« Un homme jeune et une jeune femme se trouvent seuls, une nuit, dans un refuge de montagne. Que vont-ils faire ?

Cela dépend, dit Lacan, de ceux qu'ils rencontreront le lendemain. Cela dépend de l'importance que revêt pour eux la pression conformiste du groupe. Il devrait aller de soi que lorsqu'on est jeune et en bonne santé, on ne rate pas une occasion.

De faire l'amour, pardi ! Faire l'amour. Remarquons le glissement sémantique qui apparaît dans la façon de s'exprimer qu'on certaines femmes : "Il m'a fait l'amour." faire l'amour évoque le poème de tout à l'heure, il se fait à deux. Faire l'amour à quelqu'un semble introduire une troisième personne. On pourrait dériver longtemps sur cette voie, mais l'expression prend le plus souvent une intonation triviale. Elle vient remplacer l'expression vulgaire "Il m'a baisée", mais en inversant l'attribution de possession. Celui qui me fait l'amour m'obéit, il me sert. La femme qui parle ainsi exige de l'homme une prestation qu'elle lui extorque. Du coup, c'est le cas de le dire, l'amour devient non pas acte, mais passage à l'acte. Un passage à l'acte qui court-circuite la fécondité poétique de l'amour. Aimer n'est pas baiser. L'acte amoureux a sa place au bout du chemin, pas au début.

Nos jeunes gens dans leur refuge auraient pu parler, contempler la nuit étoilée, commencer à construire, prendre le risque d'une aventure, suivre en tout cas leur désir, et non pas se conformer à l'exigence prêtée au groupe. C'est peut-être l'apanage de ceux qui ont pu échapper au besoin d'être comme les autres, comme tout le monde, que de choisir sa voie. »


(Lucien ISRAËL, "Grand âge", in Esquisses psychanalytiques, n° 13, Paris Printemps 1990, isbn : 2906435139.)

Un beau texte pour entr'apercevoir que la psychanalyse est une voie vers la liberté de choisir et celle d'être !

Le professeur Lucien ISRAËL était alsacien... et Professeur d'Université à Strasbourg, psychiatre et psychanaliste. Dans le milieu professionnel il jouit toujours, et probablement pour longtemps d'une renommée mondiale et la plupart de ses ouvrages son régulièrement republiés. J'ai lu plusieurs de ses ouvrages qui sont, pardonnez-moi, à pisser de rire. Il sont quand même parfois un peu techniques. Il savait, comme les sages Zen, mélanger en une même phase la gaité malicieuse et une profonde gravité.

Ce texte fut publié à l'occasion du décès d'Octave Mannoni, ethnologue, philosophe et psychanalyste français. Sa femme, Maud Mannoni, a écrit L'enfant arriéré et sa mère, ouvrage que j'ai lu à vingt-quatre ans, afin d'aider ma future et brève épouse alors encore étudiante en travail social à rédiger une fiche de lecture. Ce livre, lu presque par hasard - quoique... - m'avait profondément impressionné et touché en raison d'analogies avec ma propre histoire familiale. Il a surtout eu pour effet de fait naître en moi la passion de la psychanalyse, passion qui n'a jamais faibli depuis et m'habite toujours. J'étais alors à mille lieues d'imaginer que je deviendrais un jour travailleur social moi aussi, à cinquante ans passés.

Mon credo à moi :
Je crois que l'amour est la seule chose qu'ils n'arriveront jamais à nous vendre en boites de conserve...

Gros poutous à mes lecteurs et surtout... à mes lectrices ! :-)