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Extrait de La Palpite, à rebours, lu par Emmanuelle Grangé


46) Qu’on en finisse avec ce jeu. Les marées à la mer, le ventre à la
mer, les cris à la mer. C’est la discussion des liquides. Le grain
sonne le décompte. Le sablier encore. Le gain est modique. L’air
passe au travers. Les gens sourient autour de leurs bouches. La
tempête se soupire, il faudra toute une vie pour longer les murets.
Le corps du délit se cache. L’émulsion crée le trouble. Un foetus, le
petit doigt à l’envers, a émergé dans la vaste demeure. Assis dans
un fauteuil face à la verrière, il lit le journal, consulte le répondeur
où l’attend le message courroucé de sa mère. Il a du mal à
s’occuper. La vie est sans objets. L’océan cogne aux vitrages. Son
visage se ride. Des algues lourdes flottent en surface. Le frigidaire
se libère, les barquettes s’élancent, je les suis le long du ruisseau
puis de la rivière jusqu’à la mer. Le sang court dans mes veines.
Mes amis reviennent, le menton posé au ras de l’écume. Ils
vagissent.

47) Autour du nouveau-né on applaudit. Il est joli dans son
costume, un organisme rayé de soleil.

48) On ne sait au fond s’il se divise ou si la nuit, furtif comme un
suicide, il longe les fenêtres avant de s’écraser la langue sur le
bitume. On ne sait pas tout de la parthénogenèse. Il paraît qu’on a
évoqué ce sujet dans un journal scientifique. Plus de reproduction
sexuée, la mer s’apaise quand elle lange ses noyés.

49) On entend le bruit des corps qui tombent ou encore l’arbre,
l’arbre, monsieur, s’étrangle... nous... eux... plus de différences. Le
printemps est un supplice. L’été est un supplice. L’automne est un
supplice. L’hiver est un supplice. La bête est innombrable. La mort
est inutile. La mort meurt dans la mort. Je ne peux mourir. La vie
devient inconfortable. La mort est inconfortable quand nos
gueulances survivent.

50) L’opération se répète. Tu chevrotes sous les herbages. Ton
corps ondule à travers les moiteurs du crépuscule. La nuit t’oublie.
Noueuse tu ne sais plus lisser ton visage. Tu répètes les mots, ils ne
franchissent pas tes lèvres. Tu es fatiguée, moins sûre de toi, tu
voudrais m’appeler.

51) On t’avait enterrée trop tôt. Une équipe de terrassiers, conduite
par un légiste, est venue creuser à fin de vérifications. On a trouvé
la trace de tes efforts. La terre griffée au-dessus d’un cercueil
éventré.

52) Tu aurais entendu une autre version de l’histoire. Des gens
prétendent que c’est moi... moi qui aurais été enterré vivant. Voilà
comment ils présentent la chose.

53) Par une matinée froide et pluvieuse, je suis allongé dans un
cercueil de bas prix. Le corbillard roule lentement. Pas un chien,
pas un copain ne le suit. Les mains croisées, les cheveux peignés,
les embouchures obturées, j’entends les employés municipaux
plaisanter. Peu après, ils me descendent dans le trou. Révolté par
leur désinvolture, je bondis, défonce le couvercle, escalade la paroi,
m’accroche aux racines qui font saillie. J’affleure au niveau des
employés qui se pincent le nez, importunés par les mouches
s’exhalant de mes boutonnières. A ceux qui ne se croient point
morts, je leur suggère : Venez, snifeurs de chrysanthèmes, venez
pleurer sur ma carcasse, et, pour prix de cet effort, vous recevrez
une gratification — portefeuille glissé dans la poche intérieure de
ma veste... vous pourrez vous servir, il y a de nombreux billets et
des entrées gratuites pour le musée de l’Homme, la galerie de
l’évolution.

54) Allez, les gars, un bon geste !

55) C’est là que je t’ai retrouvée. Tu tenais à la main le plan du
cimetière. Tu ne pensais qu’à Jim Morrison.

56) Vous dites qu’on se connaît ? me répondis-tu les lèvres pincées.
Pardon, je ne vous remets pas, ou alors vous étiez très discret, peu
marquant, voire totalement inintéressant, aussi cessez vos relances
tardives et songez à vous laver, ou consultez un dermatologue, ces
plaques sont franchement débectantes.

57) Je n’y pouvais rien, que je réplique, je logeais au-dehors,
parfois en escale, sur le quai au milieu des harengs. Je n’étais pas
prêt pour te revoyer, mais je dégringole à présent au bout du
robinet, hors de mon troubéant, récitant les poèmes remarquables,
les mêmes que j’écrivassais à l’époque où je me déclouais des
misères.

58) Vous voyez la scène ? ce petit vieillard qui a séché au fond du
tableau ose se détacher en bribes croûteuses. Dans la foulée, il
déclare à sa dulcinée que, ma foi, partager un petit frichti ne lui
déplairait pas. Il échoue une première fois. Il réfléchit quelques
années, soixante-dix-sept, et, au bout de ce délai, sort du caveau.
Notez qu’il a perdu de son éclat, de sa vigueur.

59) J’insistai cependant. A travers mes harangues, je voulais lui
suggérer la molette et l’étincelle. Elle était pauvre, je laissai un
billet dépasser de ma guenille, elle me suivit, langue pendante, elle
n’avait pas mangé depuis trois jours... pensez que je profitai de
l’aubaine. Ma victoire dégageait son échancrure, l’os de sa
clavicule, ses vieux seins en cornichon. Je la voyais faiblir, mais je
commis une erreur en exigeant qu’elle me rende la monnaie.

60) La terre est griffée de partout, une coupure dans la course
immobile. L’immobilité se referme.

61) Il s’en fallut de peu que je devinsse fou. Il s’en fallut de peu
que tu m’évinces, me laissant rejoindre ceux qui s’étaient collés
aux fissures.

62) J’ai plongé à mon tour, ils se sont rués, j’ai sorti mon épée, j’ai
ouvert la bouche, il en sortait quelque chose.
(R. K.)
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