En 2006, on rencontrait un ex-top model qui venait d'enregistrer son premier disque. Sept ans plus tard, on retrouve une ex-première dame qui aspire à redevenir chanteuse. Seuls changements notables entre les deux rencontres: Elle a troqué les Marlboro contre une cigarette électronique (avec laquelle elle vapote autant qu'elle clopait naguère) et un officier de police en civil a remplacé l'attachée de presse dans un coin de la pièce. L'entretien se déroule dans un palace "Elyséen" du 16e arrondissement où Carla Bruni, plus mince encore que dans mon souvenir, toujours aimable et volubile, mais nettement̀ plus sur ses gardes, répond aux questions sur son quatrième album de "Petites chansons françaises" (1), en éludant gentiment celles portant sur la politique et les affaires de son mari...

Il s'est passé beaucoup de choses dans votre vie depuis 2006. Quel bilan tirez-vous de ce « septennat » particulier ?

Je ne suis pas une grande spécialiste des bilans. J'ai assez peu de jugement sur ma propre existence. Je n'ai jamais réussi à la décortiquer ou à l'analyser, je préfère la vivre. Pour l’essentiel, je ne garde que de bons souvenirs de cette période : j'ai rencontré mon homme et vécu des moments extraordinaires. La vie, qui peut aussi vous réserver des choses épouvantables, n'a pas été trop méchante avec moi. Il n'y a pas de bois ici ? (Elle se lève soudain pour toucher la table et revient en s'excusant d'un sourire)

Est ce que vous vous sentez attendue au tournant, un peu de la même manière qu'à la sortie de votre premier disque?

Pas tout a fait, non. Pour le premier, l'attente était quand même plus douce. Certes, j'avais le handicap d'être un ancien mannequin, mais à partir du moment où les gens ont compris que j'écrivais mais propres chansons et que j'avais un univers à défendre, ils ont été plutôt bienveillants à mon égard. Là, je ne sais pas trop. Il y a quand même le risque que tout se mélange...

Vous craignez des réactions plus négatives, cette fois ?

Curieusement, moi qui suis d'un tempérament assez anxieux et qui me pose plein de questions existentialistes, je me tracasse assez peu de ce que l'on dira. Si ça me préoccupait, je ne ferai rien. J’ai écrit ces chansons, je les ai enregistrées, je les publie en espérant qu’on les aime. Mais le reste, je n'y peux rien. Ca me dépasse.

Est ce que vous avez le sentiment d'avoir quitté un moment votre milieu naturel, celui de la mode et du spectacle, et de devoir ramer pour y revenir aujourd'hui?

Non, car j'ai gardé tous mes amis. Aucun ne s'est détourné de moi à cause de mon mariage, en tout cas. Et puis, les milieux politiques, artistiques et médiatiques s'entremêlent quand même beaucoup. Je les fréquente depuis que j'ai 20 ans, je n'ai pas la sensation d'être passé de l'un à l'autre, en terme de vie publique, ni même personnelle. Les choses sont intactes. Moi aussi, je crois ? (rires)

Il y a quand même des choses que vous avez dû mettre entre parenthèses, non ?

Si : ma carrière scénique. Mais à part ça , j'ai continué à composer, à écrire, à voir mes amis. Ca a été une continuité, pas une rupture. J'ai toujours aimé découvrir et apprendre de nouvelles choses. Là, j'ai été servie on peut dire ! (Rires)

Comment s'est construit ce nouvel album ?

Sur la durée. La différence avec les autres, c'est qu'il n'a pas été fait tout d'un trait. Certaines chansons ont été écrites il y a trois-quatre ans, d'autres plus récemment. Au final, je trouve que ça le sert plutôt. Il y a un recul diffèrent. Les périodes de pause, qui ont parfois été longues, ont nourri l’écriture. J' avais 22 chansons en maquettes, on en a enregistré 16 et il en reste 11 sur le disque.

L'écriture et l'interprétation sont assez différentes des précédents…

Vous trouvez? J'ai pris des cours de chant, car c'était vraiment nécessaire (rires). C'est pas que je chante avec une vigueur et une incandescence fabuleuse maintenant, mais j‘ai acquis une petite maitrise qui me permet de composer différemment, avec plus de variations dans les mélodies. L'écriture, je mesure moins. Il y a peut-être plus d'ironie ? J'ai quand même le grand fantasme de faire de la chanson drôle. La langue française s'y prête formidablement. Mais c'est comme la comédie au cinéma : c'est ce qu'il y a de plus difficile à réussir.



« Ce que j’écris n’engage que moi »

Vos chansons font référence à la fumette, vous vous proclamez athée, vous évoquez un style de vie très rock´n'roll... Compte tenu de votre position, il n' y a eu ni censure, ni autocensure?

La censure n'est pas dans ma nature, ni dans celle de mon mari. Ce que j'écris n'engage que moi. Je ne suis pas une femme politique, ni une philosophe. Ce que je chante n'a pas une grande portée philosophique. J'essaie juste de distraire et d'émouvoir. Je pourrais parler de la cigarette électronique plutôt que de la fumette, mais ce serait moins fun (rires). Et puis, il y a la licence poétique, la métaphore, la rime… Beaucoup de choses tiennent au besoin de faire rimer les mots entre eux.

Comme « Mon Raymond »?

Ben oui, par exemple ! Roger était assez tentant, Raoul était impossible à accorder avec quoi que ce soit …

Se faire traiter de Raymond, ça lui a plu à Nicolas Sarkozy?

Je crois que mon Raymond lui ressemble quand même assez pour que ça lui plaise (rires). Je le bassine tellement tous les jours avec mes chansons, qu'il n'est pas surpris quand je les sors. C’est pas comme si je faisais ça dans son dos…

Vous reprenez le « Douce France » de Trenet en italien. D’autres la trouvent plutôt « triste » la France. C’est une façon de leur redonner espoir ?

Je n’ai pas cette prétention. J'aime vraiment beaucoup la version de « Douce France « qu' a faite Rachid Taha avec Carte de Séjour et il n'y avait sans doute pas besoin que je fasse la mienne. Sauf, qu'elle n'existait pas en Italien. C'est la petite italienne que j'étais en arrivant en France qui voulait la chanter. Je connais mieux ce pays maintenant et je l'aime encore plus. Est-il triste ? Plus morose que triste, je trouve. C’est vrai que l'époque est difficile. Ca ne laisse pas beaucoup de place à l'espoir, mais ce n’est pas seulement le cas en France : tous les pays d'Europe subissent la crise.

Vous avez expliqué que « Le Pingouin » ne parlait pas de François Hollande. On dit que vous avez quand même été assez choquée qu’il ne vous raccompagne pas lors de votre départ de l’Elysée…

Pour mettre un terme à toutes les interprétations, je vous affirme que cette chanson a été écrite avant les élections présidentielles. Les pingouins, ce n’est pas ce qui manque.

Sur les photos de votre départ de l'Elysée, on vous voit afficher un grand sourire. Diriez-vous que c'était une libération ?
Non, je ne dirai pas ça. C’était le moment de tourner cette page, tout simplement.

Y-a-t-il des choses de votre vie de première dame que vous regrettez ?

Non. Une des plus belles choses qui m'ait été donnée de faire a été d'utiliser cette position assez floue, qui est celle d'épouse de président, pour apporter quelque chose aux autres. Je continue l'action humanitaire que j'avais entamée et j’espère pouvoir rendre cette fondation pérenne, ce qui n'est pas si simple ..

Vous re-signeriez pour cinq ans?

Ce n'est pas moi qui signe, vous savez ? Je ne me projette pas aussi loin. Je fais avec ce qui arrive. Je ne suis pas du genre à résister aux situations, j'essaie plutôt de les accompagner. Dans le moment présent, c'est une chose à laquelle je ne pense pas du tout.

Les poursuites judiciaires contre votre mari vous inquiètent?

Ca me pèse d'en parler. J'ai dit certaines choses sous le coup de l'émotion, je n'ai plus envie d'y revenir. Mon mari s'est exprimé. Je n'ai plus à le faire. Ce serait déplacé maintenant.

Vous allez faire des concerts ?
72 544x376 Oui , et même une vraie tournée car, cette fois, j’ai quatre albums à chanter. On commence à répéter avec les 4 musiciens qui m’accompagneront.

Premier et dernier disques achetés?
C'est drole, ce sont deux Bowie. J'ai acheté Changes quand j'avais 13-14 ans et The Next Day il y a quelques jours à sa sortie. J'adore sa voix.

Pourquoi ne pas être venue à Cannes pour accompagner le film de Woody Allen dans lequel vous jouiez? Vous craigniez que ça interfère avec la campagne présidentielle?
Oh non. J'aurais adoré venir, mais j'étais assez enceinte voyez vous...

Votre vie ferait un excellent biopic, vous ne trouvez pas ?
J'adorerais ça ! Mais quelle actrice choisir? (rires) Il faudrait d'abord que j'écrive mes mémoires. J'aimerais bien le faire, j'ai pris des notes et tout, mais j'ai un mal fou avec la prose. Ma tribune du Monde , ça m’a pris des lustres pour l'écrire. Et puis, je suis peut être encore un peu jeune pour écrire mes mémoires, non ?

(1) Little French Songs ( Barclay) Sortie lundi 1er avril