Le lien entre le divorce et l'espéranto est possible du fait que le premier mariage entre espérantophones eut lieu douze ans seulement après la parution, à Varsovie, du premier manuel de la Langue Internationale (26 juillet 1887) dont le 125ème anniversaire est fêté en cette année 2012.

Tout d'abord, le mot "mariage" se traduit en espéranto par "geedziĝo" (pron. gué-édz-idj-o). Il est composé de quatre éléments invariables :
  1. ge : préfixe qui indique et précise l'appartenance aux deux sexes — geinfanoj : enfants des deux sexes.
  2. edz : c'est le radical qui indique qu'il s'agit de mariage et qui se complète avec des éléments invariables.
  3. = devenir
  4. o = terminaison du substantif
Autres mots :
  • edzo = époux, mari, conjoint.
  • edzino = épouse (la suffixe "in" indique le féminin.
  • geedzoj (ou ge-edzoj pour faciliter a compréhension à des débutants) = époux (homme et femme, donc le couple, qui se dit "paro")
  • edziĝi = se marier ("iĝ" = devenir, donc devenir époux pour un homme)
  • edziniĝi = se marier (= devenir épouse pour une femme)
  • eksedziĝi (ou eks-edziĝi) = c'est devenir "ex-marié" donc divorcer. On utilise aussi "divorci" ou le substantif "divorco" ou l'adjectif "divorca" : "divorca kazo" : un cas de divorce, relatif au divorce.
Jeu de mots : edzperanto : edz + peranto (= intermédiaire, en l'occurence matrimonial). Ce mot est souvent utilisé en plaisantant. Associé à Cupidon, l'espéranto a effectivement maintes fois joué le rôle d'edzperanto...

Aperçu historique : Le premier mariage de partenaires espérantophones de nationalités différentes eut lieu en 1899 à Turku (Åbo, en suédois), en Finlande, entre le Suédois
Valdemar Langlet et la Finlandaise Signe Blomberg. Après le décès de son épouse, en 1921, Langlet se trouva une autre épouse, espérantophone aussi, mais d'origine russe, Nina Borovko, la fille d'un des pionniers de l'espéranto en Russie.

Valdemar Langlet est sans doute l'un des figures qui ont le plus élevé le prestige de l'espéranto dans le monde. Sa mémoire est honorée en Hongrie où, à la façon de Schindler, il sauva des juifs de la barbarie nazie durant la seconde Guerre mondiale. Parmi les ouvrages publiés sur lui, il y a notamment :
  • en suédois : "Kaos i Budapest" (Nina Langlet, Vällingby : Harrier, 1982).
  • en français : "Valdemar Langlet, le sauveur en danger", Björn Runberg, traduit du suédois par Nadine Ganivel. (Éditions cheminements, Coudray-Macouard. 2003. 134 p. — critique en français).
Donc, dans le cas, de Langlet, il n'est pas question de divorce. Un cas de divorce est signalé en 1926 à Paris dans l'"Enciklopedio de Esperanto" (Budapest : "Literatura Mondo", dont le rédacteur en chef fut Tivadar Soros, le père du financier George Soros. 1933; p. 839). Il s'agit de celui de József Major, professeur de langues hongrois qui étudia à la Sorbonne et qui vécut aussi au Japon, et de Cecilia Sampson, Anglaise. Il n'est pas certain que ce soit le premier. Bien, sûr, il y eut par la suite beaucoup de mariages internationaux, et par conséquent des divorces. Il serait difficile d'affirmer que les couples internationaux nés de l'espéranto tiennent mieux que les autres, entre partenaires de même nationalité. Il est douteux que des statistiques aient été établies sur des bases scientifiques, et des recherches risqueraient d'être longues et difficiles.

Dans le même ouvrage, un article est consacré au Mouvement pour la réforme sexuelle (Seksa reformmovado) :
Les exigences les plus importantes de la Ligue Universelle pour la Réforme Sexuelle (Universala Ligo por Seksa Reformo) est : la libération du mariage et du divorce de la tutelle de l'église et de l’État, la régulation des naissances dans le sens de la responsabilisation de la procréation, l'influence eugénique sur la descendance, la juste appréciation des variantes intersexuelles, la peine sexuelle ne punissant que les attaques effectives contre la liberté sexuelle, l'éducation sexuelle méthodique et l'éducation, etc.. La ligue utilise l'espéranto comme langue officielle à côté des principales langues; fameux sexologue, le Dr J. H. Leunbach* a parlé en espéranto lors de congrès de la ligue. L'un des fondateurs de la Ligue, August Forel, était ami de l'espéranto.
* Jonathan (Joyce) Høegh von Leunbach (1884-1955) danois médecin généraliste, qui, dans l'entre-deux guerres, a accompli des efforts sociaux importants mais controversés pour avoir aidé les moins fortunés dans l'éducation sexuelle, la contraception, et dans certains cas aussi pour l'avortement. Leunbach se déclara socialiste, il rejoignit les idées de politique sexuelle de Wilhelm Reich. Son nom fut respecté au niveau international. Il fut co-fondateur de la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle en 1927, alors qu'il rencontra au Danemark une opposition massive de la plupart des partis politiques, des milieux médicaux et religieux et de la Société des femmes danoises. Il fut accusé deux fois de complicité à l'avortement illégal. Il fut acquitté en 1935, mais condamné à trois mois d'emprisonnement un an plus tard et à la perte des droits civiques pendant cinq ans. Lui et quelques contemporains ont vu cela comme une conviction politique. Beaucoup de ce pour quoi Leunbach s'est battu est aujourd'hui considéré comme allant de soi.

Les revendications féminines, incluant le droit au divorce, ont commencé très tôt dans le monde de l'espéranto (source : "Enciklopedio de Esperanto") :
  • Mary L. Blake, (1872- ?), artiste anglaise, secrétaire de sociétés politiques et féminines. (p. 85)
  • Kazimiera Bujwid (? - 1932), épouse du bactériologue polonais de renommée internationale Odo Bujwid (p. 118)
  • Julia Fernandes fonda un club féminin d'espéranto en 1912 au Brésil. (p. 213)
  • Le premier club féminin d'espéranto fut fondé à Prague en 1904. Il fut présidé par Matylda Krausová, et appuyé fortement par Julie Supichová, enseignante, qui fonda un cercle de femmes espérantistes. (p. 149)
  • Diplômée d'espéranto, Helen Kopasis, princesse de Samos, fonda un club féminin d'espéranto dans l'île. (p. 329)
  • Une ligue féminine hélénique d'espéranto fut fondée en 1929. (p. 330)
  • La journaliste allemande Kate Jahns (1881- ?) travailla beaucoup pour les unions de femmes et leurs journaux (p. 437)
  • La néerlandaise Martina Gezina Kramers (1863-1934) lutta beaucoup pour les droits des femmes et occupa diverses fonctions dans le mouvement. (p. 510)
  • Roxane Manoussou, Athénienne, fonda et présida la Ligue féminine hellénique d'Espéranto et dispensa des cours. (p. 607)
  • Un petit groupe de femmes espérantophones japonaises fut fondé le 12 avril 1925 à Tokyo sous le nom de "Klara Rondeto" (Cercle Klara) en mémoire de Klara Zamenhof, l'épouse du Dr Zamenhof, décédée l'année précédente. D'autres groupes féminins furent fondés la même année à Yokohama et Osaka. (692)
  • Marie Schröder (1882-1909), journaliste danoise, milita dans divers mouvements, en particulier pour le féminisme, le pacifisme, la jeunesse, le végétarisme. (832)
  • Marcelle Thiard (1861-1932), Française, présida l'Union des femmes espérantistes (Unuiĝo de Esperantistaj Virinoj — UDEV) qu'elle avait contribué à fonder à Budapest en 1929.
Nombreuses sont aujourd'hui les femmes pour lesquelles l'espéranto n'est pas une fin en soi mais, outre une langue internationale équitable efficace et accessible, un outil éducatif et un moyen d'émancipation sociale. De ce fait, elles ne se contentent pas de militer au sein d'organisations d'espéranto ou de diriger des cours. Voir "Femmes sans frontières" (PDF).

Le couple Zamenhof, Ludwik et Klara, résista à de très dures épreuves. L'aide et le soutien de Klara à l'oeuvre de son mari furent très précieux, et il est quasi certain que l'espéranto n'aurait jamais vu le jour sans la solidité de ce couple. Le fait que Zamenhof ait traduit "Marta"*, l'un des plus grands romans de l'écrivaine polonaise
Eliza Orzeszkowa, une grande figure de la résistance des femmes contre l’injustice sociale. Trois éditions furent publiées en espéranto à Paris par Hachette, en 1910, 1924 et 1928. Ce livre contribua à élever le niveau de conscience des femmes à travers le monde, en particulier au Japon.

Les couples "internationaux" qui divorcent sont évidemment tenus aux lois du pays où ils résident. Un ami espérantophone français et son épouse croate n'avaient pas pensé que le juge des affaires familiales aurait été réticent à prononcer leur divorce du fait qu'ils avaient séparé l'appartement en deux parties par une cloison, tout en partageant le coût des charges. Il m'a en outre signalé le cas d'un espérantophone hongrois qui, faute d'avoir pu se trouver un autre logement, a été contraint de cohabiter avec son ex-épouse, même après le divorce...

A vouloir décourager le divorce, même à l'amiable, ne décourage-t-on pas aussi le mariage ?



* L'édition en français de "Marta" semble introuvable, sauf peut-être en brocante. La version en espéranto est toujours au
catalogue de l'UEA et peut aussi être lue en ligne :

Eliza Orzeszkowa - Marta