Il est l’honneur d’un sport qui en a grand besoin.Le footballeur Français le plus capé de sa génération, mais aussi le plus exemplaire hors du terrain de jeu.Depuis qu’il a pris sa retraite en 2008, Lilian Thuram se consacre presque exclusivement à la fondation pour l’éducation contre le racisme qu’il a créée. Il le fait avec une énergie et une intelligence qui font l’admiration de tous.C’est d’ailleurs ce qui l’amène ce dimanche au Festival du livre Mouans Sartoux, où il participera à un débat autour de son Manifeste pour l’égalité.

Le thème du forum auquel vous allez participer aujourd’hui est « Peut-on en finir avec le racisme? » .Quelle est votre réponse à cette question?
Si je travaille au sein d’une fondation qui s’appelle « Éducation contre le racisme » c’est, bien sûr, que je pense qu’on peut en finir avec le racisme. On ne naît pas raciste, on le devient : c’est un conditionnement. C’est important à dire, parce qu’on a parfois l’impression que ça peut être un penchant naturel chez l’être humain. Ce n’est pas le cas. Si on comprend ça, on part déjà sur de bonnes bases.

N’est-il pas paradoxal que des personnalités comme Zidane, Yannick Noah ou Omar Sy figurent toujours parmi les préférés des Français alors que les idées xénophobes semblent progresser?
Je ne sais pas si c’est un paradoxe. Il y a énormément de gens qui veulent développer le vivre ensemble.Plus qu’on ne le pense. Mais ceux-là, on ne les entend pas. C’est comme dans les stades : on parle toujours des injures racistes d’une minorité de supporters.Jamais de la grande majorité des spectateurs qui se comportent bien…

Le succès de vos livres et de l’exposition que vous avez organisée au quai Branly vous a-t-il surpris?
L’idée, ce n’est pas de faire un succès, mais de permettre un questionnement collectif. Ce dont je suis fier, c’est que le livre et l’exposition (Exhibitions, l’invention du sauvage N.D.L.R.) permettent de voir les choses différemment. J’essaie d’expliquer, aux plus jeunes notamment, que les problèmes de racisme que l’on connaît sont logiques. Il n’y a pas si longtemps, on allait encore voir des personnes de couleur dans les zoos. Ca a duré jusqu’à l’exposition universelle de Bruxelles en 1958! Dans les années 90, il y avait encore l’apartheid en Afrique du Sud. La décolonisation a commencé dans les années 60 seulement… Elle était basée sur une hiérarchie des prétendues races. C’est compréhensible que tout cela soit encore présent dans les esprits. Ce n’est pas très ancien.

L’évolution se fait pour le mieux, selon vous?
Oui, absolument.Et on ne le dit pas assez. Mon arrière-grand-père est né au temps de l’esclavage. Mon grand père a connu le nazisme, qui prônait une race supérieure.Quand ma mère est née en 1947, les femmes n’avaient pas le droit de vote. Moi, je suis né en 1972 et j’ai vu élire un président noir à la Maison Blanche. Le cheminement est très positif. Il n’y a pas de raison pour que ça s’arrête…

Votre engagement vous occupe-t-il à temps plein?
J’essaie d’y consacrer le plus de temps possible, d’aller dans les écoles, les universités. On travaille sur une nouvelle exposition qui s’appellera « Être humain » et montrera comment on devient humain. On essaie aussi de monter une version itinérante d’Exhibitions. Mon premier livre sort en Espagne en octobre. C’est intéressant que ça sorte maintenant, alors que l’Espagne fait face à de graves problèmes économiques. On sait que les difficultés économiques aggravent le racisme…

Avez-vous gardé des attaches sur la Côte d’Azur?
Mon père adoptif, Albert Gal, kiné de l’équipe de France, est Niçois. Je garde des souvenirs extraordinaires de mes débuts à Monaco. J’y ai appris mon métier et j’ai eu la chance de rencontrer des gens comme Arsene Wenger ou Claude Puel. La Côte d’Azur est définitivement liée à cette période clé de ma vie. J’y viens trop rarement, hélas!

Vous suivez toujours le foot?
Je regarde parfois les matches. Assez peu en fait. J’en reviens à l’approche que j’avais quand j’étais môme : on n’avait pas la télé, je n’allais pas au stade, ce que j’aimais, c’était jouer. Je regarde quand même les résultats de Monaco.J’espère qu’ils vont remonter en première division. Je m’intéresse aussi à Nice, depuis qu’ils ont pris Puel comme entraîneur. Et je suis toujours les équipes où j’ai joué : Parme, La Juve, Barcelone… Ce sont des liens forts avec mon passé.

Et l’équipe de France?
Je ne pourrai rien vous en dire. Je ne regarde pas les matches.

Avez-vous vu Les Seigneurs, où Omar Sy joue un peu votre rôle?
Oui, j’ai vu le film, avant sa sortie. Bof…

Le succès d’Omar ne doit pourtant pas vous indifférer?
Il ne m’indiffère pas, en effet . Toute société a besoin de symboles. Le fait qu’il réussisse si bien est un symbole positif qui peut faire tomber des préjugés. Mais quand je vais voir un de ses films, je ne le vois pas noir, je le vois comme un acteur.