton de Đào-xá 陶舍, huyện de Phụ-dực 附翼 (Thái-bình), a pour génie un voleur, tué par un habitant du village qui l’avait surpris.

L’anniversaire de la mort du génie tombe le 26e jour du 2e mois. Une grande fête a lieu avec sacrifices et procession. La nuit, les jeunes garçons du village, munis de torches allumées, circulent autour du temple, pénètrent dans les ruelles comme s’ils allaient à la recherche d’un voleur. Puis le gardien du temple passe la statue du génie par une petite ouverture pratiquée dans le mur de derrière du sanctuaire ; du côté extérieur se tient posté le premier notable. Dès que la statue est sortie, ce dernier l’empoigne par le cou et lui assène trois coups de poing en criant : « Je le tiens ! Je le tiens ! ». Après quoi, on remet la statue sur le char (kiệu), et l’on la ramène processionnellement au đình.

(D’après Chéon, Recueil de textes nouveaux faisant suite au Cours de lange annamite, p. 14.)


4. Génie enfant (Thần trẻ con).

Au village de Đông-thôn 東村, canton de Trung 中, huyện de Hoàn-long 環龍 (Hà-đông), un tout petit enfant mourut asphyxié en voulant avaler un gross boule de bánh chôi (gâteaux immergés dans l’eau froide). Il devient génie protecteur du village.

Chaque année, le 12e jour du 1er mois, anniversaire de sa mort, des sacrifices lui sont faits comme à tous les autres génies. Comme il est trop jeune pour distinguer les offrandes, l’officiant doit énumérer celles-ci et en indiquer la nature, disant : «Ceci est du riz gluant; cela est un morceau de foie», etc. etc.

(Renseignement fourni par M. Hà-văn-Bính, habitant du village de Hồ-khẩu 湖口, voisin de Đông-thôn, canton de Trung.)


5. Génie débauché (Dâm thần).

Le village de Dị-nậu 易耨, huyện de Tam-nông 三農 (Phú-thọ), adore une génie débauché. Le 15e jour du 1er mois a lieu la fête du village. A cette occasion, les habitants fabriquent un phallus de bois et un sexe féminin en spathe d’aréquier. On suspend ses simulacres au bout d’une longue perche de bambou plantée dans le sol. Un notable du village agite violemment la perche pendant que des femmes et des jeunes filles du village s’empressent autour pour se disputer à qui mieux mieux les simulacres, qui finissent par tomber. On crois ce rite nécessaire pour la paix du village et l’on affirme que le sexe du premier enfant qu’auront ces femmes ou ces jeunes filles sera déterminé par l’organe dont elle auront attrapé le simulacre.

(Renseignement fourni par M. Nguyễn-xuân-Hạnh, secrétaire principal au Contrôle financier de l’Indochine, qui affirme avoir assisté à ce hèm bizarre.)


6. Génie à tête coupée (Thần cụt đầu).

C’est le génie du village de Khắc-niệm thượng 克念上, huyện de Vũ-giang 武江, province de Bắc-ninh.

Le 9e jour du 1er mois, jour de la fête du génie, on lui sacrifie un porc. L’animal est amené dans une cage devant l’autel. Un habitant est désigné par le coutumier pour l’immoler. On lit une prière à l’adresse du génie, et la cage est ouverte. Le sacrificateur, armé d’un sabre bien affilé, l’abat sur le porc dès que celui-ci est sorti. Il doit manœuvre de façon à trancher la tête d’un seul coup. D’autres habitants s’en saisissent alors et vont la plonger dans une grosse marmite contenant de saumure (nước mắm) bouillante. Quand elle est jugée à peu près cuite, on la porte sur l’autel.

(Renseignement fourni par M. Trương-bội-Quỳnh, ancien chef du quartier de Tiền-an 前安, Bắc-ninh, titulaire de grade de 9e degré et de la Médaille d’honneur, qui y a assisté plusieurs fois.)

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(1) Les hèm 2 et 3 sont tirés de Chéon ; les 4 autres sont inédits ; ils ont été recueillis par nous de la bouche des témoins dont nous donnons les noms à la suite de chaque description. Diguet, dans son ouvrage Les Annamites, p. 352-353, signale un sacrifice de bouse de vache à une divinité locale, Ả Nùng, à qui un culte est rendu par la commune de Ngọc-phả, province de Cao-bằng.